Droit commercial et économique
La rupture de relations commerciales établies continue d’alimenter un important contentieux, les précautions imposées par l’article L.442-1, II, du code de commerce n’étant manifestement pas suffisamment maîtrisées par les entreprises.
La rupture d’une relation commerciale s’avère en effet tout aussi délicate que celle d’un contrat. Au demeurant, le respect scrupuleux des clauses de ce dernier n’exonère pas l’auteur de la rupture d’une éventuelle mise en cause de sa responsabilité sur le fondement du texte précité.
Reste que les conditions d’application de l’article L.442-1, II, reposent pour l’essentiel sur des interprétations jurisprudentielles sujettes à d’importants aléas. Ainsi, bien que la définition même des relations commerciales établies obéisse désormais à des critères bien ancrés, leur mise en œuvre pratique soulève systématiquement des débats.
Les décisions rendues par la Cour de cassation au cours des douze derniers mois viennent ou confirmer la jurisprudence antérieure ou lui apporter des précisions utiles.
1- Définition des relations commerciales établies
Sur ce point, la jurisprudence est constante : une relation commerciale établie doit présenter un caractère suffisamment prolongé, significatif et stable entre les parties, permettant à la victime de la rupture d’anticiper légitimement et raisonnablement pour l’avenir la persistance d’un flux d’affaires avec son partenaire commercial (Cass. com., 11.01.2023, 21-18299).
Une succession irrégulière de contrats de collaboration artistique, conclus à durée déterminée pour une ou deux saisons ou pour une collection spécifique, sans possibilité de reconduction à l’issue de la réalisation des travaux commandés, ne suffit pas exclure le caractère établi de la relation commerciale (Cass. com., 28.09.2022, 21-16209).
L’activité d’intermédiation en opérations de banque, définie à l’article L. 519-1 du code monétaire et financier, qui n’est ni une opération de banque, ni une opération connexe au sens de l’article L. 311-2, est soumise aux dispositions du code de commerce relatives aux pratiques restrictives de concurrence. La rupture d’un mandat d’intermédiaire en opérations de banque, est en conséquence soumise aux dispositions de l’article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, dans sa rédaction alors applicable (Cass. com., 06.04.2022, 20-18126).
2- Incidence des appels d’offres
Le recours systématique à des appels d’offres est de nature à conférer à la relation une précarité telle que cette relation ne peut être établie. Il en résulte qu’une relation fondée sur une succession de contrats à durée déterminée d’un an change de nature dès lors que le client décide de recourir chaque année, pour les années suivantes, à la procédure d’appel d’offres (Cass.com., 11.01.2023, 21-18299). La relation qui était jusqu’à cette date « établie » devient alors précaire, sa rupture n’étant pas de nature à engager la responsabilité du client. Un fournisseur ou prestataire se doit donc de contester le recours à l’appel d’offres auquel il n’était pas précédemment soumis s’il entend pouvoir se prévaloir des dispositions de l’article L.442-1 du code de commerce. Encore faut-il qu’il ait un intérêt commercial, a refusé ce mode de sélection.
Ni le fait que l’auteur de la rupture n’ait pas informé son partenaire de son intention de recourir systématiquement à l’appel d’offres ni le fait que ce partenaire ait été sélectionné à l’issue des consultations opérées ne sont de nature à écarter le caractère précaire de relations fondées sur des appels d’offres (Cass. com., 07.12.2022, 21-15649).
3- Poursuite d’une relation commerciale
En matière de rupture brutale d’une relation commerciale établie, la seule circonstance qu’un tiers, ayant repris l’activité ou partie de l’activité d’une personne, continue une relation commerciale que celle-ci entretenait précédemment ne suffit pas à établir que c’est la même relation commerciale qui s’est poursuivie avec le partenaire concerné, si ne s’y ajoutent des éléments démontrant que telle était la commune intention des parties (Cass. com., 07.09.2022, 22-12704).
4- L’auteur de la rupture
La circonstance que les établissements en cause aient eu une personnalité juridique distincte de celle de la société titulaire du réseau de magasins concernés n’exclue pas que celle-ci doive répondre d’une rupture des relations commerciales qu’elle aurait, de fait, imposée, à ces établissements de sorte que le juge doit rechercher si ces sociétés disposaient, quel que soit leur statut, d’une autonomie de décision quant au choix de leurs fournisseurs et, le cas échéant, la poursuite de leur relation commerciale avec ceux-ci (Cass. com., 22.06.2022, 21-14230).
5- Incidence d’une baisse de l’activité de l’auteur de la rupture
Dès lors que la baisse des commandes auprès de la société évincée n’est pas principalement due à l’absence des commandes importantes que l’auteur de la rupture attendait et qu’ainsi, cette dernière a volontairement réduit les commandes sans y être contrainte par la baisse de sa propre activité, la rupture des relations commerciales sans préavis est abusive (Cass. com., 19.10.2022, 21-17653). Cet arrêt confirme une jurisprudence dont les conditions d’application restent toutefois difficiles à cerner. En l’espèce, l’auteur de la rupture avait ici demandé à son fournisseur de réaliser d’importants investissements pour faire face à des commandes futures si bien qu’en réduisant ultérieurement ses propres commandes auprès dudit fournisseur, la rupture intervenue a été jugée abusive.
6- Exécution du préavis
Le préavis accordé à la suite de la rupture de la relation commerciale établie doit être effectif, de sorte que pendant cette période, la relation commerciale doit se poursuivre aux conditions antérieures, ce qui implique que les modifications qui peuvent lui être apportées pendant l’exécution du préavis ne doivent pas être substantielles (Cass. com., 07.09.2022, 21-12704). L’obligation d’exécution du préavis aux conditions antérieures ne fait pas obstacle à ce que l’auteur de la rupture oppose à son fournisseur des retards récurrents de paiement, à les supposer démontrés, pour réduire le crédit fournisseur, sans priver le préavis de son effectivité.
Lorsque les conditions de la relation commerciale établie entre les parties font l’objet d’une négociation annuelle, ne constituent pas une rupture brutale de cette relation les modifications apportées durant l’exécution du préavis qui ne sont pas substantielles au point de porter atteinte à l’effectivité de ce dernier. Ainsi, le changement de mode d’approvisionnement aux mêmes conditions tarifaires ne caractérise pas une modification substantielle de la relation commerciale interdite durant le préavis (Cass. com., 07.12.2022, 19-22538).
7- Rupture non abusive
Dès lors que les parties ont négocié le renouvellement éventuel du contrat arrivant à échéance dans le respect de l’expression et des droits de chacune, sans pression ou menace de la part de la société ayant mis fin aux relations, sans que ses revendications soient abusives, ni qu’un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties soit établi, la cour d’appel a pu rejeter la demande en réparation formée par la société évincée (Cass. com., 11.05.2022, 19-16749).
8- Indemnisation
La jurisprudence est là encore constante : seul doit être indemnisé le préjudice résultant du caractère brutal de la rupture, évalué en considération de la marge brute escomptée durant la période d’insuffisance de préavis (Cass. com., 07.12.2022, 21-17850). Une cour d’appel ne peut se fonder sur la seule marge sur coûts variables, sans déduire la charge de personnel au motif qu’il s’agissait d’une charge fonctionnelle, dès lors qu’une société tierce avait été condamnée à reprendre le personnel de la société évincée. La cour aurait dû rechercher si cette dernière avait néanmoins supporté des charges de personnel après la rupture.
Il résulte nécessairement de l’absence de préavis une baisse de chiffre d’affaires qui aurait dû être réalisé pendant la période de préavis (Cass. com., 16.03.2022, 20-19248).