Droit social individuel et collectif
L’arrêt rendu le 4 octobre 2023 par la Chambre Sociale de la Cour de Cassation s’inscrit un contexte législatif que nous rappellerons, avant d’exposer en quoi il constitue une nouvelle avancée protectrice de la salariée, contraignant les entreprises à une particulière vigilance en la matière (1).
1- Le contexte législatif.
Aux termes de l’article L1225-4 du code du travail, aucun employeur ne peut rompre le contrat de travail d’une salariée lorsqu’elle est en état de grossesse médicalement constaté, pendant l’intégralité des périodes de suspension du contrat de travail auxquelles elle a droit au titre du congé de maternité (et ce qu’elle use ou non de ce droit) et au titre des congés payés pris immédiatement après le congé de maternité, ainsi que pendant les dix semaines suivant l’expiration de ces périodes.
Précisons que cette protection débute à compter du moment où l’intéressée informe l’employeur de son état, sauf à ce que la salariée puisse prouver qu’il en avait connaissance avant.
Cette interdiction de principe trouve toutefois une exception, si l’employeur est en mesure de justifier soit d’une faute grave de l’intéressée, non liée à l’état de grossesse, soit de son impossibilité de maintenir le contrat de travail pour un motif étranger à la grossesse ou à l’accouchement. Dans l’une ou l’autre de ces hypothèses, il n’en demeure pas moins que la rupture du contrat de travail ne peut prendre effet ou être notifiée pendant les périodes de suspension dudit contrat, telles que mentionnées ci-dessus.
Par ailleurs, il résulte de l’article L1232-2 du même code que la lettre de licenciement doit comporter l’énoncé du ou des motifs invoqués par l’employeur.
Il ressort d’une jurisprudence fixée de longue date par la Chambre Sociale que l’énoncé, dans la lettre de licenciement, du motif justifiant le licenciement économique de la salariée ne suffit pas, à lui seul, à caractériser l’impossibilité de maintenir le contrat de travail pour un motif étranger à la grossesse ou à l’accouchement.
Ainsi, l’employeur doit expliquer spécifiquement en quoi la situation économique de l’employeur rend impossible le maintien du contrat de travail de la salariée pour un motif non lié à son état de grossesse. Il doit donc exposer non seulement les raisons économiques, c’est-à-dire l’élément causal (difficultés économiques, mutations technologiques ou réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité), l’impact sur le poste occupé par la salariée, mais aussi, plus précisément, les éléments particuliers caractérisant l’impossibilité de maintenir son contrat de travail (2).
La lettre est par conséquent insuffisamment motivée lorsqu’elle justifie l’impossibilité de maintenir le contrat de travail de la salariée par les seules difficultés économiques de l’employeur, la seule nécessité de sauvegarder la compétitivité de l’entreprise, la déstructuration d’un point de vente ou encore la fin d’un chantier (3).
Dans le même sens et de façon encore plus protectrice, la Cour de Cassation a récemment affirmé que le refus, par la salariée ainsi protégée, d’accepter une proposition de mobilité interne s’inscrivant dans le cadre d’un accord collectif de mobilité interne, ne constitue pas un motif suffisant, et ce alors même qu’aux termes de la loi, lorsqu’un salarié refuse l’application à son contrat de travail des stipulations d’un accord relatives à la mobilité interne, son licenciement repose sur un motif économique (4).
On comprend donc qu’en toute hypothèse, il ressort des dispositions combinées des deux articles précités que, sauf à encourir la nullité du licenciement, l’employeur doit impérativement énoncer dans la lettre de licenciement le ou les motifs spécifiques qui empêchent le maintien en poste de la salariée visée par un licenciement pour motif économique.
2- L’évolution représentée par ce nouvel arrêt.
Qu’en est-il lorsque la salariée, se trouvant en état de grossesse médicalement constaté à la date d’expiration du délai dont elle dispose pour prendre parti sur la proposition d’un contrat de sécurisation professionnelle (CSP), adhère au CSP qui lui a été proposé ?
