Le reconfinement a remis à l’arrêt ou ralenti considérablement l’activité de nombreux secteurs économiques déjà fortement touchés depuis le début de la crise sanitaire. Beaucoup d’entreprises ont déjà fait appel à la garantie des pertes d’exploitation prévue dans leur contrat d’assurance [1] en déclarant un sinistre auprès de leur assureur, se sont vues notifier un refus de garantie par la communauté des assureurs. Or, ces pertes sont assurables : au moins 80 000 contrats en France sont concernés par une possible indemnisation des pertes d’exploitation liées à la crise sanitaire selon l’ACPR [2], proportion fortement sous-estimée selon des courtiers spécialisés. La justice a déjà ordonné le remboursement des pertes de marges dans le cadre de plusieurs contrats, condamnant, notamment, Axa, Allianz, Crédit Mutuel ou encore Groupama.
Alors que la situation économique des entreprises se dégrade davantage, il est important de faire le point sur la garantie actuelle des pertes d’exploitation dans le cadre de la pandémie et de réaffirmer l’intérêt de persister face à son assureur, ce d’autant plus que le reconfinement peut constituer un deuxième sinistre pour les entreprises. Il est ainsi primordial de ne plus attendre pour agir face non seulement à ces circonstances mettant en péril la survie des entreprises mais encore aux futures initiatives des assureurs visent une refonte intéressée des contrats d’assurance (I). Car même suite aux refus systématiques des assureurs, il ne faut pas se résigner alors que de nombreux contrats vont en réalité dans le sens des assurés (II).
La crise sanitaire s’éternise et devient de plus en plus difficile pour les entreprises. Et nous sommes de plus en plus ignorants quant à la terminologie à adopter : deux confinements, deux « vagues », une pandémie, un ou plusieurs virus ? Si les choses semblent se complexifier d’un point de vue sémantique, il faut justement profiter de ce moment pour ne plus attendre pour déclarer les sinistres auprès des assureurs. Il se trouve que, dans bien des cas, ce deuxième confinement constitue un nouveau sinistre indemnisable au titre des garanties d’assurance des pertes d’exploitation, ce qui induit un second plafond de garantie disponible pour les entreprises assurées.
Cette situation change beaucoup de choses pour les assurés. Les plafonds de garantie sont parfois bas au regard de leurs pertes. Mais la présence de deux périodes de confinement, dont la première a été imposée par le décret du 23 mars 2020 et la deuxième par le décret du 29 octobre 2020, ou encore de deux vagues séparées par une situation de retour à la normale, ne permet le plus souvent pas à l’assureur de globaliser les sinistres.
Cela est a fortiori le cas pour les clauses d’extension de garantie de type « fermeture administrative » qui couvrent la difficulté d’accès et/ou d’utilisation des biens assurés. Ici le premier confinement constitue, clairement, un premier sinistre et le reconfinement un deuxième. Cela permettrait ainsi aux entreprises de faire valoir une indemnisation des pertes d’exploitation jusqu’à deux fois plus importante.
Force est de constater que la réalité des contrats d’assurance des pertes d’exploitation est bien différente des démonstrations d’assureurs dans bien des refus de garantie. Il est en effet souvent avancé que les dommages liés à la pandémie ne sont pas garantis par les stipulations du contrat. Cependant, de très nombreuses constatations faites par le juge ou par les professionnels de l’assurance vont en ce sens contraire. Ceci est le cas en France où de plus en plus de jugements donnent raison aux assurés, mais aussi aux États-Unis, ou encore au Royaume-Uni où la Financial Conduct Authority a estimé à plus de 1,3 milliards d’euros le montant total qui sera versé par les assureurs au titre de la garantie des pertes d’exploitation.
UNE FENETRE D’OPPORTUNITE
De plus, alors que la période de renouvellement des polices approche, la plupart des contrats n’ont pas pu être modifiés par les assureurs depuis le déclenchement de la crise. De nouvelles exclusions « anti-Covid-19 » sont actuellement introduites dans les contrats par les assureurs, justifiant a contrario que les exclusions actuelles sont probablement insuffisantes, comme le président du syndicat des courtiers l’a relevé. Il s’avère donc urgent de déclarer sans attendre les sinistres auprès des assureurs, en des termes clairs et précis, et de bénéficier des garanties rédigées et négociées avant le début de la crise sanitaire.
