Droit social individuel et collectif
La procédure de licenciement pour motif économique est complexe et comporte de nombreux pièges, à tous les niveaux, et ce qu’il s’agisse des modalités de la remise du contrat de sécurisation professionnelle (CSP), de la justification des motifs économiques, ou encore des conditions de validité des offres de reclassement.
Rappelons tout d’abord comment se caractérise le motif économique justifiant un licenciement sur ce fondement (1/), avant de préciser le cadre général de l’obligation de reclassement (2/), puis d’évoquer la dernière décision rendue à ce sujet par la Cour de Cassation, et ses conséquences (3/).
1/ Le motif économique.
Aux termes de l’article L1233-3 du code du travail, les difficultés économiques sont caractérisées soit par l’évolution significative d’au moins un indicateur économique tel qu’une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, des pertes d’exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.
Ce même article précise que ces indicateurs ne sont pas exclusifs et que tout autre élément de nature à justifier des difficultés est recevable.
En principe et au regard de la rédaction de cet article, un seul de ces indicateurs pourrait suffire à caractériser de telles difficultés :
-la baisse des commandes ou du chiffre d’affaires rend compte de difficultés que connaît l’entreprise sur le marché des biens et services dont elle est actrice ;
-la dégradation de la trésorerie met en évidence des complications financières ;
-les pertes d’exploitation ou la baisse de l’excédent brut sont révélatrices d’un problème de rentabilité.
Ainsi chacun des indicateurs rend compte, de manière parcellaire, des difficultés rencontrées par une entreprise et peut être de nature à justifier, en tant que tel, un licenciement économique.
L’analyse de la jurisprudence révèle toutefois que les juges ont tendance à prendre en compte l’intégralité des données comptables, financières et économiques pour caractériser les difficultés économiques qu’affronte l’entreprise. Ce faisant, ils procèdent à une évaluation circonstanciée de la situation de l’entreprise, interprétant et croisant les informations dont ils sont destinataires.
Quant à la période sur laquelle ces difficultés sont analysées, elle dépend de l’indicateur considéré et de la taille de l’entreprise.
Il convient de préciser que cette comparaison doit théoriquement s’opérer au moment de la notification de la rupture du contrat de travail, ce qui n’est matériellement pas possible compte tenu de l’anticipation que nécessite une telle procédure ; il en résulte que si une amélioration des différents indicateurs se profile, alors la procédure doit être menée le plus rapidement possible.
S’agissant des autres indicateurs (pertes d’exploitation, dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation), la loi ne fixe pas de critère de durée pour l’appréciation de leur évolution. La jurisprudence considère que des difficultés passagères ne suffisent pas et que l’entreprise doit pouvoir démontrer une certaine persistance de ses difficultés.
En toute hypothèse, le ou les indicateurs économiques dont l’entreprise entend se prévaloir doivent avoir subi une évolution négative significative (et non simplement mineure), l’importance et l’impact de cette évolution étant laissés à l’appréciation du juge. En d’autres termes, les difficultés économiques doivent être réelles et suffisamment sérieuses pour justifier la suppression d’un ou plusieurs emplois, leur transformation ou la modification des contrats de travail, cet élément relevant de l’appréciation des juges.
Par ailleurs, l’article précité dispose que, sauf fraude, les difficultés économiques s’apprécient au niveau du secteur d’activité commun à l’entreprise et aux entreprises du groupe auquel elle appartient, établies sur le territoire national.
En d’autres termes, on ne tient pas compte de la situation des autres sociétés du groupe situées hors de France pour évaluer la réalité des difficultés économiques de celle qui procède aux licenciements.
La loi réserve le cas de la fraude, à savoir l’organisation artificielle de difficultés économiques au sein de la société en cause ; dans une telle hypothèse, la situation des entreprises situées hors de France serait également prise en compte.
Le secteur d’activité permettant d’apprécier la cause économique du licenciement est caractérisé, notamment, par la nature des produits, biens ou services délivrés, la clientèle ciblée, ainsi que les réseaux et modes de distribution se rapportant à un même marché.
Dès lors que les sociétés du groupe relèvent toutes du même secteur d’activité, les difficultés économiques doivent être appréciées au niveau du groupe situé sur le territoire national et non de la seule société employeur.
Relevons également que le comportement de l’employeur peut être pris en compte dans l’appréciation du caractère réel et sérieux du licenciement, étant néanmoins précisé que le juge judiciaire n’est pas pour autant admis à s’immiscer dans la gestion de l’entreprise, l’employeur étant le seul maître du choix de la solution qui lui apparaît la meilleure pour enrayer les difficultés de son entreprise.
Ainsi, par exemple, le fait que le groupe soit confronté à une contrainte de remboursement liée à une cession par LBO et à des acquisitions réalisées depuis n’a pas pour effet de priver les licenciements de cause réelle et sérieuse, même si une partie des résultats procède de faits qui ne sont imputables qu’à des choix de gestion.
Enfin, pour justifier un licenciement, les raisons économiques invoquées doivent emporter un effet direct et nécessaire sur l’emploi du salarié, qui s’apprécie concrètement au niveau de l’entreprise.
