Focus sur quelques subtilités de l’application des critères d’ordre en cas de licenciement économique


Droit social individuel et collectif

Selon l’article L. 1233-5 du Code du travail, lorsque l’employeur procède à un licenciement pour motif économique, qu’il soit collectif ou individuel, et en l’absence de convention ou accord collectif de travail applicable, il définit les critères retenus pour fixer l’ordre des licenciements, après consultation du CSE. Ces critères prennent notamment en compte :

     1° Les charges de famille, en particulier celles des parents isolés ;

2° L’ancienneté de service dans l’établissement ou l’entreprise ;

3° La situation des salariés qui présentent des caractéristiques sociales rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile, notamment celle des personnes handicapées et des salariés âgés et en ce compris les salariés titulaires de contrats d’insertion ;

4° Les qualités professionnelles appréciées par catégorie ; précisons à cet égard que ce critère peut opportunément être lié aux évaluations annuelles ou pluri-annuelles effectuées dans l’entreprise, mais que d’autres éléments, en principe objectifs, peuvent entrer en ligne de compte.

C’est sur ces bases légales que les critères conduisant à identifier les salariés à intégrer dans le licenciement projeté doivent être définis et pondérés.

Les règles générales s’imposant à l’employeur pour fixer, pondérer et appliquer les critères d’ordre.

L’employeur peut privilégier un des critères cités ci-dessus, à condition toutefois de tenir compte de l’ensemble des autres critères prévus audit article. Il peut également en ajouter d’autres.

Il apparaît en effet que les critères d’ordre des licenciements sont définis par la loi de façon :

simplement indicative : l’adverbe « notamment » autorise l’addition de nouveaux critères à la liste légale, y compris par décision unilatérale de l’employeur ;

et supplétive : la formule « en l’absence de convention ou accord collectif de travail applicable » permet aux partenaires sociaux d’aménager les règles légales par voie de négociation collective ; en dernier recours, il appartient à l’employeur de définir les critères d’ordre, serait-ce de manière unilatérale.

En pratique, chaque salarié est rattaché à une catégorie d’emploi ou professionnelle. Des points sont affectés à l’ensemble des critères légaux ou conventionnels, selon une pondération décidée par l’employeur. Chaque salarié reçoit alors une note ou un coefficient totalisant les points qu’il a obtenus au titre de chaque critère. Les notes, points ou coefficients doivent être attribués à chaque salarié, au titre de l’ensemble des critères, sur la base d’éléments objectifs. Les salariés les moins bien notés sont désignés prioritairement pour un licenciement.

Un employeur a naturellement tendance à privilégier le critère tiré des qualités professionnelles afin de conserver à son service les salariés réputés les plus productifs ; la difficulté est alors pour lui de prendre en compte aussi les autres critères et, en outre, de s’appuyer sur des éléments objectifs. Il est en effet tenu de considérer tous les critères retenus, sans en exclure aucun.

Cette exigence demeure sous l’empire de la loi n° 2023-504 du 14 juin 2013 qui attribue aux juridictions administratives le contentieux de la légalité des décisions de validation ou d’homologation des projets de plans de sauvegarde de l’emploi. Le Conseil d’État a ainsi exclu, en l’absence d’accord collectif ayant fixé les critères d’ordre, qu’un document unilatéral de l’employeur puisse omettre l’un des critères ou l’affecter par avance de la même valeur fixe pour tous les salariés (par exemple, un point par salarié), sans modulation possible, dans le but de le neutraliser ; à moins qu’il soit « établi de manière certaine, dès l’élaboration du PSE, que, dans la situation particulière de l’entreprise et au vu de l’ensemble des personnes susceptibles d’être licenciées », aucune modulation ne pourra être matériellement mise en œuvre lors de la détermination de l’ordre des licenciements. Quand il existe dans l’entreprise un processus d’évaluation professionnelle des salariés, ses résultats doivent être pris en compte pour évaluer le critère des compétences professionnelles.

Le PSE « peut donner au critère des qualités professionnelles une pondération qui aboutit à ce qu’il ne puisse conduire, dans la plupart des cas, qu’à départager les salariés ayant obtenu, après application des autres critères légaux, le même nombre de points ».

