L’indemnisation des victimes d’actes de contrefaçon : une question irritante


Droit de la communication, publicité et promotion des ventes

L’indemnisation des victimes d’acte de contrefaçon relève incontestablement des questions irritantes. En dépit des dispositions spécifiques du code de la propriété intellectuelle, l’indemnisation des titulaires des droits reste trop souvent insuffisante.

Le constat n’est pas nouveau ainsi qu’en atteste un article du Professeur Michel Vivant paru dans le recueil Dalloz en 2009, « Prendre la contrefaçon au sérieux » : « Chacun sait, en effet, que les réparations octroyées sont dans l’immense majorité des cas dérisoires et la formule qui consiste, quand un droit n’est pas exploité, à condamner le contrefacteur à payer ce qu’il aurait payé s’il avait obtenu une licence est même une claire incitation à la contrefaçon ».

Dans une étude comparée sur les dommages et intérêts alloués dans le cadre des actions en contrefaçon en France, au Royaume-Uni et en Allemagne, de janvier 2014, le Ministère du Redressement Productif (étude réalisée par FIDAL INNOVATION, la DGCIS et FIDAL) constatait, sans réelle surprise, que « les montants des dommages-intérêts alloués par les tribunaux allemands et britanniques s’inscrivent dans des tranches plus élevées que ceux alloués par les tribunaux français ».

A qui la faute ? Au législateur, incapable de fixer des principes clairs ? Aux juges, réfractaires à la « monétisation » du procès ? A la victime – et à son avocat -, défaillante dans la preuve de ses préjudices et de leur quantification ? Aux préjudices, tangibles mais rebelles à toute méthode d’évaluation ?

Force est d’admettre que la « faute » est partagée. Axé sur la reconnaissance effective des droits de la victime et le bien fondé de la mise en cause du contrefacteur, le procès et, partant, la décision qui en résulte, aboutit, comme exténué par tant d’efforts, au constat, bâclé, des préjudices et de leur incompréhensible quantification.

Pourtant, les outils juridiques nécessaires pour corriger ce constat existent bel et bien : article L.331-1-3 du code de la propriété intellectuelle, barèmes et autres éléments de calcul de l’indemnisation due à la victime. Leur pleine application se heurte néanmoins à des réflexes judiciaires motivés par la hantise du « profit indu » et à la sacralisation du principe de la réparation intégrale, ainsi qu’à des pratiques peu rigoureuses quant à l’identification des préjudices et au calcul des dommages et intérêts.

Ces deux obstacles, juridique et factuel, n’ont rien de rédhibitoire si l’on daigne préférer aux formules creuses un minimum de rigueur juridique et de pragmatisme.

En synthèse de cette étude, on retiendra que :

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1. La sacralisation injustifiée du principe de la réparation intégrale

1.1 Le principe

S’agissant de la responsabilité civile de droit commun, le principe est bien connu : les dommages-intérêts alloués à une victime doivent réparer le préjudice subi sans qu’il en résulte pour elle ni perte ni profit (Cass. Civ. 2, 23.01.2003, 01-00200 – Cass. Com., 10.07.2024, 22-13423 – Cass. Civ 3, 27.06.2024, 22-24502 – Cass. Civ. 2, 25.04.2024, 22-17229). Le propre de la responsabilité civile est de rétablir, aussi exactement que possible, l’équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l’acte dommageable n’avait pas eu lieu, sans perte ni profit pour elle (Cass. Com., 12.02.2020, 17-31614).

L’application de l’article L.331-1-3 du CPI, en ce qu’il prévoit des dispositions spécifiques pour la réparation des préjudices résultant des atteintes aux droits d’auteur, aurait pu conduire les juges à s’affranchir de ce principe. Tel n’est pas le cas.

Ainsi, pour le tribunal judiciaire de Paris « le principe de la réparation intégrale implique une indemnisation du préjudice sans perte ni profit ». Il précise toutefois que « l’article L. 331-1-3 du code de la propriété intellectuelle, lequel emploie l’adverbe « distinctement » et non « cumulativement », commande une appréciation distincte des chefs de préjudice et non pas cumulative » (08.02.2023, 20/07552), démarche invitant à déployer toutes les potentialités de cette disposition.

Pour la cour d’appel de Paris (02.11.2022, 20/12306) « l’existence comme le montant du préjudice relèvent de l’appréciation souveraine des juges du fond, ce préjudice devant cependant être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour aucune des parties ». La cour retient toutefois « que selon la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, la directive 2004/48/CE vise à atteindre un niveau élevé de protection des droits de propriété intellectuelle, qui tient compte des spécificités de chaque cas et est basé sur un mode de calcul des dommages-intérêts tendant à rencontrer ces spécificités ». Elle n’en tire toutefois aucune conséquence pratique.

Elle juge encore le 10 septembre 2021 (18/28516) que « le calcul du montant des dommages et intérêts doit viser à garantir au titulaire du droit de propriété intellectuelle la réparation intégrale du préjudice qu’il a subi ». Exit l’article L.331-1-3.

C’est dans un jugement du 8 septembre 2023 que le tribunal judiciaire de Paris manifeste avec le plus clarté son adhésion pleine et entière au seul principe de la réparation intégrale. Il énonce en effet que les dispositions de l’article L.331-1-3 du CPI « doivent être interprétées à la lumière du principe de la réparation intégrale, en vertu duquel la partie lésée doit se trouver dans la situation qui aurait été la sienne en l’absence des faits litigieux, sans perte ni profit pour elle, ainsi que le prévoit aussi l’article 13 de la directive 2004/48 sur le respect des droits de propriété intellectuelle selon lequel les dommages et intérêts doivent être adaptés au préjudice que le titulaire du droit « a réellement subi du fait de l’atteinte » » (08.09.2023, 22/04531). Dans un jugement du 8 février 2023 (20/07552), ce même tribunal estime, tout en appliquant l’article L.331-1-3, que « le principe de la réparation intégrale implique une indemnisation du préjudice sans perte ni profit » (voir également TJ Paris, 31.01.2024, 21/14985).

