Actualité récente des pactes d’actionnaires


Droit des sociétés

Trois arrêts récents de la Cour de cassation nous apportent des précisions sur des questions importantes concernant les pactes d’actionnaires, particulièrement en matière de durée du pacte, de déterminabilité des prix de cession et enfin d’articulation entre les statuts et les conventions extra-statutaires.

Les praticiens devront tirer les conséquences de ces arrêts dans la rédaction des pactes d’actionnaires.

Le pacte d’associés conclu pour la durée de la société a une durée déterminée

La question de la validité d’un pacte d’associés conclu pour la durée de la société a fait l’objet de nombreux débats doctrinaux, sans qu’une position claire se dégage de la jurisprudence.

C’est désormais chose faite, grâce à un arrêt rendu le 25 janvier 2023 (n° 19-25478) par la 1ère chambre civile de la Cour de cassation.

Se prononçant sur avis rendu par la chambre commerciale, la 1ère chambre civile, rappelle tout d’abord le principe de la prohibition des engagements perpétuels (art. 1210 du Code civil) et les sanctions attachées à de tels engagements (pas de nullité, mais une faculté de résiliation unilatérale du contrat).

Puis, la Cour érige en exception le sort du pacte d’associés conclu pour la durée de vie de la société. La Haute juridiction a en effet considéré, au visa des articles 1134, al. 1 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et article 1838 du même code, qu’il « résulte de la combinaison de ces textes que la prohibition des engagements perpétuels n’interdit pas de conclure un pacte d’associés pour la durée de vie de la société, de sorte que les parties ne peuvent y mettre fin unilatéralement ».

Il était jusqu’ici communément considéré qu’un pacte d’associés conclu pour une durée égale à celle de la société concernée constituait (eu égard à la durée de la vie humaine) un engagement perpétuel, prohibé par l’article 1210 du Code civil. Dès lors, toute partie au pacte pourrait y mettre fin unilatéralement.

Cela conduisait les praticiens à prévoir, dans les pactes d’actionnaires, des durées de vie limitées souvent à une dizaine d’années.  Ces durées étaient donc davantage inspirées par la recherche de la sécurité juridique plutôt que par les circonstances mêmes de l’opération.

La Cour de cassation a considéré, contrairement à la Cour d’appel d’Aix-en-Province, que la durée de la société, bien que longue, demeure une durée déterminée.

Cette décision peut être rapprochée de l’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation du 21 septembre 2022 (n° 20-16994) dans laquelle la chambre commerciale avait considéré, au sujet d’un pacte d’associé dont l’échéance interviendra en 2088 que « les engagements perpétuels ne sont pas sanctionnés par la nullité du contrat mais chaque contractant peut y mettre fin à tout moment, sous réserve de respecter le délai de préavis contractuellement prévu ou, à défaut, un délai raisonnable », ce qui est conforme à l’article 1210 du Code civil (dans sa version postérieure à la réforme de 2016). Toutefois, dans cette espèce la Cour de cassation n’avait pas précisé que l’engagement issu du pacte était à durée déterminée.

La décision plus récente de la 1ère chambre civile apporte donc une réponse claire aux problématiques rencontrées par les praticiens lors de la rédaction des pactes d’associés, ouvrant la voie à des pactes conclus pour la durée de la société si cela est justifié par les caractéristiques de l’opération. D’un point de vue strictement pratique cette durée peut aussi induire quelques difficultés, telle qu’un défaut de maitrise de la durée du pacte par les minoritaires en cas de modification de la durée statutaire de la société.

Un prix de cession des titres simplement plafonné n’est pas un prix déterminable 

Dans son arrêt du 21 septembre 2022 (n° 20-16994) susvisé, la chambre commerciale de la Cour de cassation était également appelée à se prononcer sur le caractère déterminable d’un prix de cession d’actions.

Au cas d’espèce, une clause du pacte prévoyait que le prix ne pouvait pas dépasser le prix d’achat de ces mêmes titres effectués dans les deux ans précédant l’évènement déclencheur de la cession. Le demandeur au pourvoi, rejoint par la Cour, a alors reproché à l’arrêt attaqué de ne pas avoir recherché si ce simple plafond rendait le prix déterminable. La Cour de cassation a considéré que la cour d’appel, n’ayant analysé que le plafond sans vérifier si la seule prévision de celui-ci rendait le prix déterminable a ainsi privé sa décision de base légale.

L’arrêt du 21 septembre 2022 de la Cour de cassation rappelle le principe de l’article 1591 du Code civil prévoyant que le contrat de vente peut ne pas porter en lui-même l’indication du prix, à condition que ce prix soit déterminable et qu’il ne dépende pas de la seule volonté d’une des parties ni d’un accord ultérieur entre elles.

Bien que cet arrêt n’apporte pas d’innovation importante en la matière, il est l’occasion de rappeler l’importance à attacher à la rédaction des clauses relatives à la détermination du prix, et notamment aux éventuelles interactions entre plusieurs clauses.

En tout état de cause il est clair pour ceux qui pouvaient en douter encore que la seule référence a un prix plafonné n’est pas suffisante pour rendre le prix déterminable.

Un acte extrastatutaire ne peut déroger aux statuts de SAS en matière de gouvernance 

Dans un arrêt du 12 octobre 2022 (n° 21-15382), la Cour de cassation a rappelé que ce sont les statuts de la SAS qui fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée, et notamment les conditions de révocation de son directeur général.

Cette décision, qui prolonge l’arrêt du 25 janvier 2017 (n° 14-28792) vient apporter une limite importante aux dérogations possibles par les pactes d’associés en matière de direction des SAS, et incite les praticiens à une grande vigilance dans la rédaction des pactes d’associés en vue d’assurer leur bonne articulation avec les statuts.

Il est très intéressant de noter que la Cour précise que les actes extrastatutaires peuvent compléter les statuts, mais ne doivent pas y déroger.

Cette décision, qui interprète de manière très large le domaine réservé par la loi aux statuts, renforce l’intérêt des stipulations statutaires relatives à l’articulation entre les statuts et les actes extrastatutaires (pactes d’associés, mais aussi conventions de prestations de management), les statuts pouvant toujours renvoyer à une convention extra statutaire le soin de préciser l’organisation et le fonctionnement des organes de gouvernance de la société.

Pour les praticiens la ligne de crête est donc de veiller à ce que les pactes d’actionnaires (ou autres conventions extra statutaires) ne dérogent pas formellement aux statuts mais les complètent.