Les principes de non-discrimination et d’égalité de traitement appliqués à l’entreprise


Droit social individuel et collectif

L’objet du présent article consistera à faire un tour d’horizon des dispositions légales et de leur interprétation jurisprudentielle.

1/ Le principe de non-discrimination, tant directe qu’indirecte.

La discrimination peut être définie comme une distinction entre plusieurs personnes sur le fondement d’un critère considéré comme illicite. Il s’agit notamment de prohiber des distinctions arbitraires, qui consisteraient à traiter de manière différente des situations similaires. Les directives européennes disposent qu’une personne est victime d’une discrimination directe lorsqu’elle est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne le serait dans une situation comparable.

La loi française a transposé le principe général de non-discrimination fixé par les textes communautaires.

Ainsi, aux termes de l’article L1132-1 du code du travail, tel que modifié par la loi °2017-256 du 28 février 2017 – art. 70 :

« Aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, … notamment en matière de rémunération,…, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses mœurs, de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou de sa domiciliation bancaire, ou en raison de son état de santé, de sa perte d’autonomie ou de son handicap, de sa capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français. »

Ce principe de non-discrimination directe est complété par des dispositions sanctionnant la discrimination indirecte, définie comme «une disposition, un critère ou une pratique neutre en apparence, mais susceptible d’entraîner, pour l’un des motifs mentionnés au premier alinéa, un désavantage particulier pour des personnes par rapport à d’autres personnes, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour réaliser ce but ne soient nécessaires et appropriés. » (article 1 alinéa 2 de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, tel que modifié par l’article 70 de la loi n°2017-256 du 28 février 2017).

La discrimination indirecte suppose ainsi l’absence d’intention discriminatoire de la part de l’employeur qui ne prend pas une mesure explicitement fondée sur un critère discriminatoire mais dont les effets peuvent l’être. La particularité de ce type de discrimination, par rapport aux discriminations directes, est de porter l’attention sur les conséquences d’une mesure et non sur l’intention de l’employeur.

Ainsi, dans une série d’arrêts rendus en 2018 et 2019, la Cour de Cassation a-t-elle considéré que des cours d’appel avaient privé leur décision de base légale en déboutant des salariés de leurs demandes relatives à une gratification, au motif substantiel que les intéressés ne démontraient pas avoir subi de rupture d’égalité de traitement ou de discrimination résultant de leur âge, sans rechercher comme il le leur était demandé, si l’accord collectif dont résultait la privation de cette gratification ne créait pas une discrimination indirecte en privant les salariés ayant entre 31 et 34 années de service et relevant ainsi d’une même classe d’âge, de cette gratification , et, dans l’affirmative, si l’accord pouvait être justifié par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination et si le moyen mis en œuvre était approprié et nécessaire à la réalisation de l’objectif poursuivi (Cass. Soc., 3 octobre 2018, n°17-15.936 ; Cass. Soc., 17 octobre 2018, n°16-27.842 ; Cass. Soc., 30 janvier 2019, n°17-23.251 ; Cass. Soc., 17 avril 2019, n°17-16.643 ; Cass. Soc., 9 octobre 2019, n°17-16.642).

D’une façon générale et quels que soient son motif et sa forme, la discrimination indirecte est systématiquement réprimée par la Cour de Cassation comme par les juges du fond dès lors que les conditions susceptibles de la justifier ne se trouvent pas réunies (Cass. Soc., 9 janvier 2007, n°05-43.962 ; Cass. Soc., 6 juin 2012, n°10-21.489 ; Cass. Soc., 9 juillet 2015, n°14-12.779).

Quant à la charge de la preuve de la discrimination, il appartient au salarié de présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte. Puis, au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision était justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

La discrimination indirecte donne lieu à un rétablissement pur et simple du salarié dans ses droits ou, si cela s’avère impossible, à l’allocation de dommages-intérêts en réparation de l’intégralité du préjudice résultant de cette discrimination pour ledit salarié (Cass. Soc., 24 février. 2004, no 01-46.499 ; Cass. Soc., 23 novembre. 2005, no 03-40.826).

