Droit de la communication, publicité et promotion des ventes
Plus de 150.000 influenceuses/influenceurs assureraient en France la promotion de marques commerciales (1). A l’origine, simples passionnées de mode, de musique ou de pêche à la mouche, ces nouvelles stars des réseaux sociaux ont acquis avec la célébrité le statut de professionnel du marketing.
Mais le statut juridique des influenceurs, largement entendus, est hétérogène : du journaliste professionnel ou atypique, indépendant, aux promoteurs rémunérés de produits ou services, ce sont toutes les palettes du droit de la communication qui se trouvent ici sollicitées.
Si l’influenceur peut être pour l’entreprise un formidable relais de communication, il peut être également le déclencheur d’un buzz ou d’une rumeur nuisible à son image. Dans le premier cas, l’entreprise veillera à sécuriser son partenariat par un encadrement contractuel adéquat. Dans le second cas, elle pourra recourir aux moyens précontentieux et judiciaires nécessaires à la sauvegarde de son image dans la mesure autorisée par la liberté d’expression.
Les liens qu’une entreprise lie avec un influenceur sont plus ou moins étroits. Une marque peut être spontanément mise en avant par un influenceur en raison de la seule bonne opinion que ce dernier peut en avoir. Afin d’encourager ce promoteur bénévole à soutenir sa marque, l’entreprise peut juger opportun de lui céder gracieusement certains de ses produits dans l’espoir qu’il en assurera également la promotion. L’aubaine incitera sans doute l’influenceur à se montrer reconnaissant. Toutefois, la technique, aléatoire, expose l’entreprise à d’éventuelles déconvenues : une indépendance chatouilleuse où la médiocrité avérée du produit pourrait brusquement provoquer une réaction contraire aux attentes de la marque.
C’est pourquoi, de plus en plus, via notamment des agences spécialisées, les entreprises cherchent à encadrer les relations qu’elles souhaitent instaurer avec des influenceurs : un nouveau type de contrat a donc pris naissance. La liberté contractuelle offre à ce titre une grande latitude aux entreprises pour organiser ces relations au mieux de leurs intérêts.
Ces liens s’inscriront le plus souvent dans un ensemble plus vaste d’actions marketing et publicitaires généralement pilotées par des agences de communication.
Ces dernières risquent du reste d’assumer la responsabilité juridique attachée à l’activité, plus ou moins contrôlée, d’influenceurs professionnalisés de fraiche date et dont l’indépendance de ton ou d’opinion peut constituer le capital d’influence déterminant. Car ce que l’influenceur dit de la marque qui le rémunère est manifestement susceptible d’impliquer juridiquement cette dernière et donc le prestataire chargé d’en assurer la promotion.
La collaboration pourra du reste déboucher sur une véritable appropriation par la marque de l’identité de l’influenceur au risque, cependant, de dévoyer ce qui fait l’originalité marketing de ce relais de communication. L’exploitation directe par la marque de la voix, du nom et de l’image de l’influenceur fait appel à des schémas contractuels plus classiques : égérie, contrat d’exploitation des droits de la personnalité, mannequin, cession de droits d’auteur …
Si la contrepartie fait l’objet de pratiques variables, elle tend naturellement à se monétiser selon des paramètres incluant outre le forfait et les avantages en nature, d’éventuelles rémunérations variables.
Préalablement, on prendra garde à l’âge et au statut juridique de l’influenceur. La minorité impliquera de solliciter l’accord des titulaires de l’autorité parentale sans omettre, lorsqu’il est requis, le consentement exprès de l’intéressé.
On ne négligera pas non plus le risque de requalification en contrat de travail, toujours prégnant dès lors qu’une tâche doit être exécutée par une personne physique moyennant rémunération et selon les directives de son commanditaire.
L’influenceur « mandaté » par une marque n’est ni le porte-parole de cette dernière ni l’expert indépendant, garant de l’objectivité du propos. Sa prestation, car cela en est une dès lors qu’il est rémunéré, s’inscrit dans le cadre des dispositions protectrices des consommateurs.
Après avoir rappelé que « les pratiques commerciales déloyales sont interdites » (art. L.121-1), le code de la consommation répute trompeuse, notamment, la pratique commerciale consistant à utiliser un contenu rédactionnel dans les médias pour faire la promotion d’un produit ou d’un service alors que le professionnel a financé celle-ci lui-même, sans l’indiquer clairement dans le contenu ou à l’aide d’images ou de sons clairement identifiables. Toute publicité doit en effet s’afficher comme telle, le consommateur étant en droit d’exiger la transparence quant aux sources d’informations relatives aux produits et services qu’il est susceptible d’acquérir.
