Droit social individuel et collectif
Par un arrêt du 3 avril 2019, la Cour d’Appel de Paris, statuant dans une affaire qui opposait la société X à l’un de ses anciens cadres dirigeants, a fait droit à notre position, rappelant et précisant les obligations incombant à la société-mère française lorsque sa filiale étrangère met fin au contrat local la liant au salarié expatrié.
Le contexte était le suivant : après avoir connu une carrière internationale régulièrement ascendante au sein de différentes entités du groupe international X, Monsieur Y s’était vu promu en qualité de Directeur Général d’une importante division de la filiale mexicaine du groupe. Dans ce cadre avait été conclu un contrat tripartite prévoyant la suspension du contrat d’origine et détaillant ses conditions d’emploi au Mexique ainsi que les conditions de sa réinsertion au sein de la société-mère à l’issue de sa mission.
Cette filiale ayant notifié à Monsieur Y la fin de sa mission au bout de deux années, il incombait à la société-mère française de le rapatrier et de le reclasser.
Or si cette dernière a, en apparence, respecté ces obligations, tel n’a pas été le cas en réalité, ce qui devait conduire Monsieur Y à refuser l’offre inconsistante et de pure opportunité qui lui était faite et entraîner, in fine, son licenciement.
La Cour d’Appel, saisie de ce litige, a été amenée à rappeler et préciser certains des principes applicables en la matière, tant sur la teneur de l’obligation de reclassement incombant à la société mère à l’issue du détachement que sur le salaire devant servir de base de calcul aux différentes indemnités de rupture dues au salarié en cas de licenciement.
I. Sur l’obligation de reclassement incombant à la société-mère à l’issue du détachement du salarié au sein de la filiale étrangère.
Il convient de rappeler que lorsque le salarié exerce son activité à l’étranger pour une société locale distincte de la société d’origine qui l’a engagé, le contrat de travail conclu avec cette dernière est suspendu et le salarié conclut un contrat de droit local avec l’entreprise du pays d’accueil.
L’article L. 1231-5 prévoit que :
« Lorsqu’un salarié engagé par une société mère a été mis à la disposition d’une filiale étrangère et qu’un contrat de travail a été conclu avec cette dernière, la société mère assure son rapatriement en cas de licenciement par la filiale et lui procure un nouvel emploi compatible avec l’importance de ses précédentes fonctions » »
Ainsi, et conformément audit article, lorsqu’il est mis fin au contrat de travail de droit local, la société mère a une double obligation :
Et ce, que le salarié ait ou non exercé des fonctions effectives au service de la société mère préalablement à son détachement (Cass, Soc, 26 octobre 1999, n°97-43.142 et Cass, Soc, 7 décembre 2001, n°09-67.367).
Quels sont le cadre et les contours de cette obligation de reclassement ?
Tout d’abord et ainsi que l’affirme avec constance la Cour de Cassation, il incombe à la société mère de faire au salarié des offres sérieuses, précises et compatibles avec l’importance de ses précédentes fonctions au sein de la société.
Ainsi la Cour de Cassation considère-t-elle que si l’intitulé du poste est clairement identifié mais que les contours des tâches et fonctions ainsi que le montant de la rémunération fixe et variable proposés au salarié ne sont pas clairement déterminés, alors l’offre n’a pas le caractère sérieux qu’elle devrait impérativement revêtir (Cass, Soc, 21 novembre 2012, n°10-17.978).
La Cour de Cassation insiste également sur le fait que, dans le cadre de son obligation, l’employeur doit tout mettre en œuvre pour assurer le reclassement du salarié et ce à tout poste compatible avec l’importance de ses précédentes fonctions (Cass, Soc, 9 Avril 2008, n°06-45.384). La société mère est donc tenue de faire une proposition loyale de réintégration au salarié (Cass, Soc, 28 octobre 2015, n°14-16.269).
Il s’agit, en fait, d’une stricte application du principe selon lequel, comme les autres contrats, le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi et loyalement.
Si le salarié n’a jamais exercé de fonctions effectives au sein de la société-mère, la Cour de cassation a adapté son exigence en précisant que les offres proposées doivent être en rapport avec les compétences du salarié , celles-ci étant naturellement appréciées au regard de son parcours, et notamment des fonctions qu’il occupait dans le cadre de son détachement (Cass, soc, 7 décembre 2001, n° 09-67.367).
Ainsi, à titre d’exemple, la Cour de cassation a pu considérer que n’avait pas respecté son obligation l’employeur qui avait affecté le salarié à un poste sans responsabilités opérationnelles et managériales alors que l’intéressé occupait avant son expatriation le poste de directeur d’exploitation dans une usine de 178 salariés (Cass, Soc, 20 février 2008, n°07-40.102).
