Adoption des normes européennes d’information en matière de durabilité


Droit des sociétés

Les ESRS conduisent à mettre en place des mécanismes d’une grande complexité pour sauvegarder l’environnement (I) ce qui suscite des critiques de principe et de méthodologie (II).

Le 1er janvier 2024 est entré en vigueur le règlement délégué 2023/2772 de la Commission en application des directives 2013/34 et 2022/2464 imposant aux entreprises la publication à leur rapport de gestion d’informations concernant la « durabilité ».

Ceci fait suite à l’adoption du « Pacte vert » européen et à la volonté d’engager les entreprises dans une démarche de préservation de l’environnement dans ses composantes sociétale, humaine, climatique et de biodiversité.

Pour ce faire, le droit de l’Union impose aux entreprises de rapporter, en utilisant des techniques comparables à celles utilisées pour les états financiers, toutes les informations pertinentes permettant de mesurer leur l’impact sur l’environnement et l’impact de leur environnement sur leur activité. Il fallait donc élaborer des normes précisant les informations à révéler, la méthode de sélection, les critères d’importance rendant nécessaire la publication, les possibilités de contrôle et les finalités devant inspirer des acteurs au long du processus. C’est l’objet des ESRS (European Sustainability Reporting Standard) ou normes européennes d’information en matière de durabilité dont l’élaboration a été confiée à une association de droit belge: l’EFRAG, et dont la production a été revue au terme d’un processus complexe par une dizaine d’institutions européennes. Ce processus a déjà été évoqué à l’occasion de notre précédent article relatif à l’élaboration et à l’adoption de la directive CSRD que vous trouverez ici. Il est relaté à ce même article le champ d’application des entreprises concernées et les dates d’entrée en vigueur des obligations de publication par catégorie d’entreprises visées.

1- Description et modalités des ESRS

A- Objet et description des ESRS

Les ESRS comportent deux premières normes, générales, décrivant l’architecture de l’ensemble normatif et les obligations de publication générales s’imposant en toutes circonstances, et des ESRS sectorielles auxquelles l’entreprise doit se soumettre si elle intervient dans les secteurs concernés. On s’attachera ici à donner un aperçu des deux premières ESRS dont la publication vient d’intervenir et il convient, pour en avoir une vue d’ensemble, de se référer au règlement délégué 2023/2772 du 31 juillet 2023.

Les ESRS obligent les entreprises à la publication d’indicateurs, les IRO, (Incidences, Risques et Opportunités) décrivant l’évolution de l’environnement sur leur activité et l’impact de leur activité sur l’environnement. La Commission a quelque peu tempéré l’obligation générale de publication pesant sur les entreprises pensée par l’EFRAG, en assujettissant l’exigence de publication au critère de double importance (la « double matérialité » anglo-saxonne) qui sera évoqué ci-après. Cependant, il existe une dérogation à la dérogation, certains IRO devant être publiés par l’entreprise quelle que soit l’appréciation de leur importance.

Les IRO se décomposent en deux concepts avec d’une part les Incidences qui se rapportent aux conséquences positives ou négatives de l’évolution de l’environnement sur l’entreprise et de l’activité de l’entreprise sur son environnement dans ses dimensions présente, future et potentielle et, d’autre part, les Risques et Opportunités qui se rapportent quant à eux à l’impact positif ou négatif, du point de vue financier, des dépendances aux ressources matérielles, humaines et sociales.

L’entreprise doit décrire obligatoirement ses processus de gouvernance et sa stratégie afin qu’il soit possible de s’assurer que le fonctionnement de l’entreprise garanti que le processus de publication des IRO sera mené à bonne fin.

L’entreprise doit également publier des « métriques et cibles », autrement dit les données chiffrées décrivant la situation présente et les objectifs à atteindre afin qu’il soit possible de suivre par des indicateurs quantitatifs l’évolution de sa politique.

L’ESRS 2 décrit les IRO devant être publiés mais indique, à toutes fins utiles, que si une entreprise juge qu’une information ne figurant pas dans la liste des IRO est pertinente elle doit être publiée, de sorte que les IRO décrits par la norme ne sont pas exhaustifs.