De l’article L.331-1-3 que reste-t-il ? Rien ou presque.

1.2 Portée du principe

a) Une « constitutionnalité » limitée

Le principe de la responsabilité intégrale est parfois présenté comme un principe de valeur constitutionnelle et donc supérieur à des dispositions législatives. Tel n’est pas le cas.

Pour le Professeur Christophe Radé (« Liberté, égalité, responsabilité », Cahiers du Conseil constitutionnel n° 16, Juin 2004), « c’est bien le « principe même » du droit à réparation qui doit être garanti, et non pas son caractère intégral » le législateur ayant la faculté « pour concilier les intérêts en présence, d’aménager un « régime spécial » pouvant, le cas échéant, aménager les règles relatives au montant de la réparation ». Il estime, au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel que ce dernier « n’a donc pas consacré le principe de réparation intégrale, défini comme le principe imposant la réparation intégrale de chaque chef de préjudice » et que « seul a été consacré un principe de portée moindre que l’on pourrait qualifier de principe de la réparation de l’intégralité des préjudices ». On notera que cette jurisprudence s’inscrit essentiellement dans le cadre de la réparation des préjudices subis du fait des charges publiques et que le Conseil constitutionnel a pu, dans ce cadre, valider des mécanismes législatifs n’assurant pas aux victimes une réparation intégrale de leurs préjudices.

Hors l’intérêt supérieur de l’administration, rien ne semble faire obstacle à la justice la plus élémentaire : les préjudices subis par la victime doivent être effectivement intégralement indemnisés. A défaut d’outils d’évaluation mathématique, le principe, et c’est son rôle, fixe clairement l’objectif à atteindre.

b) Un « principe » susceptible d’aménagement contractuel

Le mécanisme de la clause pénale, visé à l’article 1231-5 du code civil, autorise dans un contrat à stipuler des dommages et intérêts punitifs. En effet, cet article dispose que « lorsque le contrat stipule que celui qui manquera de l’exécuter paiera une certaine somme à titre de dommages et intérêts, il ne peut être alloué à l’autre partie une somme plus forte ni moindre ».

Ainsi, les parties peuvent convenir que les dommages et intérêts dus par la partie défaillante excéderont les préjudices effectivement subis par la partie non défaillante.

Certes, ce même article prévoit que « le juge peut, même d’office, modérer ou augmenter la pénalité ainsi convenue si elle est manifestement excessive ou dérisoire ». Pour réduire le montant de la clause pénale, une « disproportion manifeste entre l’importance du préjudice effectivement subi et le montant conventionnellement fixé » doit toutefois être établie (Cass. Com., 11.02.1997, 95-10851). La clause ayant clairement un but comminatoire et dissuasif, le juge ne saurait en principe la dénaturer en réduisant la pénalité au montant des préjudices effectivement subis. L’expression « manifestement excessive » doit seulement permettre aux juges de modérer la « peine » non de la supprimer. Pour la Cour de cassation, la clause pénale n’a pas pour objet exclusif de réparer les conséquences d’un manquement à la convention mais aussi de contraindre le débiteur à exécution, son montant n’étant pas nécessairement égal à celui du préjudice (Cass. Com., 29.01.1991, 89-16446).

Si les juges ne peuvent, de toute évidence, allouer une somme inférieure au montant du dommage (Cass. Com., 08.07.1986, 84-15655), il ne peut refuser d’appliquer une clause pénale en l’absence de préjudice (Cass. Com., 23.03.1999, 97-11835). On ne saurait ici faire plus clairement exception au principe de la réparation intégrale.

c) Un principe malmené par la pratique

Le principe de la réparation intégrale se décompose en un premier principe selon lequel la victime doit être indemnisée de tout ses préjudices et en un second principe, moins évident en soi, selon lequel l’indemnisation allouée à cette victime ne doit pas l’enrichir.

Le plus souvent, ce second principe prédomine dans l’esprit des juges. La crainte d’un « enrichissement indu » de la victime semble les dissuader d’octroyer des indemnités trop élevées. C’est finalement préférer une « injustice » à une autre pour des motifs plus « psychologiques » ou « sociologiques » que juridiques. Pourtant, il nous semble que le risque d’un « enrichissement indu » de la victime est davantage justifié que celui d’un « appauvrissement indu » du fautif indépendamment de toute appréciation « morale » du comportement de ce dernier.

La sanction, fût-elle seulement civile, d’un comportement jugé préjudiciable, comporte nécessairement un aspect dissuasif. Toute personne est censée se conformer aux règles de droit lesquelles définissent une organisation sociale « idéale ». Il n’est du reste de règle de droit qu’imposée par l’autorité publique via une sanction. Or, le principe de la réparation intégrale, tel qu’il est aujourd’hui conçu, ignore totalement cet aspect : il a pour seul objectif de replacer la victime du dommage dans la situation dans laquelle elle se serait trouvée en l’absence dudit dommage. Obliger l’auteur d’un dommage à le réparer ne relève pas de la sanction dès lors, notamment, qu’il peut s’assurer contre ce risque ou en évaluer préalablement le coût pour en assumer le risque au regard du gain qu’il peut escompter en l’ayant provoqué. Pour le dissuader de causer un dommage, il doit donc « risquer » davantage que la seule indemnisation des préjudices subis par la victime.

L’indemnisation du préjudice moral soulève classiquement des objections dont, notamment, celle tirée de son « impossible » évaluation. Il est vrai qu’en matière commerciale, le préjudice moral d’une entreprise tenant, le plus souvent, à son image ou à sa réputation, les investissements en marketing et publicité peuvent donner une idée de la valeur financière de cette image ou de cette réputation. Mais comment évaluer telle ou telle atteinte à cette image ou réputation dès lors qu’il est impossible d’en mesurer précisément les conséquences ?