Par ailleurs, la Cour de cassation mobilisant le terme de « reclassement », on pourrait considérer que c’est ici le droit commun du reclassement qui est visé, tant sur la portée que sur les modalités procédurales. Auraient ainsi vocation à être alignés les deux régimes, s’agissant de la teneur de l’obligation incombant à l’employeur, comme de l’étendue géographique et du cadre dans lequel elle s’exerce.
Il s’agirait, donc, pour la société-mère, de rechercher et proposer au salarié tout poste disponible et compatible avec ses qualifications, et ce au niveau de l’ensemble des sociétés du groupe , y compris celles situées à l’étranger, dès lors que la condition de permutabilité serait remplie (Cass. soc. 18 novembre 2009 n°08-44215 ; Cass. soc. 13 décembre 2011 n°10-21745 ; Cass. soc. 22 janvier 2014 n°12-19099).
Ainsi, et pour résumer, la société mère ne serait considérée comme ayant satisfait à l’obligation qui lui incombe aux termes de l’article L. 1231-5 précité, que si :
Or tel n’était pas le cas en l’espèce.
En effet, la société X n’avait pas adressé à Monsieur Y une véritable proposition de poste mais un document aux contours flous quant au contenu des tâches à accomplir, muet quant aux objectifs à atteindre , à la rémunération et aux moyens dont il disposerait, et ne comportant aucune indication sur son positionnement hiérarchique au surplus.
Les précisions apportées sur certains de ces points dans la lettre de licenciement ont naturellement été considérées comme trop tardives pour être prises en compte, le manque de sérieux de l’offre résultant de surcroît de l’envoi, par la société X, de deux lettres de licenciement portant la même date mais différant de 20 millions quant à l’objectif à atteindre…
La Cour en a justement déduit que ces éléments de fait, auxquels s’ajoutait l’absence de tout entretien afférent à cette « offre » entre l’employeur et Monsieur Y, étaient de nature à conforter celui-ci dans sa conviction d’une inexplicable et inacceptable “placardisation” par création d’un poste inexistant et inconsistant manifestement destiné à être refusé.
Dans ce contexte, elle a considéré que le licenciement du salarié pour avoir refusé cette « proposition » n’était pas justifié, l’employeur n’ayant manifestement pas respecté l’obligation de reclassement à laquelle il était soumis.
II. Sur le salaire devant servir de base au calcul de chacune des indemnités de rupture dues au salarié : le salaire d’expatriation, dans toutes ses composantes.
(i) Il y a d’abord lieu de rappeler que la Cour de Cassation affirme avec constance le principe selon lequel les indemnités de rupture auxquelles peut prétendre le salarié mis, par la société au service de laquelle il était engagé, à la disposition d’une filiale étrangère, au titre de son licenciement prononcé par la société-mère après que la filiale a mis fin à son détachement, doivent être calculées par référence aux salaires qu’il percevait dans son dernier emploi, à savoir son salaire d’expatriation (Cass. Soc. 6 février 2001, n°98-44 665 ; Cass. Soc. 27 octobre 2004 n°02-40 648 ; Cass. Soc. 6 avril 2005 n°03-42021 ; Cass. Soc. 11 janvier 2006 n°04-41652);
En particulier, un arrêt de la Chambre Sociale du 5 décembre 2007, strictement transposable à l’espèce objet du présent article (salarié révoqué par la filiale, qui se voit proposer un poste de « chargé de missions industrielles » par la société mère et refuse ce poste, puis est licencié en raison de ce refus), affirme :
« Qu’en statuant ainsi, alors que le montant des indemnités de préavis, de congés payés, de licenciement dues par la société mère au salarié ayant en dernier lieu travaillé au sein de la filiale étrangère, devait être déterminé sur la base du salaire d’expatriation, la cour d’appel a violé les textes susvisés ». (Cass. Soc. 5 décembre 2007 n°06-40787).
La question a donc été clairement tranchée par la Cour de Cassation.
Cette position a récemment été réitérée, dans un arrêt de Cassation du 17 mai 2017.
Dans cette espèce, le salarié, détaché par le groupe Shell au sein d’une filiale singapourienne, puis engagé localement par cette dernière dans le cadre d’une expatriation, a été rapatrié par la société-mère après la fin du contrat d’expatriation, réintégré par celle-ci, puis licencié près d’un an plus tard, sans qu’un nouvel emploi compatible avec ses précédentes fonctions n’ait été procuré audit salarié.
Or la Cour de Cassation a clairement affirmé que, dans un tel contexte, « les indemnités de rupture devaient être calculées par référence au salaire perçu par le salarié dans son dernier emploi » (Cass. Soc. 17 mai 2017 n°15-17750).
