Droit social individuel et collectif
Les situations de harcèlement moral dont il est beaucoup question aujourd’hui peuvent, dans certains cas, dégrader la santé du salarié au point de rendre impossible le maintien de sa relation de travail avec son employeur et d’entraîner un avis d’inaptitude susceptible de conduire à son licenciement.
Au regard des évolutions législatives et jurisprudentielles, il importe de rappeler les éléments constitutifs de la notion de harcèlement moral, les obligations de l’employeur en la matière, ainsi que la procédure spécifique et les conséquences du licenciement pour inaptitude susceptible de s’ensuivre.
1/Sur les éléments constitutifs du harcèlement moral
Aux termes de l’article L1152-1 du Code du travail :
« Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique et mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».
Ainsi, et selon cet article, trois éléments permettent de caractériser le harcèlement moral :
Sur cette base, la liste des comportements susceptibles de constituer un harcèlement est inépuisable.
Sont ainsi considérés comme tels, à titre d’exemples :
Mais l’approche large du harcèlement moral permet aussi de condamner les méthodes de gestion mises en œuvre par un supérieur hiérarchique, lorsqu’elles se manifestent, pour un salarié déterminé, par des agissements constitutifs de harcèlement moral.
En ce sens également, l’ANI sur le harcèlement et la violence au travail conclu le 26 mars 2010 précise que « l’environnement de travail peut avoir une influence sur l’exposition des personnes au harcèlement et à la violence ». De même, il est indiqué que les phénomènes de stress, « lorsqu’ils découlent de facteurs tenant à l’organisation du travail, l’environnement de travail ou une mauvaise communication de l’entreprise, peuvent conduire à des situations de harcèlement et de violence au travail plus difficiles à identifier ».
Quant à l’atteinte effective ou potentielle aux droits, à la dignité, à la santé physique ou mentale ou à l’avenir professionnel du salarié, elle peut être démontrée par tous moyens, étant précisé que la gravité de cette atteinte est mesurée à l’aune des éléments de l’espèce et de son âge, notamment.
2/Sur le régime probatoire applicable en la matière.
Avant toute chose, le salarié doit établir la matérialité de faits précis et concordants permettant de présumer l’existence d’un harcèlement, et ce par tous moyens (attestations, échanges écrits ou autres).
En toute hypothèse, les éléments présentés par le salarié doivent être appréciés dans leur ensemble, et non isolément.
Dès lors que ces éléments de présomption ont été apportés par le salarié, il incombe à l’employeur de prouver qu’il n’a pas manqué à cette obligation.
3/ Sur l’obligation de sécurité de résultat pesant sur l’employeur.
L’article L1152-4 du code du travail met à la charge du chef d’entreprise une obligation de prévention du harcèlement, qui lui impose de prendre toutes dispositions nécessaires pour en empêcher la survenance.
En outre, l’article L 4121-1 du même code met à la charge de l’employeur l’obligation de protéger la santé physique et mentale de ses salariés, sur le fondement des principes généraux de prévention fixés par l’article L 4121-2, et ce au moyen d’actions de prévention des risques professionnels, d’actions d’information et de formation, et de la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.
La circulaire DGT n°2012-14 du 12 novembre 2012 précise que, dans le cadre de sa politique d’évaluation et de prévention des risques, l’employeur doit :
L’obligation de sécurité de résultat ne concerne pas uniquement la sécurité physique des salariés, mais également leur santé mentale, l’absence de faute de l’employeur ne pouvant pas même l’exonérer de sa responsabilité.
En d’autres termes, lorsque des agissements de harcèlement surviennent dans l’entreprise, l’employeur est considéré comme ayant manqué à son obligation de sécurité, dès lors qu’il ne justifie pas avoir pris toutes les mesures de prévention prescrites par le Code du travail.
4/ Sur les conséquences d’un licenciement pour inaptitude faisant suite à des actes de harcèlement moral et/ou à la violation, par l’employeur, de l’obligation de sécurité de résultat lui incombant à l’égard de son salarié.
En cas d’inaptitude, qu’elle soit ou non d’origine professionnelle, l’employeur est soumis à l’obligation de faire toutes recherches de reclassement pour le salarié, et, dans ce cadre, de lui proposer, sous le contrôle du médecin du travail, un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l’entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l’organisation, les activités ou le lieu d’exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.
Rappelons que l’emploi proposé est aussi comparable que possible à l’emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail.
Par ailleurs et par application de l’article L1226-10 du code du travail, cette proposition ne peut être faite qu’après consultation du CSE.
Le non-respect de cette obligation a pour sanction automatique la condamnation de l’employeur à verser au salarié une indemnité d’un montant égal à six mois de salaire.
Il s’agit en effet d’une garantie de fond, destinée à assurer l’effectivité du reclassement du salarié,
Au-delà de ce qui précède, un licenciement pour inaptitude résultant de faits de harcèlement moral s’analyse en un licenciement nul et le salarié doit être indemnisé à la mesure du préjudice qui en est résulté pour lui. Dans une telle hypothèse, le barême d’indemnisation fixé pour un licenciement abusif et variant en fonction de l’ancienneté du salarié (dit « barême Macron ») n’a pas vocation à s’appliquer et le salarié sera intégralement indemnisé, à hauteur de son préjudice effectif.
Ainsi est-ce notamment le cas lorsqu’il est démontré que l’inaptitude définitive d’un salarié à son poste de travail a pour origine son état dépressif réactionnel aux agissements de harcèlement moral dont il a fait l’objet au sein de l’entreprise.
Par ailleurs et dès lors que le salarié démontre que son inaptitude résulte au moins partiellement du comportement fautif de l’employeur, il est bien fondé à demander au juge prud’homal de reconnaître a posteriori le caractère professionnel de son inaptitude.
Cette reconnaissance aura pour effet de donner au salarié le droit à :
Confrontées à des problématiques de plus en plus fréquentes de harcèlement moral, tout employeur doit impérativement mettre en place des process lui permettant d’identifier en amont les situations à risque afin de prendre très tôt toutes les mesures nécessaires, et ce dans l’intérêt commun de l’entreprise et de ses salariés.