En tout état de cause, force est de reconnaître que les dommages et intérêts alloués au titre du préjudice moral relèvent de l’arbitraire même si les juges s’efforcent de recourir, consciemment ou inconsciemment à des « barèmes » correspondant aux « usages » du tribunal ou du juge saisi.

On voit mal comment ici le principe de la réparation intégrale pourrait trouver à s’appliquer si ce n’est dans l’obligation faite au juge de chiffrer un préjudice moral dont il aura préalablement constaté l’existence.

1.3 Incidence du pouvoir souverain des juges du fond

Le « pouvoir souverain des juges du fond » auquel renvoie constamment la Cour de cassation, confère aux tribunaux une – trop – grande liberté dans la quantification des préjudices. L’absence de contrôle du mode de calcul des dommages et intérêts conduit très souvent à des décisions obscures. Cette absence de contrôle est difficilement justifiable eu égard aux règles de droit qui sont ici applicables. Du reste, si « l’existence d’un préjudice et l’évaluation de celui-ci relèvent du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond » (Cass. Soc., 26.02.2020, 17-18136), il n’est pas rare que la Cour de cassation procède à tout le moins à un contrôle de la méthode utilisée par les juges.

Tel est le cas pour l’application de l’article L.331-3-1 du CPI. Dans un arrêt du 14 janvier 2020 (19-81.203), la chambre criminelle semble même se référer au principe de la réparation intégrale pour censurer la cour d’appel de ne pas avoir réparer l’intégralité des préjudices indemnisables visés par les dispositions spécifiques du code de la propriété intellectuelle. Elle reconnait ainsi que l’article L.331-3-1 du CPI instaure un mode spécifique d’indemnisation auquel les juges doivent se conformer sans qu’il y ait lieu d’en limiter les effets. Elle juge en effet que « le manque à gagner n’est qu’un élément de détermination du préjudice fixé par l’article L. 331-1-3 du code de la propriété intellectuelle » et qu’il appartient au juge de rechercher l’étendue du préjudice, dont il reconnait lui-même le principe, « pour le réparer dans son intégralité ».

Sur le pourvoi de la société Getty Images France reprochant aux juges du fond de l’avoir cumulativement condamnée à des dommages et intérêts ainsi qu’à la publication de la décision dans la presse et sur son site internet en violation, selon l’auteur du pourvoi, du principe de la réparation intégrale, la Cour de cassation, motif pris du pouvoir souverain des juges du fond, a rejeté l’objection, les juges n’ayant pas méconnu le principe (Cass. Civ., 12.06.2012, 11-10923). Cette référence au « principe » est pour le moins timide. Dès lors que l’article L.331-1-3 permet précisément d’y déroger, il semble bien ici que la réparation intégrale voulue n’est pas celle habituellement exigée mais celle que le texte du code de la propriété intellectuelle autorise.

Le principe général de la réparation intégrale ne saurait ainsi faire échec à l’indemnisation intégrale de l’ensemble des préjudices visés à l’article L.331-1-3 : bien au contraire, il devrait inciter les juges à s’attacher spécifiquement à chacun d’entre eux.

2. A quoi sert donc l’article L. 331-1-3 du CPI ?

Si le mode d’indemnisation des atteintes aux droits d’auteur fait l’objet de dispositions spécifiques, c’est bien qu’il doit déroger au mécanisme classique de la responsabilité civile. Mais en quoi ? Pour dissiper cet embarras, certains juges n’hésitent pas à raisonner comme si l’article L.331-1-3 n’était somme toute qu’une redite de ce qu’ils ont toujours jugé (voir notamment le jugement du tribunal judiciaire de Paris du 8 septembre 2023).

Dans leur ouvrage, « Traité de la propriété littéraire et artistique », les professeurs Lucas, Lucas-Schloeetter et Bernault écrivent sans détour que « le principe de la réparation intégrale … est désormais officiellement abandonné dans le domaine de la propriété intellectuelle » (LexisNexis, p. 995, n° 1273). Telle est l’opinion largement dominante de la doctrine.

L’article L. 331-1-3 ne se borne pas à renvoyer au mécanisme classique de la responsabilité civile mais institue un régime propre dont il faut bien voir en quoi il se distingue des dispositions du code civil. Outre, les classiques « manque à gagner », « pertes subies » et « préjudice moral », il vise les « autres » conséquences économiques négatives ainsi que les bénéfices réalisés par le contrefacteur.

Entre dommages et intérêts punitifs et réparation intégrale, l’indécision du législateur est manifeste : comment instaurer un mécanisme « dissuasif » tout en se bornant à réparer les seuls préjudices effectivement subis ?

2.1 La directive 2004/48

La directive prend soin de rappeler que les moyens de faire respecter les droits de propriété intellectuelle revêtent une importance capitale pour le succès du marché intérieur (point 3). Le point 26 traite spécifiquement du montant des dommages et intérêts.

En vue de réparer le préjudice subi du fait d’une atteinte commise par un contrevenant qui s’est livré à une activité portant une telle atteinte en le sachant ou en ayant des motifs raisonnables de le savoir, le montant des dommages-intérêts octroyés au titulaire du droit devrait prendre en considération tous les aspects appropriés, tels que le manque à gagner subi par le titulaire du droit ou les bénéfices injustement réalisés par le contrevenant et, le cas échéant, tout préjudice moral causé au titulaire du droit … Le but est non pas d’introduire une obligation de prévoir des dommages-intérêts punitifs, mais de permettre un dédommagement fondé sur une base objective tout en tenant compte des frais encourus par le titulaire du droit tels que les frais de recherche et d’identification.

Le recours à des dommages-intérêts punitifs est donc exclu. La directive se borne cependant à ne pas rendre obligatoire un tel mécanisme. La CJUE a ainsi pu juger que l’article 13 de la directive ne s’oppose pas à une réglementation nationale selon laquelle la victime peut demander au contrefacteur soit la réparation du dommage qu’il a subi, en tenant compte de tous les aspects appropriés du cas d’espèce, soit, sans que ce titulaire doive démontrer le préjudice effectif, le paiement d’une somme correspondant au double de la redevance due au titre d’une autorisation d’utilisation de l’œuvre concernée (25.01.2017, C-367/15).

