Le créancier retoqué


Droit commercial et économique

Nouvelle fable de La Fontaine : Mieux vaut se comporter en créancier paresseux qu’en créancier diligent : Cour de cassation, chambre commerciale, 3 mars 2021. Par Michel Ferrand.

Le créancier d’une société en liquidation suspectait le liquidateur de sa débitrice de complaisance vis-à-vis de l’ancien dirigeant qui avait racheté le patrimoine social à vil prix.
La fonction première du liquidateur est de préserver l’actif social afin de permettre le paiement des créanciers.

Le créancier, confronté à l’inaction du liquidateur, décide d’agir en lieu et place de ce dernier et exerce l’action paulienne – il agit au nom de sa débitrice dont le patrimoine a été dilapidé – contre l’ancien dirigeant pour reconstituer le patrimoine social.

Par ailleurs, ce même créancier a engagé une action en réparation contre le liquidateur lui-même, accusé de complaisance ou de négligence, puisqu’il n’a pas tenté de remédier à la dilapidation du patrimoine social.

La Cour de cassation ne permet pas à l’action du créancier contre le liquidateur de prospérer et lui enjoint d’attendre le résultat de l’action paulienne qu’il a lancée avant d’obtenir réparation.

La Cour d’appel avait pourtant donné raison au créancier et condamné le liquidateur complaisant. Ce dernier soulève en cassation l’argument selon lequel il ne saurait être condamné avant que le résultat de l’action paulienne du créancier soit connu, le préjudice réparé devant être certain.

La Cour de cassation fait droit au raisonnement du liquidateur. Le créancier, dont la créance n’est pourtant pas contestée, est contraint d’attendre l’issue de l’action qu’il a engagée en lieu et place de sa débitrice pour reconstituer son patrimoine social avant d’obtenir réparation auprès du liquidateur lui-même.

Cet arrêt consacre la faveur faite au débiteur par rapport au créancier : le créancier doit épuiser l’action engagée pour sauvegarder ses intérêts avant de demander réparation au liquidateur fût-il fautif. On aurait pu concevoir, la faute du liquidateur semblant établie, que le liquidateur soit condamné à payer quitte à ce qu’il se retourne contre l’ancien dirigeant qui avait appauvri le patrimoine social.

La Cour de cassation institue une prime à la paresse, le créancier s’est mordu les doigts d’avoir agi avec diligence pour tenter de mettre fin à une manœuvre frauduleuse plutôt que de s’en prendre directement au liquidateur.
La France démontre encore qu’elle est un pays de débiteurs et qu’elle cherche par tous moyens à préserver leur position par opposition aux pays de tradition romano-germanique, soucieux de la sécurité du crédit, plus favorables aux créanciers.