C’est en application de cet article et plus généralement des règles déontologiques qu’elle a vocation à faire respecter, que l’ARPP (2), dans sa recommandation « Communication publicitaire digitale V4 », s’intéresse plus spécifiquement à la communication des influenceurs.
Après avoir distingué l’influenceur agissant dans un cadre purement éditorial, c’est-à-dire au même titre qu’un journaliste indépendant, de l’influenceur agissant dans le cadre d’une collaboration monnayée avec une marque, l’ARPP rappelle que ce dernier doit porter l’existence de cette collaboration à la connaissance du public. Cette information doit être explicite et immédiate.
Toutefois, l’ARPP ne qualifie de proprement « publicitaires » que les collaborations impliquant, outre une contrepartie, un contrôle éditorial prépondérant de la marque et un contenu promotionnel. Dans cette hypothèse, l’ensemble des dispositions déontologiques de l’ARPP ont vocation à s’appliquer.
Cette interprétation restrictive de la notion de publicité est cependant contestable. En effet, la jurisprudence interprète largement une notion qui, du reste, ne fait pas l’objet d’une définition légale générale. La directive européenne relative à la publicité trompeuse (3) définit au demeurant la publicité comme « toute forme de communication faite dans le cadre d’une activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale dans le but de promouvoir la fourniture de biens ou de services ». L’interprétation retenue par l’ARPP s’explique sans doute par son objet qui est de réguler déontologiquement l’activité des professionnels de la publicité, annonceurs et agences, et non toutes les formes, sauvages ou non, de promotion.
Ainsi, l’influenceur ne devra pas seulement signaler l’existence du ou des partenariats qu’il a noués avec des marques : il se devra de veiller à la véracité, à la loyauté et à la décence, largement entendue, de son message ainsi qu’au respect des réglementations spécifiques à certains produits et services – l’alcool, notamment (4).
L’entreprise critiquée fourbira en premier lieu tous l’arsenal de communication dont elle pourra disposer selon la stratégie que ses services et ses prestataires jugeront opportun de mettre en place. Dès lors que la critique n’outrepasse pas la liberté d’expression, elle n’aura du reste que le terrain de la communication pour restaurer son image. Dans un arrêt du 14 novembre 2019, la Cour d’appel de Toulouse a ainsi débouté une société de sa demande de suppression de commentaires négatifs la concernant publiés sur un compte Facebook, au motif que les propos litigieux s’inscrivaient selon la Cour dans les limites du droit à la critique d’un client face à son contractant et relevaient de l’exercice, sans faute ni abus, de la liberté d’expression (5).
Sur le terrain juridique et judiciaire, elle ne pourra puiser que dans la loi du 29 juillet 1881, relative à la liberté de la presse, si la personne morale, ses dirigeants, salariés ou actionnaires sont mis en cause. La Cour de cassation a en effet récemment rappelé que les abus de la liberté d’expression prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881 ne peuvent être réparés sur le fondement de l’article 1240 du code civil, à savoir la responsabilité civile de droit commun (6). L’atteinte à l’honneur ou à la réputation d’une personne morale ou physique ne peut donc être sanctionnée que sur le terrain de la diffamation ou de l’injure et selon la procédure spécifique aux délits de presse dont on rappellera, en passant, qu’elle est sujette à un délai de prescription abrégé de trois mois.
Ainsi, une société à laquelle est imputé un délit de blanchiment est irrecevable à agir sur le terrain de l’article 1240 du Code civil.
Cependant, il n’est pas toujours aisé de distinguer ce qui relève de la diffamation de ce qui relève de la responsabilité civile. Ainsi, pour la Cour d’appel de Versailles, des propos peu amènes visant des produits commercialisés par un concurrent, relèvent de la diffamation dès lors qu’ils impliquent nécessairement l’imputation d’un comportement délictueux dudit concurrent (7). Mais pour la Cour d’appel de Paris, « les allégations qui n’ont pour objet que de mettre en cause la qualité des prestations fournies par une société, même si elles visent une société nommément désignée ou son dirigeant, relèvent du dénigrement » (8).
Le dénigrement de produit ou de service, dès lors qu’il n’est pas imbriqué dans une diffamation, pourra quant à lui faire l’objet d’une classique action en responsabilité délictuelle, le recours aux mesures conservatoires et de remises en état qu’autorise la procédure en référé étant également disponible.