Le texte européen ne se borne donc pas à rappeler le principe de la réparation intégrale.

Si tel était le cas, il n’aurait pas manqué de le dire et ce n’est pas en ce sens qu’il convient de lire l’article 13 de la directive. En effet, si la notion de dommages et intérêts punitifs est écartée, il n’en demeure pas moins que la directive européenne entend instaurer un mécanisme indemnitaire « dissuasif ». Le terme est cité à deux reprises.

L’aspect dissuasif, visé au point 27, est limité à la diffusion des décisions rendues dans les affaires d’atteinte à la propriété intellectuelle. Cependant, l’article 3, 2., de la directive dispose que « les mesures, procédures et réparations doivent également être effectives, proportionnées et dissuasives et être appliquées de manière à éviter la création d’obstacles au commerce légitime et à offrir des sauvegardes contre leur usage abusif ».

L’article 13 prévoit quant à lui que « les États membres veillent à ce que, à la demande de la partie lésée, les autorités judiciaires compétentes ordonnent au contrevenant qui s’est livré à une activité contrefaisante en le sachant ou en ayant des motifs raisonnables de le savoir de verser au titulaire du droit des dommages-intérêts adaptés au préjudice que celui-ci a réellement subi du fait de l’atteinte ».

Pour la cour d’appel de Nîmes, la stricte équivalence entre la réparation et le dommage, excluant toute idée de sanction et de profit – serait consacré par cet article dans le droit de l’Union européenne en matière de droit d’auteur (23.03.2017, 17/02096). Pourtant, il faut bien concilier les articles 3.2. et 13. A ce titre, l’article 13 se borne à rappeler qu’à tout le moins la victime doit être indemnisée à hauteur des préjudices qu’elle a subi. Il n’exclut pas en soi l’aspect dissuasif visé à l’article 3.2. Comment pourrait-il en être autrement dès lors que les bénéfices réalisés par le contrefacteur doivent pris en compte par le juge (article 13, 1., a)) ?

La Cour de justice de l’Union européenne rappelle dans un arrêt du 18 décembre 2019 (Aff. C-666/18) qu’il « ressort, en particulier, de l’article 3 de cette directive que les mesures, procédures et réparations nécessaires pour assurer le respect des droits de propriété intellectuelle doivent être … effectives, proportionnées et dissuasives et être appliquées de manière à éviter la création d’obstacles au commerce légitime et à offrir des sauvegardes contre leur usage abusif ».

2.2 Une majoration « punitive » nécessaire

L’argument, pour banal qu’il soit, n’en est pas moins déterminant : si le contrefacteur n’était tenu que de régler une indemnité correspondant à la somme qu’il aurait dû débourser pour souscrire une licence d’utilisation, on ne voit pas quel intérêt économique – toute considération morale mise à part – il aurait eu à solliciter l’autorisation du titulaire des droits. L’utilisation contrefaisante pourrait passer inaperçue et le contrefacteur n’aurait pris le risque que de payer … ce qu’il aurait dû payer.

L’indemnisation doit avoir un caractère dissuasif. Cet effet dissuasif profite non seulement à la victime – n’est-il pas juste que le droit la soutienne dans ses efforts préventifs ? – mais également à la collectivité en ce qu’elle permet de prévenir un comportement préjudiciable à la création et à l’activité économique.

L’article L. 313-1-3 consacre bel et bien l’existence, d’ores et déjà pratiquée par les tribunaux, de la « majoration financière » qui, faute d’être « punitive », doit être à tout le moins dissuasive.

2.3 Synthèse : une réparation « dissuasive »

L’article L.331-1-3 du CPI institue un mécanisme autonome d’indemnisation. Tout plaide en ce sens. A défaut, on ne voit pas quel serait l’intérêt de ce texte spécial au regard du principe général. Or, si le législateur a pris la peine d’édicter des règles spécifiques à la matière, c’est bien qu’il entend déroger au principe de la réparation intégrale.

C’est pourquoi, la position adoptée par le tribunal judiciaire de Paris selon lequel l’indemnisation prévue par l’article L.331-1-3 du CPI devrait être limitée par le principe de la réparation intégrale, est de toute évidence contraire à la loi.

Dans son étude comparée sur les dommages et intérêts alloués dans le cadre des actions en contrefaçon en France, au Royaume-Uni et en Allemagne, le Ministère du Redressement Productif rappelait que « l’effectivité de la sanction des atteintes à un droit de propriété industrielle constitue un enjeu important en matière de compétitivité et d’encouragement à l’investissement en matière d’innovation et de créativité ». Il précise que « cette effectivité, et son caractère dissuasif vis-à-vis des contrefacteurs sont fonctions du montant des dommages-intérêts octroyés, mais aussi des facteurs suivants : probabilité d’engagement d’une action judiciaire en cas de résistance à une réclamation amiable, probabilité et prévisibilité de succès d’une action judiciaire, probabilité de recouvrabilité des dommages-intérêts octroyés et coût d’une action judicaire ».

Si l’article 13 de la directive prescrit d’ordonner au contrefacteur de « verser au titulaire du droit des dommages-intérêts adaptés au préjudice que celui-ci a réellement subi du fait de l’atteinte », il est bien fait obligation au juge d’indemniser la victime à hauteur de ses « préjudices » tels que ces derniers sont répertoriés dans les textes applicables : le manque à gagner, les pertes subies, les autres conséquences économiques négatives, le préjudice moral et les bénéfices réalisés par l’auteur de l’atteinte aux droits. La réparation intégrale doit ici déployer tous ses effets quant au premier principe qu’elle implique. En revanche, le second principe selon lequel l’indemnisation versée à la victime ne doit pas l’enrichir, principe non repris par l’article 13 de la directive, doit nécessairement être écarté dès lors que le mécanisme spécifique d’indemnisation de l’article L.331-1-3 du CPI conduit théoriquement à une indemnisation de la victime supérieure au montant de ses préjudices. C’est à cette condition que l’effet dissuasif, voulu par la directive, peut être effectivement obtenu. En outre, une telle démarche ne heurte nullement le rejet des dommages et intérêts punitifs puisque l’indemnisation n’est pas fonction de la gravité des actes de contrefaçon ni de la bonne ou mauvaise foi du contrefacteur mais de la capacité de la victime et du juge à chiffrer aussi précisément que possibles les items visés par l’article L.331-1-3.