2/ Le principe d’egalite de traitement.

Le principe d’égalité de traitement constitue un principe général du droit de l’Union européenne, désormais consacré aux articles 20 et 21 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié. Une différence de traitement n’est justifiée que si elle est fondée sur un critère objectif et raisonnable, c’est-à-dire lorsqu’elle est en rapport avec un but légalement admissible poursuivi par la réglementation en cause, et que cette différence est proportionnée au but poursuivi par le traitement concerné.

En France, la jurisprudence a érigé un principe général d’égalité professionnelle entre tous les salariés, principe qui couvre l’ensemble des conditions de rémunération, d’emploi, de travail, de formation ainsi que toutes les garanties sociales accordées aux salariés.

Ce principe d’égalité de traitement a une portée plus large que la non-discrimination. Il s’agit d’une règle positive qui permet à des salariés relevant d’un groupe homogène de pouvoir disposer des mêmes droits et avantages. Il se comprend comme une limite à la liberté d’entreprendre et donc au pouvoir de direction de l’employeur. Il est toutefois admis de déroger à l’égalité de traitement à condition que cela soit justifié par des raisons objectives et pertinentes et que les règles déterminant les conditions d’éligibilité à la mesure soient préalablement définies et contrôlables. Dans le cas contraire, la rupture d’égalité de traitement est constatée (Cass. Soc., 12 juillet 2010, n°09-15.182 ; Cass. Soc., 4 décembre 2013, n°12-19.667 ; Cass. Soc., 13 décembre 2017, n°16-12.397).

En contraignant les employeurs à se déterminer de manière objective, le principe d’égalité permet de lutter contre l’arbitraire patronal.

Par ailleurs, il résulte d’une jurisprudence établie que les accords collectifs sont soumis au principe d’égalité de traitement en sorte que la Cour de Cassation a jugé que les différences de traitement que ceux-ci instaurent entre les salariés placés dans une situation identique au regard de l’avantage considéré doivent reposer sur des raisons objectives dont le juge doit contrôler la réalité et la pertinence (Soc., 1 juillet 2009, pourvoi n° 07-42.675, Bull. 2009, V, n° 168).

La jurisprudence écarte également l’application de dispositions conventionnelles différentes selon les catégories de salariés, lorsque les inégalités de traitement ainsi créées ne sont pas justifiées par des raisons objectives et pertinentes, en ce compris lorsqu’elles résultent d’un accord collectif.

A titre d’exemple, la Cour de cassation considère qu’un accord d’entreprise ne peut prévoir de différences de traitement entre salariés d’établissements différents d’une même entreprise exerçant un travail égal ou de valeur égale, que si elles reposent sur des raisons objectives dont un juge doit contrôler concrètement la réalité et la pertinence (Cass. Soc., 28 octobre 2009, n°08-40.457).

Il en va de même lorsque les salariés éligibles à la cessation anticipée d’activité sont exclus du processus de maintien de salaire prévu par le plan de sauvegarde de l’emploi (Cass. Soc., 9 juillet 2015, n°14-16.009).

De la même façon, la Haute Cour rappelle que les distinctions catégorielles ne peuvent justifier des différences de traitement (Cass. Soc., 20 mars 2019, n°17-19.289), ou encore qu’une différence de traitement instituée par un accord collectif uniquement sur la base de la présence du salarié à une date donnée sur un site désigné ne saurait être présumée justifiée (Cass. Soc., 3 avril 2019, n°17-11.970).

L’inégalité de traitement donne lieu, comme pour la discrimination indirecte, à un rétablissement pur et simple du salarié dans ses droits et/ou à l’allocation de dommages-intérêts en réparation de l’intégralité du préjudice résultant de cette discrimination pour ledit salarié.

Il appartient à tout employeur de veiller au respect de ces principes au sein de son entreprise, sauf à encourir un risque judiciaire avéré.