Le juge examinera donc le caractère sérieux de la suppression d’emploi par rapport à la cause invoquée. Cela étant, la suppression d’emploi n’implique pas que les fonctions du salarié licencié soient supprimées, celles-ci pouvant être réparties entre les salariés demeurés dans l’entreprise ou être confiées à des tiers non-salariés.
S’il s’agit, en revanche, de transformer un emploi à temps complet en emploi à temps partiel, ou encore de le transformer en modifiant les fonctions du salarié ou en réduisant son périmètre de responsabilités, alors il s’impose de proposer au salarié une modification de son contrat de travail pour motif économique, selon une procédure spécifique, l’éventuel licenciement ne pouvant alors s’ensuivre qu’au terme de cette procédure et en cas de refus du salarié.
2/ Le cadre général de l’obligation de reclassement.
Dans le cadre rappelé ci-dessus, l’obligation de reclassement est prévue à l’article L. 1233-4 du code du travail qui dispose :
« Le licenciement pour motif économique d’un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d’adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l’intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l’entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l’entreprise fait partie et dont l’organisation, les activités ou le lieu d’exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel. […] ».
Cette obligation de reclassement est applicable quel que soit l’effectif de l’entreprise ou le nombre de salariés concernés par le licenciement économique et elle s’applique en tout état de cause.
Au fil des décisions, la jurisprudence s’applique à préciser les contraintes nombreuses pesant sur l’employeur en la matière.
Sont concernés tous les postes disponibles, relevant de la même catégorie que celui que le salarié occupe ou, à défaut, d’une catégorie inférieure.
Dès que le licenciement est envisagé et avant toute notification de licenciement, les offres doivent être adressées de manière personnalisée à chaque salarié, ou diffusées sur liste à l’ensemble des salariés dans les conditions précisées à l’article D1233-2-1 du code du travail : critères de départage, délais de candidature, mentions des critères de l’offre.
En tout état de cause, elles doivent être écrites et précises (intitulé du poste et son descriptif, nom de l’employeur, nature du contrat de travail, localisation du poste, niveau de rémunération, classification du poste).
Si le salarié accepte l’une des offres qui lui est faite, alors le licenciement économique n’a pas lieu.
Si, en revanche, il refuse toutes les offres, alors il est licencié.
S’il s’avère que l’obligation de reclassement n’a pas été respectée, cela prive automatiquement le licenciement de cause réelle et sérieuse, , même si l’employeur prouve le bien-fondé du motif économique et la suppression du poste.
3/ L’apport de l’arrêt du 23 octobre 2024.
Dans un arrêt du 23 octobre 2024, la Cour de Cassation vient de préciser la nécessité, pour l’employeur, de respecter strictement les exigences fixées par la loi quant aux offres de reclassement présentées au salarié concerné par une procédure de licenciement pour motif économique (Cass. Soc. 23 octobre 2024 n°23-19629).
Que se passe-t-il si l’une des informations exigées par la loi fait défaut dans l’offre de reclassement ? Cela constitue-t-il une simple irrégularité ou un manquement substantiel constituant une violation de l’obligation de reclassement et privant donc le licenciement de cause réelle et sérieuse ?
Dans l’affaire en question, un employeur avait transmis à une salariée une offre de reclassement rédigée de la manière suivante : « Un poste de magasinière à Onet-le-Château avec reprise de votre ancienneté et au même niveau de rémunération » .
La salariée avait refusé cette offre, quitté l’entreprise dans le cadre d’un CSP, puis contesté son licenciement en arguant que l’offre de reclassement était insuffisamment précise dans la mesure où elle n’indiquait pas la classification du poste et mentionnait sans précision « au même niveau de rémunération ».
À première vue, les éléments essentiels constitutifs d’une offre de reclassement paraissaient respectés, puisqu’étaient indiqués l’intitulé du poste, la rémunération et le lieu de travail, et que la salariée avait le loisir de demander des précisions si elle était intéressée par ce poste. L’employeur soulignait également que la mention « au même niveau de rémunération » était suffisamment claire, et que l’absence des autres caractéristiques du poste ne pouvait constituer qu’une simple irrégularité.
Cependant, ces arguments ont été rejetés par la Cour d’appel, qui a estimé que l’offre était imprécise, car elle ne mentionnait ni le nom de l’employeur, ni l’adresse de l’entreprise, ni la classification du poste, ni la nature du contrat. Elle en a déduit que l’employeur n’avait pas respecté son obligation de reclassement et que le licenciement était sans cause réelle et sérieuse.
La salariée, ayant 33 ans d’ancienneté, a obtenu le montant maximal d’indemnisation prévu par la loi, soit 20 mois de salaire. La Cour de Cassation a validé cette décision.
Relevons que les juges avaient pourtant constaté les difficultés économiques et la nécessité d’une réorganisation pour assurer la compétitivité de l’entreprise.
Cette jurisprudence souligne la nécessité, pour les employeurs, d’être particulièrement vigilants lors de la rédaction des offres de reclassement, toute imprécision pouvant s’avérer extrêmement coûteuse, nonobstant la réalité et la gravité des difficultés économiques auxquelles ils se heurtent.