Ainsi, en pratique, deux obstacles de taille restent à franchir : la preuve des préjudices et celle de leur évaluation.

3. Modes d’indemnisation prévus par le code de la propriété intellectuelle

L’article L. 331-1-3 du CPI prévoit deux modes alternatifs d’indemnisation : un mode fondé sur les préjudices subis et un mode forfaitaire, ce dernier permettant de contourner la difficile évaluation de préjudices pourtant certains.

3.1 L’obligation faite au juge d’indemniser les préjudices constatés

Il appartient aux juridictions du fond de réparer, dans les limites des conclusions des parties, le préjudice dont elles reconnaissent le principe et d’en rechercher l’étendue (Cass. crim., 02.10.2024,23-84448 – Cass. crim., 06.05.2024, 23-84214). Ce principe est constamment rappelé par la Cour de cassation (Cass. crim., 23.04.2024, 23-84479 – Cass. crim., 15.11.2023, 21-86296 – Cass. civ. 2, 13.06.2019, 18-20547 – Cass. Crim., 21.02.2012, 11-80378)

Dès lors que l’existence d’un préjudice matériel est constatée, il appartient au juge, dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation, de chiffrer le préjudice subi par la victime en se fondant sur l’ensemble des éléments produits aux débats et, au besoin, après avoir ordonné une mesure d’instruction (Cass. crim., 14.06.2023, 22-81193). En refusant d’évaluer le montant d’un dommage dont elle constatait l’existence en son principe, une cour d’appel viole l’article 4 du code de procédure civile (Cass. civ. 2, 13.06.2019, 18-20547 – Cass. civ. 3, 06.02.2002, 00-10543).

Ainsi, dès lors qu’un préjudice est démontré et même dans l’hypothèse où il n’est pas précisément quantifié, le juge se doit de le chiffrer dans la limite de la demande formée par la victime. La quantification « mathématique » d’un préjudice n’a jamais constitué une condition de son indemnisation.

A la lecture de la jurisprudence des juges du fond, il apparaît clairement que ce principe est dans la plupart des cas ignoré, les juges écartant toute indemnisation au motif qu’il n’est pas établi dans son quantum.

L’obligation faite au juge d’indemniser les préjudices constatés devrait résoudre bon nombre des difficultés pratiques d’évaluation auxquelles sont confrontées les victimes. Malheureusement, faute pour les tribunaux de respecter cette obligation, des préjudices pourtant certains ne sont jamais réparés.

3.2 Mode analytique d’indemnisation : préjudice par préjudice

Au terme de l’article L.331-1-3 du CPI, pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :

1° Les conséquences économiques négatives de l’atteinte aux droits, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;

2° Le préjudice moral causé à cette dernière ;

3° Et les bénéfices réalisés par l’auteur de l’atteinte aux droits, y compris les économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de l’atteinte aux droits.

3.2.1 Appréciation distincte des chefs de préjudice

Les textes applicables seront ici étudiés au regard de l’indemnisation consécutive à l’utilisation non autorisée de clichés. Si l’exposé qui suit est transposable à l’ensemble des actes de contrefaçon, certains préjudices spécifiques ne seront pas ici abordés.

a) Position des tribunaux

La Cour de cassation rappelle que les juges ont l’obligation de s’expliquer sur les critères qu’ils doivent prendre en compte au titre de l’article L. 331-1-3, alinéa 1, du code de la propriété intellectuelle (Cass. Crim., 27.02.2018, 16-86881 – Cass. Crim., 15.02.2023, 21-84417). Pour fixer le préjudice matériel subi par la victime d’actes de contrefaçon de droits d’auteurs, le juge doit prendre en considération distinctement le gain manqué et la perte subis par la victime, et les bénéfices réalisés par l’auteur des actes de contrefaçon (Cass. civ. 1, 19.05.2021, 18-25191). De même, pour le tribunal judiciaire de Paris, « l’article L. 331-1-3 du code de la propriété intellectuelle, lequel emploie l’adverbe « distinctement » et non « cumulativement », commande une appréciation distincte des chefs de préjudice et non pas cumulative ». On ne peut qu’approuver cette démarche tant au regard du texte que de l’obscurité entretenue dans l’évaluation des préjudices.

Ce mode d’évaluation est en effet distinct du mode forfaitaire : il implique que chaque préjudice soit identifié, cette identification contraignant le juge à le quantifier dans la limite de l’évaluation chiffrée donnée par la victime (Cass. Crim., 14.01.2020, 19-81203 – Cass. Crim., 10.12.2013, 13-81572).

Logiquement, une telle approche devrait conduire à quantifier chaque chef de préjudice puis à additionner l’indemnisation retenue pour chacun d’entre eux (CA Nancy, 11.03.2024, 22/01816). Telle n’est pas la méthode suivie. Ainsi, pour la cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 19 octobre 2018 (17/00906), si les préjudices visés à l’article L.331-1-3 doivent être distinctement pris en considération, « pour autant [la cour] n’a pas nécessairement à procéder à un cumul de ces trois éléments, mais doit procéder au vu de ceux-ci à une juste appréciation des dommages et intérêts à octroyer ». De même, dans un arrêt du 25 janvier 2022 (019/2022), cette même cour estime qu’il convient, afin d’apprécier l’entier préjudice subi par victime, de prendre en compte distinctement les éléments énoncés à l’article L.331-1-3 sans en faire le cumul (voir également CA Versailles, 22.09.2022, 20/05798).

