Assurance des pertes liées au Covid et fermetures administratives des commerces. La Cour de cassation tranche le débat en faveur des assurés


Droit des assurances

Visiblement, dans des situations inédites et imprévues par les professionnels du risque, le doute a profité aux assureurs… jusqu’aux récents arrêts de la Cour de cassation. Pendant la crise du Covid, si les garanties de certains restaurants et magasins ont pu être actionnées, les compagnies d’assurance ont refusé de considérer les décrets « Covid » comme constitutifs de « fermetures » au sens des contrats d’assurance qui les prévoyaient, privant ces entreprises d’indemnités.

Or, de nombreuses cours d’appel ont suivi cette interprétation restrictive, des clauses contractuelles.

Le sujet est précisément le suivant : les textes empêchant l’accès aux lieux de vente, pris notamment par l’arrêté du 14 mars 2020 (1er confinement), n’empêchaient pas la vente à emporter ni le click & collect. Peut-on considérer qu’ils constituent une « fermeture » au sens des contrats d’assurance qui emploient ce terme comme une condition de garantie ?

Des décisions d’appel plutôt favorables aux assureurs

La jurisprudence des cours d’appel n’était pas uniforme sur ce sujet. Certaines cours d’appel ont considéré que « la fermeture administrative de son établissement[ restaurant] a été prononcée par une autorité administrative compétente, extérieure à l’assurée, suite à l’épidémie de coronavirus dit COVID 19 » (1). (2)

D’autres cours d’appel ont retenu qu’une fermeture était effectivement constatée «en présence d’une interdiction d’accueil du public et donc d’une fermeture administrative du 15 mars 2020 au 2 juin 2020 » (3).

Certaines cours ont clairement affirmé que « L’interdiction de recevoir du public […]doit bien être analysée comme une fermeture administrative totale ou partielle sans qu’il soit besoin de saisir préalablement la juridiction administrative d’une question préjudicielle sur ce point. » (4)

A l’inverse, de nombreuses cours se sont rendues aux arguments des assureurs, en estimant que les assurés ayant pu poursuivre une activité, bien que réduite, durant la pandémie (ventes à emporter ou livraisons), la « fermeture » au sens des contrats n’était pas constituée.

Par exemple « La fermeture d’un établissement signifie l’interdiction et/ou l’impossibilité d’y accéder, qu’elle soit matérielle ou juridique.. » (5). Par conséquent, « l’interdiction pour ces établissements d’accueillir du public autrement que pour les services de livraison et de vente à emporter, ou les autres restrictions afférentes aux capacités d’accueil ou aux heures d’ouverture, […] ne s’analysent pas en une fermeture. » (6)

Ces décisions ont, souvent, estimé qu’une mesure de fermeture administrative était un acte que seuls les préfets, les maires, et exceptionnellement le Ministre de l’Intérieur pouvaient prendre ; et que les textes « Covid » ne constituaient pas une fermeture en ce sens.

Suivant ce raisonnement «l’établissement dans lequel la société […] exploitait une activité de restauration n’a fait l’objet que d’une mesure administrative, générale et temporaire, d’interdiction de recevoir du public et non d’une fermeture administrative. » (7)

Le coup d’arrêt porté par la Cour de cassation

La Cour de cassation a mis au premier semestre de cette année un point final à la jurisprudence majoritaire des cours d’appel par deux arrêts de cassation successifs très clairs, concernant en l’espèce des activités de traiteur et de restauration.

Le premier énonce : « les clients et fournisseurs [évènementiel, hôtels, châteaux, salles de réceptions] de l’assurée relevaient des catégories visées par les mesures d’interdiction d’accueil du public, ce dont il résultait qu’ils avaient fait l’objet d’une fermeture sur ordre des autorités caractérisant leur carence au sens du contrat » (8).

Le second enfonce le clou : « le décret du 15 mars 2020 avait interdit aux restaurants d’accueillir du public, ce qui constituait une fermeture de l’établissement sur ordre des autorités au sens du contrat » (9).

Il n’est donc plus possible aujourd’hui pour les assureurs de finasser afin de refuser leur garantie sous le prétexte, par exemple, que le click & collect et la vente à emporter empêchaient de caractériser la fermeture des établissements assurés, et donc leur indemnisation.

Les conséquences sur le contentieux MacDonald’s/ MMA

Cette position de la Cour de cassation entre en contradiction frontale avec les jugements rendus en défaveur des restaurants MacDonald’s en 2023, et aujourd’hui en cause d’appel. Ces jugements, venant en application d’un unique contrat d’assurance, ont en effet tranché en faveur de MMA dans les termes suivants : « Si l’arrêté du 14 mars 2020 et le décret du 11 mai 2020 ont été manifestement émis par des autorités compétentes au sens de l’article 3.2.11 du contrat, l’analyse des textes montre qu’il n’est fait mention d’aucun ordre de fermeture , sauf en cas de violation de l’interdiction d’accueillir du public, […]. L’assimilation de l’interdiction d’accueillir du public à un ordre de fermeture revient donc à dénaturer l’article 3.2.11 du contrat. » (10)

Le contrat MMA pour MacDonald’s prévoit une garantie en cas « de l’ordre de fermeture émanant de toute autorité compétente ». Il a donné lieu à près de mille contentieux (un par établissement / franchisé ) pour un enjeu total des demandes de près de 1,2 milliard d’euros.

Le débat, propre à ce contrat, se concentrera donc peut-être désormais sur l’application, ou non, d’un unique plafond global de garantie (2,5 millions €), dont le débat sur l’ambiguïté rédactionnelle a donné lieu à des méthodes procédurales exceptionnelles : le tribunal de commerce de Paris a en effet entendu en juin 2023 le témoignage des négociateurs et rédacteurs du contrat d’assurance, celui des assurés, ainsi que celui des professeurs de droit intervenus à l’instance. On ne saurait donc, comme souvent, que trop conseiller :

Le « détail » rédactionnel est, ici, en passe de coûter plus d’un milliard à un assureur.

A l’occasion des Jeux Olympiques de Paris, ce sont les restaurateurs hélas qui ont souffert de nouveau. Outre la désertion des restaurants pendant l’été 2024, liée à la hausse du prix des transports, des logements, de la baisse d’affluence dans certaines zones de Paris, qu’en sera-t-il de l’indemnisation des restaurateurs pénalisés par les restrictions de circulation ? Sachant que la commission nationale mise en place par le gouvernement visant à indemniser ces commerçants pose des conditions relativement strictes pour leur permettre d’obtenir un dédommagement.

(1) Cour d’appel d’Aix-en-Provence, Chambre 1-4, 28 avril 2022, n°21/08363
(2) Cour d’appel de Nancy, 31 août 2022, n° 21/ 01801
(3) Cour d’appel de Nîmes, 4ème chambre, 6 avril 2022, n°21/03936
(4) Cour d’appel de Paris, 8 février 2023, n° 21/11045
(5) CA Toulouse, 4 octobre 2023, RG n°21/05059
(6) Cour d’appel de Rennes, 15 mars 2023, n° 21/02868
(7) Cour d’appel de Caen, 30 novembre 2023, n° 21/01043
(8) Cass. 2ème civ. 25 janvier 2024 n°22-14.739
(9) Cass. 2ème civ. 20 juin 2024 n°22-20.854
(10) TC Paris 26 oct. 2023 RG 2021038759