Là encore, le dénigrement ne doit pas être confondu avec l’exercice du droit de critique.
A été jugée légitime la diffusion, même par un concurrent, à la lumière de rapports officiels ne faisant pas l’unanimité du milieu scientifique, d’une mise en garde publique sur un matériau utilisé par certaines sociétés pour la fabrication de leurs produits. Pour la Cour d’appel de Versailles (9), cette mise en garde relève de la nécessaire information du consommateur et du droit d’alerte en matière de santé publique et d’environnement reconnu par la loi à toute personne physique et morale qui estime de bonne foi devoir diffuser une information concernant un fait, une donnée ou une action dont la méconnaissance lui paraît faire peser un risque grave sur la santé publique ou l’environnement.
Comme le souligne la Cour d’appel de Douai, une entreprise « doit assumer le fait que l’usage des réseaux sociaux peut entraîner des incidences négatives sans pour autant caractériser une faute » (10).
Si l’atteinte comporte une appropriation illicite des signes d’identification de l’entreprise, le droit des marques tout comme la protection attachée aux dénominations sociales et noms commerciaux pourront être éventuellement sollicités.
La propriété d’une marque n’a pas de caractère absolu. Elle doit notamment plier face à la liberté d’expression toutes les fois que l’usage de la marque s’inscrit en dehors de la vie des affaires. L’influenceur indépendant dispose donc d’une latitude certaine pour se livrer à la critique d’une entreprise ou de ses produits et services. Dans la célèbre affaire « jeboycottedanone.com », toute atteinte au droit de marque a été écartée. Il n’en demeure pas moins que la critique est susceptible d’abus et que de tels abus restent sanctionnables sur le terrain de la responsabilité civile.
En tout état de cause, l’entreprise ne pourra utilement se défendre que si elle est en mesure de prouver l’existence des faits attentatoires à son image et d’en identifier l’auteur ou les auteurs.
Les captures d’écran constituent pour la preuve de simples faits juridiques un moyen probatoire recevable. Cependant, le recours au constat d’huissier s’avérera souvent nécessaire afin de couper court aux objections techniques dont font souvent l’objet les moyens de preuve que tout un chacun peut collecter via son PC.
L’identification de l’auteur de propos litigieux sur internet s’avère parfois complexe, s’il ne s’agit pas d’un influenceur dûment répertorié. Les comptes anonymes sont en effet légions et se prêtent d’autant mieux aux attaques que leurs auteurs cachés s’estiment à l’abri des poursuites.
Il est vrai que les réseaux sociaux sont tenus de mettre à disposition des internautes des formulaires de plainte qu’il peut être opportun de compléter. Concomitamment, une notification, conforme aux exigences, notamment formelles, de l’article 6, I., 5 de la loi du 21 juin 2004 (11), devrait permettre d’obtenir la suppression du contenu litigieux et de déclencher le mécanisme spécifique de responsabilité applicable aux hébergeurs.
On rappellera qu’en application de cette même loi, les hébergeurs doivent détenir et conserver les données de nature à permettre l’identification de quiconque a contribué à la création du contenu ou de l’un des contenus des services dont elles sont prestataires. Il est à ce titre regrettable que le manquement à cette obligation ne soit pas plus sévèrement sanctionné.
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En conclusion, la liberté de ton et, souhaitons-le, de pensée des influenceurs fait à la fois le charme et les risques pour l’entreprise de ce relais original de communication. Sans doute, faut-il en partie attribuer à cette liberté le succès que ces nouvelles stars remportent auprès de leurs « followers ». Et c’est bien de ce succès et du capital de sympathie qu’il manifeste, que les entreprises entendent profiter lorsqu’elles instaurent des partenariats avec des influenceurs. Les schémas contractuels sont variables mais doivent être tout à la fois juridiquement sécurisant et respectueux de l’originalité de ce relais.
Mais l’influenceur, c’est aussi la manifestation d’un journalisme atypique, indépendant et libre. La liberté d’expression l’autorise alors à critiquer l’entreprise sous réserve d’abus que la loi et les tribunaux interprètent d’autant plus restrictivement qu’un principe, constitutionnel, est ici en jeu.
Alors que la publicité classique relevait et relève encore d’un champ de communication clairement identifié et borné, le marketing d’influence s’est emparé d’un univers hyper-réactif, multiple et sans limite où se confrontent des opinions diverses, sollicitant toutes les subtilités du droit de la communication.