La démarche est similaire en présence de critères conventionnels (c’est-à-dire définis d’un commun accord avec le CSE) : « l’employeur ne peut privilégier l’un des critères arrêtés pour fixer l’ordre des licenciements qu’après avoir pris en considération l’ensemble de ceux-ci »  : dans cette affaire, l’employeur avait basé sa décision sur le seul critère des charges de famille, alors que la convention collective mentionnait aussi l’ancienneté de service dans l’établissement et les qualités professionnelles des intéressés.

Le critère des qualités professionnelles est à la libre appréciation de l’employeur sauf détournement de pouvoir, erreur manifeste ou déloyauté.

Il a ainsi été jugé qu’un licenciement « n’avait pas de cause économique » parce que la décision de licenciement d’un salarié avait été « entachée de détournement de pouvoir dans le but de permettre la promotion d’un autre salarié » . Un semblable détournement ressort du constat que l’appréciation par l’employeur des qualités professionnelles d’un salarié a été faussée par sa volonté d’éviter le licenciement d’un salarié moins ancien, en raison du coût de ce licenciement pour l’entreprise.

Selon le préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 et l’article L. 1132-1 du Code du travail, nul ne peut faire l’objet de mesures discriminatoires en raison notamment de son âge ou de son état de santé. L’employeur devra toujours être en mesure de démontrer par des critères objectifs que son choix n’a pas été guidé par la volonté de se séparer d’un collaborateur trop âgé ou trop cher par exemple.

Les points nécessitant une attention particulière .

Les critères d’ordre s’apprécient au niveau de la catégorie professionnelle et non entre postes strictement identiques.

Les critères retenus s’apprécient toujours à l’intérieur de chaque catégorie professionnelle ou catégorie d’emploi. Lorsque la convention collective précise que l’application des critères s’apprécie par catégories d’emploi, le juge est tenu de rechercher dans la seule catégorie à laquelle appartient le salarié licencié si les critères prévus ont été respectés . L’employeur ne peut prétendre en faire application dans le cadre de sous-catégories .

La notion de catégories professionnelles, qui sert de base à l’établissement de l’ordre des licenciements, concerne l’ensemble des salariés qui exercent, au sein de l’entreprise, des fonctions de même nature supposant une formation professionnelle commune.

Ainsi, le respect des critères retenus pour fixer l’ordre des licenciements doit s’apprécier au sein de la catégorie des « chefs de service » lorsque le licenciement vise un chef comptable ou le chef d’un service départemental d’accueil des étrangers .

Sur la base de cette jurisprudence, les juges du fond tendent à considérer que tous les salariés qui se trouvent au même niveau de poste forment nécessairement une catégorie professionnelle unique alors même que leurs fonctions peuvent être éloignées les unes des autres, ce qui peut être source de difficulté.

Enfin, se pose la question de savoir si le regroupement de deux emplois entraîne la suppression d’un seul poste avec élargissement de l’autre, ou celle des deux postes en question.

Les difficultés d’appréciation auquel l’employeur peut être confronté en cas de suppression de deux postes et de création d’un nouveau poste.

S’il y a suppression d’un seul poste, dont les tâches sont dévolues à l’autre salarié déjà employé dans l’entreprise,  en surplus de ses tâches initiales, alors il y a suppression d’emploi qui appelle l’application des critères d’ordre dans les conditions définies ci-dessus, notamment entre les salariés occupant ces deux postes.

En revanche, s’il y a suppression des deux postes et création d’un nouveau poste, la question se pose avec acuité de savoir si, oui ou non, les critères d’ordre ont vocation à s’appliquer entre ces deux postes ; à notre sens, on devrait répondre par l’affirmative si le poste nouvellement créé est issu de la réunion des deux postes initiaux, et par la négative dans le cas contraire.

Ainsi, par exemple, s’il s’agit de réunir en un seul deux postes de directeurs commerciaux chargés de zones géographiques différentes, un seul poste est de facto supprimé et les critères d’ordre devraient départager les titulaires respectifs des deux postes initiaux ; si, au contraire, le poste nouvellement créé se distingue de la simple réunion des fonctions occupées par les deux directeurs commerciaux (champ d’activité plus large, responsabilités managériales et/ou opérationnelles plus importantes…), alors on doit considérer que les deux postes initiaux sont supprimés et il n’y a pas lieu d’arbitrer entre les deux titulaires de ces postes (si ce n’est dans le cadre de l’obligation de reclassement, qui est un autre sujet).