Telle était la question nouvelle posée à la Cour de cassation qui a tranché ce point dans l’arrêt inédit du 4 octobre 2023, considérant que dans un tel contexte, l’employeur est, là encore, tenu de justifier, non seulement du motif économique à l’origine de la mesure, mais encore de l’impossibilité de maintenir le contrat de travail pour un motif étranger à la grossesse, et a donc rejeté le pourvoi formé par l’employeur.En l’espèce, une salariée enceinte qui s’était vu proposer un CSP par son employeur avait reçu un écrit l’informant du motif économique de la rupture, comme l’exige la jurisprudence constante de la Cour de cassation. Il s’avère toutefois qu’au-delà de ce motif économique, l’employeur n’avait pas justifié spécifiquement de l’impossibilité dans laquelle il se trouvait de maintenir le contrat de travail de cette salariée, pour un motif étranger à la grossesse ou à l’accouchement.
Estimant que la rupture de son contrat de travail, intervenue pendant la période de protection prévue par l’article L 1225-4 du Code du travail, était insuffisamment motivée, la salariée a saisi la juridiction prud’homale afin de solliciter la nullité de son licenciement.
Pour soutenir sa position, l’employeur invoquait le fait que l’acceptation d’un CSP par une salariée, même au cours d’une période de suspension de son contrat de travail à laquelle elle a droit au titre de son congé de maternité, emporte rupture d’un commun accord du contrat de travail, de sorte qu’il n’était pas tenu de justifier de l’existence d’une faute grave commise par la salariée ou de son impossibilité de maintenir le contrat de travail.
Rejetant l’argumentation de l’employeur, la Cour de cassation a donc approuvé la cour d’appel pour avoir prononcé la nullité du licenciement de la salariée.
La Haute Cour a tout d’abord rappelé sa jurisprudence constante selon laquelle l’adhésion du salarié au CSP, même si elle entraîne une rupture réputée intervenir d’un commun accord, constitue en réalité une simple modalité du licenciement économique qui ne prive le salarié d’aucun de ses droits (5).
Dès lors et lorsqu’un salarié adhère au CSP, l’employeur doit respecter les exigences de l’article L 1232-6 du Code du travail en matière de motivation du licenciement économique.
L’arrêt qui vient d’être rendu précise que dans une telle hypothèse, l’employeur doit en outre respecter les contraintes fixées par l’article L 1225-4 du Code du travail, le non-respect de cette obligation consistant, là encore, dans la nullité de la rupture. Ainsi est-il acté que l’adhésion par une salariée à un CSP ne peut pas permettre à un employeur de contourner l’application des dispositions protectrices de l’article L 1225-4 du Code du travail.
La Cour de cassation reprend ici un principe dégagé à propos du licenciement d’un salarié victime d’un accident du travail dont l’adhésion à un CSP ne le prive pas de la protection spécifique prévue par les articles L 1226-9 et L 1226-13 du Code du travail, similaire à celle dont bénéficie la salariée en état de grossesse (6).
Une question reste en suspens à la lecture de cet arrêt : l’employeur pourrait-il, dans une telle situation, faire usage de la procédure de précision des motifs de licenciement prévue par les articles L 1235-2 et R 1233-2-2 du Code du travail ?
La Cour de cassation a récemment jugé que, lorsque la rupture du contrat de travail résulte de l’acceptation par le salarié d’un CSP, le document par lequel l’employeur l’informe du motif économique de la rupture envisagée peut être précisé par l’employeur, soit à son initiative, soit à la demande du salarié, dans le délai de 15 jours suivant l’adhésion de ce dernier au dispositif (7).
Il n’en demeure pas moins que le ou les raisons empêchant l’employeur de maintenir dans son poste la salariée en état de grossesse dont le licenciement est projeté, ne constituent assurément pas une simple précision mais bien un motif de licenciement distinct de la cause économique et venant s’ajouter à celle-ci.
Il y a donc tout lieu de considérer que cette ou ces raisons doivent figurer dans l’écrit adressé à la salariée pendant le délai de réflexion dont elle dispose pour adhérer ou non au CSP.