La CCI de Nouvelle-Calédonie chiffre déjà à 200 millions d’euros le coût des émeutes dans l’archipel. Problème : les assureurs ont réduit leur degré de couverture pour ce type de risque et certains pourraient invoquer une « guerre civile » pour ne pas indemniser leurs clients.
La situation très tendue en Nouvelle-Calédonie a un coût humain élevé, avec cinq morts recensés depuis le début de l’insurrection contre la réforme électorale. Elle a aussi un coût économique considérable pour l’archipel de l’Océan indien, à l’économie déjà fragile.
Les trois premières nuits d’émeutes ont déjà causé 200 millions d’euros de dégâts, a estimé jeudi le président de la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) de Nouvelle-Calédonie. Soit 2 points du PIB annuel local. Une évaluation basée « sur le coût de construction, le stock, l’exploitation », a précisé David Guyenne à l’AFP, à l’issue d’une réunion avec le gouvernement de Nouvelle-Calédonie.
Il est encore trop tôt pour un chiffrage définitif, et la facture devrait encore grimper. La situation « reste très tendue, avec des pillages, des émeutes, des incendies, des agressions », a déclaré le Premier ministre Gabriel Attal, au lendemain du début de l’état d’urgence dans l’archipel.
Le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, réunira les assureurs la semaine prochaine « pour garantir une indemnisation rapide et juste du monde économique », a annoncé Bercy vendredi matin.
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Les compagnies d’assurance sont déjà en alerte. En particulier Allianz France, qui indique avoir «50.000 clients particuliers, professionnels et entreprises» en Nouvelle-Calédonie. Une forte expotision sachant que le territoire compte 269.000 habitants (pour 90.000 ménages) et 52.000 entreprises.
« Les faits constatés sur place semblent être, à peu près, de même nature que ceux constatés lors des émeutes de l’été dernier, qui avaient conduit à d’importants dégâts pour les collectivités concernées et leurs assureurs respectifs », explique de son côté la Maif, qui précise toutefois qu’elle n’a « pas d’exposition aux risques actuels ».
Sa filiale Smacl, premier assureur des collectivités locales, a essuyé de lourdes pertes en 2023 après s’être retrouvée en première ligne lors des émeutes urbaines consécutives à la mort du jeune Nahel, tué par un policier. Les incendies et dégradations de mairies, écoles et autres centres communaux lui ont coûté 200 millions d’euros, sur les 793 millions d’euros de dégâts à la charge de toute la profession, selon le décompte de la fédération France Assureurs.
Face à la pénurie d’assurance sur le marché du secteur public local, « la grande inconnue est le degré de couverture des collectivités calédoniennes », pointe Romain Dupeyré, avocat chez DWF.
La situation fait aussi écho à la préconisation récente de la mission Chrétien-Dagès et la commission des Finances du Sénat. Toutes deux demandent la création d’une assurance publique pour les dommages aux collectivités consécutifs à des émeutes, inspirée du régime d’indemnisation des catastrophes naturelles.
Pour tous les assurés calédoniens, qu’ils soient des particuliers, des entreprises ou des collectivités (l’Etat étant son propre assureur), « les garanties émeutes et mouvements populaires prévues dans la plupart des contrats de dommages aux biens vont s’appliquer, comme l’été dernier, affirme Jérôme Goy, avocat chez Enthémis. En revanche, les garanties ont souvent diminué et les franchises ont augmenté depuis deux ans ». Avec un reste à charge qui peut atteindre 500.000 ou un million d’euros par sinistre.
« C’est une conséquence du mouvement des Gilets jaunes et des émeutes de l’été dernier, mais aussi du durcissement du marché de l’assurance des entreprises depuis 2019 », poursuit l’avocat. Un « durcissement » qui se traduit par une hausse des tarifs et une baisse des niveaux de couverture pour les entreprises.
Reste à savoir quel qualificatif retiendront les assureurs pour la crise calédonienne. « On s’engage tout droit dans une guerre civile », a en effet déclaré mercredi le haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie, Louis Le Franc. Or, en droit des assurances, les guerres sont le plus souvent exclues des contrats.
« Le fait qu’un représentant de l’Etat utilise le terme de « guerre civile » crée une zone grise, estime Romain Dupeyré. Des assureurs pourraient être tentés d’invoquer cette cause pour refuser d’indemniser un client, car les guerres civiles sont moins fréquemment couvertes que les émeutes, les mouvements populaires et le vandalisme. »
Il y a toutefois une différence de traitement entre guerres étrangères et guerres civiles. « Dans le premier cas, l’assuré doit prouver que les dommages qu’il a subis ne sont pas causés par une guerre avec un autre Etat pour pouvoir être indemnisé, indique Jérôme Goy. Dans le second cas, c’est à l’assureur de prouver que les dommages sont la conséquence d’une guerre entre citoyens d’un même Etat [pour ne pas indemniser, si la garantie guerre civile n’est pas prévue dans le contrat]. C’est une situation a priori plus compliquée pour l’assureur, à qui revient la charge de la preuve ».
Par Amélie Laurin