Comme indiqué supra, la totalité des assureurs ont annoncé un refus de principe pour tous les contrats, et ce quelle que soit la nature réelle des dommages garantis. Si cette position paraît à première vue faire peu de cas du contenu des contrats, elle est surtout due à la rédaction même des clauses de garantie des pertes d’exploitation. En effet, ab initio, ces contrats n’ont pas anticipé l’éventualité d’une pandémie de ce type. La seule nuance que l’on peut apporter sur ce point est l’ajout par certains assureurs de certaines clauses d’exclusions en réactions à l’épidémie de SRAS en 2003. L’article 1190 du Code civil dispose que « dans le doute, le contrat de gré à gré s’interprète contre le créancier et en faveur du débiteur ». Aussi, la jurisprudence précise que le doute sur une rédaction contractuelle doit bénéficier à l’assuré. Un arrêt de la Cour de cassation en date du 16 juillet 2020 rappelle qu’une clause d’exclusion ambiguë dans un contrat d’assurance doit être réputée non écrite car ni formelle ni limitée. Ainsi une clause absconse ne peut être interprétée qu’à l’avantage de l’assuré.
Les contrats d’assurances, textes pouvant être revus tous les ans, notamment sur proposition de l’assureur, garantissent un ensemble de dommages parfois changeant au fil du temps et en fonction des risques conjoncturels. Ainsi, par réutilisation de clauses provenant d’autres contrats, par le rachat d’exclusions et par d’autres procédés bien connus des professionnels, les clauses perdent parfois de leur sens et de leur pertinence (notamment au regard d’un événement inédit tel que le Covid-19). Ceci est le résultat, le plus souvent, du travail des courtiers en faveur de leurs clients, lorsqu’ils introduisent dans le contrat un « intercalaire courtier » plus favorable aux intérêts de l’assuré. Ces clauses sont aussi le résultat d’une longue période de 15 années, achevée en 2019, durant laquelle la concurrence entre assureurs a été exacerbée : les prix baissaient et les garanties étaient plus larges.
Nombre de clauses de garantie sont rédigées de manière très large, avec parfois des omissions dans les définitions du contrat, donc en faveur de l’assuré. La Haute Cour de Londres a elle-même relevé dans une procédure spécifique à l’assurance des pertes d’exploitation dues au Covid-19 par 8 assureurs, sa décision du 15 septembre 2020, que, dans un euphémisme tout britannique, certaines polices d’assurance « ne sont pas exactement un modèle de clarté en termes de rédaction ».
Malgré la communication institutionnelle qui a souvent été faite sur ce thème, rares sont les exclusions stipulées dans les contrats qui sont valables contre le risque de Covid-19. Tout d’abord sur la forme, les exclusions mentionnées dans les contrats doivent respecter les dispositions du Code des assurances pour trouver à s’appliquer. Ensuite, sur le fond, de nombreux exemples d’exclusions font tout d’abord penser à l’assuré que les dommages liés au Covid-19 sont exclus. Cependant les termes de contaminations fongiques, intoxications, pollution et autres ne correspondent clairement pas au cas du Covid-19, comme l’ont déjà montré plusieurs décisions en France [3] et la décision de la Haute Cour de Londres précitée.
Enfin, il est à noter que certains contrats imposent des conditions géographiques, comme par exemple l’occurrence du sinistre dans un rayon de 25 kilomètres. Cependant, contrairement à l’argument très utilisé par les assureurs en cette période, cette condition n’implique presque jamais une exclusion dans le cas d’une épidémie prenant place à la fois dans et en dehors du rayon de 25 kilomètres. Il s’agit ici aussi de l’une des analyses de la décision de la Haute Cour de Londres, qui par le procédé du test case (procès fictif mais qui vaut jurisprudence) devance de plusieurs mois la jurisprudence française au sujet de la pandémie.
L’ensemble de ces éléments permet, aujourd’hui, à de nombreuses entreprises assurées d’espérer obtenir le bénéfice de leur garantie par leurs assureurs.
[1] Selon la FFA, 50% des entreprises ont souscrit un contrat d’assurance des pertes d’exploitation.
[2] Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, institution intégrée à la Banque de France.
[3] Par exemple, le Tribunal de Commerce de Paris, dans son ordonnance du 24 août 2020 sur une affaire entre un restaurateur et Axa, a estimé que l’absence de définition du terme “épidémie” a permis de considérer la clause d’exclusion du contrat supposément applicable comme étant non formelle, donc non applicable.