Pour la cour d’appel de Bordeaux, « les critères définis par les dispositions précitées n’ont pas vocation à aboutir à un cumul mathématique des indemnités susceptibles d’être calculées pour chacun des postes énumérés, mais à permettre la prise en considération de l’ensemble des conséquences subies par la partie lésée du fait des actes de contrefaçon dans toutes leurs composantes en vue d’une évaluation aussi complète qu’il est possible du préjudice dans ses différents aspects économiques et moraux incluant, dans cette perspective, tant les impacts négatifs des agissements reprochés que les avantages corrélativement retirés par leur auteur de façon à ce que celui-ci ne puisse pas, nonobstant la condamnation pécuniaire prononcée, en conserver un bénéfice subsistant » (CA, 25.01.2022, 19/00369).

Le tribunal judiciaire de Rennes a également jugé que « si le juge doit tenir compte de ces deux occurrences, pour évaluer le préjudice, ce dernier ne saurait équivaloir à un cumul entre les conséquences économiques négatives et les bénéfices réalisés par le contrefacteur » (TJ Rennes, 07.10.2024, 21/01974).

Pour le tribunal de Paris, « l’emploi de l’adverbe distinctement et non cumulativement exclut le cumul des points 1, 2 et 3, l’indemnisation de la contrefaçon étant soumise au principe général d’indemnisation du préjudice intégral, sans perte ni profit pour la victime » (12.01.2024, 22/05593).

b) Critiques

En écartant le cumul, sur le seul fondement d’une interprétation fort peu convaincante du terme « distinctement », les juges se donnent toute liberté, fût-ce au détriment des chiffres, pour quantifier l’indemnisation à accorder la victime. Qu’est-ce là donc si ce n’est la porte ouverte à l’arbitraire le plus complet ? En quoi une telle approche serait-elle juste et conforme à l’obligation d’indemniser tous les préjudices si chacun d’entre eux, même évalué à sa juste valeur, ne peuvent être cumulés ? 2+2 n’est plus égal à 4 mais à 1,3, 6 au gré d’un « pouvoir souverain d’appréciation » hors contrôle.

Il s’agit là d’une dérive grave qui met à mal tout le mécanisme. A quoi bon s’évertuer à quantifier précisément ses préjudices si pour le juge cette quantification n’est qu’un critère d’appréciation parmi d’autres.

« Prendre en considération » au sens de l’article L.331-1-3 ne serait qu’une aimable invitation à porter une attention formelle à chaque item visé par le texte pour se forger une opinion de ce que doit être la « juste » indemnisation de la victime, peu important les chiffres.

Une appréciation distincte de chaque préjudice implique une quantification distincte et donc un cumul des indemnisations retenues contrairement à ce qu’a retenu le tribunal judiciaire de Paris dans son jugement précité du 12 janvier 2024. Si, pour fixer les dommages et intérêts, le juge doit prendre en considération chacune des occurrences visées à l’article L.313-1-3, c’est bien qu’il doit les cumuler.

3.2.2 La notion extensive de « conséquences économiques négatives »

Si les 1° et 2° se réfèrent aux modalités habituelles de calcul des préjudices, on relèvera le renvoi à des « conséquences économiques négatives » qui ne se limitent pas aux seuls manque à gagner et pertes subies. On peut en conclure que la loi n’entend pas ici se référer au principe traditionnel de la réparation intégrale – tout le préjudice mais rien que le préjudice – mais à une conception extensive de l’appréciation des dommages.

La notion de « conséquences économiques négatives » renvoie nécessairement à autre chose qu’aux seuls manque à gagner et pertes subies. Un arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation du 15 février 2023 (n° 21-84.417 – voir également Crim., 27.02.2018, n° 16-86881), invite ainsi les juges du fond à s’expliquer sur les critères qu’ils doivent prendre en considération au titre de l’article L. 331-1-3 pour fixer le montant des dommages et intérêts dus à la victime d’une contrefaçon.

3.2.3 Les préjudices économiques

a) Le manque à gagner

Le manque à gagner correspond à la somme que le contrefacteur aurait dû régler pour utiliser le cliché. Il s’agit en premier lieu de la redevance de « base » correspondant à l’utilisation constatée, calculée conformément au tarif applicable. La prise en compte des majorations tarifaires pour des utilisations non conformes à la licence concédée (prolongation de la durée d’exploitation, utilisation en dehors du territoire convenu …) semble justifier dès lors qu’un licencié devrait les acquitter s’il outrepassait les termes de sa licence.

En pratique, il suffira ici de se reporter aux barèmes des prix – d’où leur intérêt – ou à des factures, devis et autres documents comptables permettant de définir le montant de la redevance et des éventuels suppléments qui s’appliquent.

A défaut, la victime peut toujours avoir recours à des barèmes usuellement appliqués dans la profession tels que, notamment, le barème UPP.

b) Les pertes subies

Les pertes subies sont variables. On peut en donner la liste suivante.

Hors les cas où la découverte de l’utilisation illicite est fortuite, les titulaires des droits peuvent mettre en place des procédures ou mécanismes de surveillance à l’instar de ce qui se pratique en droit des marques. Il est indéniable que de tels mécanismes ou procédures ont pour cause directe les utilisations illicites. On ne saurait donc reprocher aux titulaires des droits d’y recourir.

Pour évaluer le montant des dommages et intérêts dus à ce titre, on pourra se reporter aux frais effectivement engagés par le titulaire des droits. Sauf à considérer qu’un seul utilisateur non autorisé justifie à lui-seul l’engagement de ces frais, démarche quelque peu excessive, il faudra alors procéder à une évaluation individualisée, ce qui peut soulever des difficultés.