L’impact pour les salariés occupant deux postes appelés à être réunis en un seul n’est pas neutre puisque dans un cas, les critères d’ordre seront appliqués entre ces deux salariés et dans l’autre non.

Le cadre et les limites du double contrôle opéré par la DREETS.

Dans le cadre du PSE, la DREETS doit opérer un double contrôle, relativement intrusif dans la stratégie de l’employeur, sur la base de certains éléments ou indices .

Ce contrôle est beaucoup plus fort lorsque les critères d’ordre sont fixés unilatéralement par l’employeur. Il vise notamment à démasquer un détournement de la procédure à des fins de ciblage de certains salariés, autrement dit l’intention ou la mauvaise foi de l’employeur. Le contrôle subjectif traque notamment les motifs à caractère discriminatoire tels que l’âge, le sexe ou l’état de santé.

Le contrôle effectué par la DREETS est en revanche beaucoup moins approfondi en cas de conclusion d’un accord collectif sur le PSE, dans la mesure où il incombe aux représentants du personnel d’assurer la meilleure défense possible des droits et intérêts des salariés concernés.

Dans une telle hypothèse, la responsabilité des représentants du personnel est grande car les partenaires sociaux ont quasiment carte blanche pour la définition des catégories, la détermination des critères d’ordre et leur hiérarchisation.

En conclusion :

En pratique, certains points doivent être scrutés avec une attention toute particulière, tant par l’employeur que par le CSE :

-les critères d’ordre doivent être fixés avec le plus grand soin (tant dans leur détermination que dans leur pondération) ;

-le traitement des situations spécifiques liées par exemple à l’état de santé, au handicap ou encore aux difficultés particulières de réinsertion doit être anticipé;

-il ne doit y avoir aucune discrimination liée à l’âge ni à l’état de santé, c’est-à-dire que ces éléments ne doivent pas influer sur l’identification des salariés licenciés, si ce n’est pour les protéger ;

-dans l’hypothèse où un poste nouvellement créé est proposé à plusieurs salariés qui l’acceptent, le choix de l’employeur entre ces salariés doit être objectif et ni déloyal, ni discriminatoire. Ce point devrait également être traité par le CSE.

Précisons, pour être complets, que le non-respect des règles relatives à l’ordre des licenciements ne prive pas le licenciement de cause réelle et sérieuse. La Cour de cassation considère en effet que ce manquement de l’employeur n’a pas systématiquement pour conséquence le licenciement d’un salarié qui n’aurait pas dû être licencié, et ne peut donc pas « automatiquement » priver la rupture de cause réelle et sérieuse.

Ce manquement n’est donc sanctionné que par l’octroi de dommages-intérêts au salarié qui prouve avoir subi un préjudice. Mais, lorsque ce préjudice consiste, pour l’intéressé, dans la perte injustifiée de son emploi, le juge, dont l’appréciation est souveraine, a toute latitude pour lui accorder une indemnité d’un montant équivalent à ce qui lui aurait été accordé en cas de licenciement abusif. L’enjeu du respect de cette obligation est donc loin d’être neutre pour l’employeur comme pour le salarié.

  1.  CE, 1er févr. 2017 n° 387886
  2. CE, 22 mai 2019, n° 418090
  3. CE, 13 avr. 2018, n° 386376
  4. Cass. Soc., 8 avr. 1992, n° 89-40.739
  5. Cass. soc., 2 juin 1993, n° 92-41.282
  6. Cass. soc., 24 sept. 2014, n° 12-16.991
  7. Cass. soc., 20 janv. 1993, n° 91-43.247 ; Cass. soc., 30 juin 1993, n° 91-43.426
  8. Cass. soc., 23 mars 1994, n° 92-43.913
  9. Cass. soc., 13 févr. 1997, n° 95-16.648
  10. Cass. soc., 2 avr. 2008, n° 07-40.572
  11. Cour d’appel, Pau, Chambre sociale, 10 juillet 2007 – n° 05/00719
  12. CE, 7 févr. 2018, n° 399838 ; CE, 7 févr. 2018, n° 407718 ; CE, 7 févr. 2018, n° 403001
  13. Cass. soc. 26-2-2020 n° 17-18.136