Cette jurisprudence s’appliquait à toutes les indemnités de rupture, quelles qu’elles soient : indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, indemnité de licenciement, indemnité compensatrice de préavis, contrepartie à la clause de non concurrence…
C’est en ce sens que la Cour d’Appel a statué dans notre espèce, précisant que « les indemnités de rupture auxquelles peut prétendre le salarié, mis par la société au service de laquelle il était engagé à la disposition d’une filiale étrangère, au titre de son licenciement prononcé par la société-mère après que la filiale a mis fin à son détachement, doivent être calculées par référence aux salaires perçus par le salarié dans son dernier emploi et non celui de référence en France, qui ne correspond à aucune activité réelle exercée par ce dernier au service de la société mère. »
La décision est d’autant plus intéressante que la société X avait pris le soin d’insérer dans le contrat tripartite une clause selon laquelle le salaire de base de Monsieur Y (hors tous avantages liés à son expatriation) servirait de base de ses indemnités de fin de contrat. Or le principe de liberté contractuelle revendiqué par la société X pour se prévaloir de cette clause ne saurait jouer en droit du travail qu’en cas de vide juridique et lorsqu’aucun texte ni aucune jurisprudence ne vient fixer une règle, ou si elle bénéficie au salarié, et ce au regard du déséquilibre économique inhérent au contrat de travail.
(ii) Il y a ensuite lieu de déterminer les sommes constituant ou non des éléments du salaire devant ainsi servir de base de calcul des indemnités de rupture.
Rappelons qu’en application de l’article L3221-3 du code du travail : « Constitue une rémunération au sens du présent chapitre, le salaire ou traitement ordinaire de base ou minimum et tous les autres avantages et accessoires payés, directement ou indirectement, en espèces ou en nature, par l’employeur au salarié en raison de l’emploi de ce dernier. »
C’est sur ce fondement que doivent être pris en compte tous les éléments du salaire : la partie fixe, les éléments variables, l’ensemble des primes et gratifications, ainsi que tous les avantages en nature dont bénéficie le salarié.
Une question peut se poser quant à la qualification de certains versements comme constituant ou non des avantages en nature consentis par l’employeur.
En particulier, et selon une jurisprudence ancienne et jamais remise en cause, un logement mis à disposition d’un salarié par l’employeur, à titre gratuit ou moyennant une participation financière minime, est considéré comme logement de fonction et par conséquent comme l’accessoire du contrat de travail, dès lors que cette mise à disposition résulte de l’existence de ce contrat. (Cass, Soc, 10 juin 1954, n°41.999 ; Cass, Soc, 17 mai 1961, n°59-11.658).
Ce principe a clairement été rappelé, s’agissant d’un salarié expatrié, dans un arrêt de la Cour de Cassation du 2 juillet 2014, dont il ressort précisément que la prise en charge, par l’employeur, du coût du logement du salarié pendant la durée de son expatriation constitue un avantage en nature devant être intégré dans le montant de sa rémunération brute pour le calcul de son indemnité conventionnelle de licenciement (Cass. Soc. 2 juillet 2014 n°13-15884).
La Cour d’appel de Paris a aussi rappelé ce principe intangible dans une affaire concernant un salarié expatrié, réaffirmant que « les avantages en nature constituent des éléments de salaire qui doivent être pris en compte pour le calcul du salaire de référence » (CA Paris, Pôle 6, Chambre 5, Arrêt du 10 janvier 2013).
Est également un avantage en nature la mise à disposition d’un véhicule de fonction (Cass.Soc.31 janvier 2012 n°10-24388 ; Cass. Soc. 4 février 2015 n°13-24151).
En revanche et au regard de la jurisprudence, constituent des remboursements de frais n’ayant pas à être intégrés dans la base de calcul les allers-retours du salarié entre son pays d’origine et son pays d’expatriation, tout comme les frais de scolarité des enfants.
N’ont pas non plus à l’être, en application des dispositions de articles L3212-4 et L3325-1 du code du travail, les sommes attribuées aux salariés en application d’un accord d’intéressement ou d’un accord de participation.
Ainsi, la Cour d’Appel s’est attachée à rappeler le principe selon lequel c’est bien le salaire d’expatriation qui sert de base au calcul des indemnités de rupture dues au salarié, et ce même si le licenciement intervient après sa réintégration dans les effectifs de la société-mère.
Cette décision est intéressante en ce qu’elle rappelle avec précision l’importance des obligations pesant sur la société-mère lorsqu’il est mis fin au contrat local d’un salarié expatrié, et les conséquences inhérentes à leur violation.
Cour d’appel de Paris pôle 6 chambre 6, 3 avril 2019 n°RG 17-07525