Il s’agit là, pour l’essentiel, du temps passé par la victime et des frais éventuellement liés à des outils, notamment logiciels, spécifiquement développés pour procéder à ce type de vérification.

Les frais de constat sont naturellement des frais indemnisables. Il en est de même de toutes les charges supportées pour la constitution des preuves notamment celles liées aux recherches effectuées par des prestataires spécialisés.

Il s’agit pour l’essentiel des frais postaux et du temps passé à rechercher une solution amiable. Le taux horaire de la personne en charge de ces démarches pourra utilement être communiqué.

c) Les autres conséquences économiques négatives de l’atteinte aux droits

Détenteur d’un monopole, le titulaire des droits s’en voit indûment privé par le comportement du contrefacteur. Or, ce monopole a en soi une valeur économique, celle notamment de déterminer les usages autorisés de son bien, faculté qui ne se confond pas avec le manque à gagner qui ne vise que la seule privation de la redevance qui aurait dû être payée pour l’usage litigieux.

La valeur du monopole du titulaire des droits est celle correspondant à la contrepartie que le titulaire des droits estime devoir percevoir pour y renoncer partiellement. C’est par la concession de licence qu’il accepte d’en transférer une partie à un tiers. Il nous semble donc logique d’évaluer cette valeur au regard du montant de la redevance que l’utilisateur indélicat aurait dû régler.

Cependant, la valeur ainsi retenue ne correspond qu’à une renonciation partielle volontaire au monopole. Par hypothèse, l’utilisateur indélicat a ici forcé la main du titulaire des droits. C’est contraint par l’usage non autorisé qu’il a dû renoncer à l’exercice de son monopole.

La valeur économique du monopole ainsi bafoué devrait donc être évalué au montant de la redevance augmentée de la marge de négociation dont le titulaire des droits a été privé du fait de l’usage non autorisé.

Reste à déterminer le mode de calcul de cette « augmentation ». On peut ici, une nouvelle fois, se référer aux barèmes : quel aurait été le montant de la redevance si le contrefacteur avait été autorisé à faire usage du cliché pour l’utilisation dont le prix est supérieur à celui de la redevance due pour l’utilisation constatée ? Par exemple, si la redevance qui était due correspond à un usage dans les pages secondaires d’un site, c’est la redevance due pour un usage en page d’accueil qui sera retenue.

L’augmentation pourrait encore être calculée en appliquant un pourcentage au montant de la redevance : 50%, 100%, 200% … Il est d’usage d’appliquer un pourcentage pour le calcul des « suppléments » tel que, par exemple, un usage secondaire ou une prorogation de la durée d’utilisation.

Ce sont tous les frais engagés par la victime pour prévenir les utilisations illicites tel que le marquage ou l’abonnement à des services de veille.

Sans doute faudra-t-il prendre garde à bien distinguer ces frais de ceux liés à la recherche et à la détection de l’utilisation non autorisée.

Même si ce préjudice peut s’analyser comme une simple perte de chance, il n’en demeure pas moins que les pertes de chance constituent des préjudices indemnisables. Là encore, on pourra se référer au barème ainsi qu’à des factures.

Cette dévalorisation est parfois assimilée à un préjudice moral (CA Paris, 12.01.2024, 22/02206 – Fiche n° 15, Réparation atteinte droit PI).

Cependant, pour cette même cour, « l’utilisation d’une photographie à des fins commerciales, pour la vente de cigarettes électroniques et d’accessoires afférents, dans une version dénaturée, a incontestablement banalisé et affaibli sa valeur économique » (CA Paris, 13.06.2017, 15/10847). Le préjudice moral résulte de ce que la photographie a été nécessairement banalisée du fait de son utilisation frauduleuse (TJ Bordeaux, 25.04.2023, 19/11607).

L’utilisation non autorisée d’un cliché implique nécessairement un contournement illicite du processus de vente mis en place par le titulaire des droits. Les investissements réalisés à ce titre par ce dernier le sont ici, par hypothèse, en pure perte.

3.2.4 Le préjudice moral

Le préjudice moral visé par le texte ne se confond pas avec les atteintes aux droits moraux des auteurs, lesquelles appellent naturellement une indemnisation dont le quantum est pour le moins aléatoire. C’est dire, une nouvelle fois, que le « principe de la réparation intégrale » subit là comme ailleurs de sérieuses entorses.

En associant un cliché à un contexte dévalorisant, l’utilisateur indélicat porte atteinte à la valeur économique du cliché, l’association opérée étant de nature à dissuader un potentiel utilisateur de l’utiliser.

Un autre aspect de ce préjudice tient à l’utilisation du cliché selon des procédés qui ne sont jamais autorisés par le titulaire des droits. En toute rigueur, il ne saurait ici s’agir d’un préjudice économique puisqu’aucune exploitation identique ou similaire à celle effectuée indûment n’est précisément possible. Les restrictions apportées par le titulaire des droits sont généralement motivées par des considérations déontologiques – exploitation exclusivement éditoriale par exemple – artistiques – risque de dévalorisation esthétique du cliché – ou « morale » – refus de promouvoir certaines activités (armement, énergies polluante, partis politiques …). Il s’agit bel et bien d’indemniser, non une perte économique, mais l’atteinte à une « valeur morale » effectivement défendue par le titulaire des droits ou qui lui est imposée par l’auteur ou un tiers.

Le titulaire des droits, exploitant d’une banque d’images, qui, par hypothèse ne peut se prévaloir du droit moral des auteurs, est parfaitement fondé à faire état d’un préjudice moral personnel lorsque le contrefacteur omet de mentionner, comme il est d’usage et requis par les licences d’exploitation, son nom et, partant, la source du cliché. On peut du reste s’interroger sur la nature de ce préjudice lequel comporte un aspect patrimonial lié à la privation de l’effet publicitaire attaché à la mention du nom de l’exploitant.

Ce préjudice est assimilé à un préjudice moral par la Fiche n° 15 relative à la réparation des préjudices résultant de l’atteinte à des droits de PI élaborée par le groupe de travail mis en place par la cour d’appel de Paris. Il relèverait davantage, semble-t-il, des autres conséquences économiques négatives.

3.2.5 Les bénéfices réalisés par le contrefacteur

Pour d’éminents auteurs, la prise en compte des bénéfices réalisés par le contrefacteur conduit nécessairement à une « indemnisation au-delà du préjudice » (A. Lucas, H.J. Lucas, A. Lucas-Schloetter, Traité de la propriété littéraire et artistique, Lexis-Nexis, n° 1115 – C. Caron, Droit d’auteur et droits voisins, Lexis-Nexis, n° 580).

Les bénéfices réalisés par le contrefacteur doivent être évalués distinctement des préjudices visés au 1° et 2°. Ces bénéfices ne se réduisent pas à la marge réalisée par le contrefacteur du fait de la commercialisation de produits contrefaisants. La notion de « bénéfices » doit s’interpréter largement pour inclure tout avantage économique, commercial ou marketing, dont le contrefacteur a indûment profité du fait de l’utilisation, sous quelque forme que ce soit, de l’œuvre contrefaite. En visant les économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels que le contrefacteur a retirées de l’atteinte aux droits, le texte invite à une large appréciation de la notion de « bénéfices ».

La cour d’appel de Paris rappelle ainsi que les bénéfices réalisés par le contrefacteur comprennent les économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels (CA Paris, 12.01.2024, 22/02206 – CA Paris, 29.01.2021, 19/04589).

La cour d’appel de Bordeaux a ainsi condamné un contrefacteur au titre du profit qu’il a réalisé du fait d’une publicité à moindre coût (CA Bordeaux, 12.11.2012, 11/06712).

L’utilisation non autorisée d’un cliché conduit le contrefacteur à faire l’économie non seulement du prix de la redevance qu’il aurait dû payer mais également du prix et des frais qu’il aurait dû engager pour réaliser ou faire réaliser le même cliché. Dépêcher un photographe professionnel, muni d’un appareil performant, à l’autre bout du monde pour la réalisation d’un cliché nécessitent des investissements conséquents : prix de la prestation, assurance, transport, hébergement …

En s’abstenant d’engager de tels frais, il est clair que le contrefacteur en fait l’économie et, partant, réalise indirectement un bénéfice, les charges correspondantes non assumées augmentant d’autant son résultat.

L’utilisateur non autorisé a fait l’économie d’investissements qu’il aurait été contraint d’engager s’il avait fait l’effort de développer ses propres créations (TJ Marseille, 08.11.2018, 16/09005).

3.3 Mode forfaitaire

La juridiction peut, à titre d’alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si l’auteur de l’atteinte avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n’est pas exclusive de l’indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée.

Cette méthode d’indemnisation peut s’avérer utile quand il est mathématiquement impossible de quantifier les conséquences économiques négatives ainsi que les bénéfices du contrefacteur. Mais là encore, son aspect dissuasif est très souvent ignoré par les juges. En outre, elle présente un caractère manifestement arbitraire dès lors que le coefficient multiplicateur applicable au montant de la redevance est laissé à la totale appréciation du juge.

Si l’octroi d’une indemnité forfaitaire est subordonné à une demande expresse de la victime, le juge ne semble pas tenu de retenir ce mode de calcul (Cass. Crim., 15.02.2023, 21-84417).

Si les juges n’y sont pas défavorables, l’indemnité forfaitaire peut encore susciter des réticences. Ainsi, pour la cour d’appel de Versailles, si le titulaire des droits a opté pour le forfait, cela témoigne, selon elle, de la faible consistance du préjudice qu’il dit subir (02.11.2021, 20/04533) …

Il incombe à la partie qui sollicite, exclusivement, l’indemnisation forfaitaire de son préjudice de fournir tout élément utile notamment quant au prix de la licence conventionnelle que le contrefacteur aurait dû payer (CA Paris, 02.11.2022, 20/12306).

Le mode de calcul de la « majoration » est là encore totalement obscur. Ainsi, pour la cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 11 janvier 2022 (006/2022), « c’est par de justes motifs en fait et en droit adoptés par la cour que le tribunal, après avoir relevé que le montant total non discuté de la redevance due à la SPEDIDAM pour les exploitations secondaires litigieuses s’élève à la somme de 23.592,47 euros … a retenu que les atteintes portées aux droits des artistes interprètes justifient qu’il soit fait droit à la demande d’octroi d’une indemnité forfaitaire d’un montant de 25.000 euros ».

Pourtant, la Cour de cassation, abandonnant aux juges du fond l’évaluation de cette indemnité forfaitaire, s’en tient à la seule lettre de la loi en validant le calcul des cours et tribunaux dès lors que la réparation forfaitaire n’est pas inférieure aux droits qui auraient été dus (Cass. crim., 13.10.2015, 14-88485). Comme le souligne le Professeur Pollaud-Dulian en commentaires de cet arrêt, « l’effet dissuasif est entièrement mis de côté » (Sanctions civiles. Calcul du forfait, RTD Com. 2016 p.121).

Une brochure tarifaire permet de déterminer le montant du manque à gagner eu égard à la durée d’utilisation du cliché. L’article L.331-1-3 du CPI imposant au juge un chiffrage supérieur au montant des redevances dues, le préjudice subi est évalué en appliquant à ces redevances un coefficient multiplicateur de trois (TJ Bordeaux, 25.04.2023, 19/11607).

Le montant des dommages et intérêts est fixé à quatre fois le montant de la redevance par le tribunal judiciaire de Bordeaux dans un jugement du 6 avril 2023 (20/07988).

L’indemnité doit être supérieure au montant de la redevance si bien qu’une majoration égale à cette redevance est justifiée. En utilisant l’image d’un tiers, la défenderesse s’est épargnée la peine et les frais relatifs à la recherche voire à l’élaboration d’une image originale (TJ Marseille, 08.06.2023, 21/02823).