Les déclarations effectuées par l’entreprise doivent être pertinentes, fidèles, comparables, vérifiables et compréhensibles et elles sont assujetties au test de la double importance.

B- La double importance :

La double importance est le test auquel l’entreprise se soumet pour décider, en conjonction avec d’autres acteurs, si certaines informations doivent être publiées. Les autres acteurs, internes ou externes à l’entreprise, sont les individus ou groupes d’intérêts sur lesquels l’entreprise influe ou pourrait influer. Cette collectivité est définie comme étant les «Parties Intéressées». Ce processus de décision par les Parties Intéressées n’a pas nécessairement pour finalité de satisfaire ces mêmes parties mais doit être au service de la compréhension de l’impact du fonctionnement de l’entreprise pour une autre population définie comme étant celle des «Utilisateurs». Ces derniers sont les investisseurs, les créanciers, les gestionnaires d’actifs, les partenaires commerciaux, les syndicats, les salariés, les organisations non-gouvernementales, les pouvoirs publics, et les autorités de marché sans que cette liste puisse être considérée comme exhaustive. Les informations publiées doivent satisfaire aux exigences des Utilisateurs qui doivent disposer d’informations suffisantes pour se forger une opinion sur la politique de l’entreprise.

L’appendice B de l’ESRS 1 indique qu’une information est utile pour les « Utilisateurs » si elle peut avoir une valeur prédictive, infirmative ou confirmative et qu’en cela elle peut affecter le processus de décision de l’Utilisateur.

Le cercle des décideurs et des bénéficiaires des ESRS étant ainsi posé, il convient de caractériser ce qu’est la double importance. Il s’agit de l’importance en matière d’Incidence (autrement dit le volet environnemental) et du point de vue des Risques et Opportunités (autrement dit les conséquences financières). L’entreprise doit donc révéler à son rapport de gestion toute information en rapport avec l’environnement (au sens du climat, de la biodiversité et des enjeux sociétaux et sociaux) qu’elle ait ou non un impact sur sa situation financière. En cela, les ESRS divergent des obligations d’information imposées par les ISSB (International Sustainability Standards Board) qui obligent à une obligation de publication uniquement en cas de répercussion des problèmes environnementaux et sociétaux sur les finances de l’entreprise. En d’autres termes, les entreprises non européennes assujetties aux ISSB n’ont pour obligation de publication que ce qui correspond aux Risques et Opportunités aux termes des ESRS et sont dispensées des obligations de publication au titre des Incidences (impact non financièrement mesurable sur l’environnement).

L’entreprise est obligée de publier la description des procédures d’identification et d’évaluation des Incidences Risques et Opportunités. Autrement dit, en application de l’ESRS 2 et de l’IRO 1, l’entreprise doit révéler le processus de décision permettant la caractérisation de la double importance.

Le choix selon lequel une entreprise décide qu’une information n’est pas importante ne peut rester implicite. Lorsque l’entreprise décide de ne pas publier une information dont elle serait redevable au terme des ESRS elle doit indiquer à son rapport de gestion que la rubrique considérée n’est, dans son cas, « pas importante ». De surcroît, lorsque cette décision de non publication porte sur des questions en rapport avec le changement climatique, l’entreprise doit apporter une justification écrite et détaillée de sa décision, augmentée d’une analyse prospective de ce qui pourrait l’amener à changer de position.

Pour caractériser l’importance, l’entreprise pourra s’aider du schéma décisionnel figurant à l’appendice E de l’ESRS 1 sous forme de diagramme décisionnel.

Lorsqu’une information nécessite d’être publiée l’entreprise doit indiquer quelles sont les politiques suivies, les actions qu’elle met en œuvre et les cibles qu’elle cherche à atteindre, sauf à indiquer qu’elle n’a ni politique ni action ni cibles concernant la question visée. Les informations publiées ne sont pas uniquement qualitatives mais doivent aussi être quantitatives et caractérisées par des « métriques ».

La définition de l’importance s’effectue selon le processus qualifié de « diligence raisonnable » renvoyant lui-même aux Principes Directeurs établis par les Nations Unies et par l’OCDE et qui est caractérisé par une appréciation de la gravité en fonction de l’ampleur, de l’étendue, et de la « remédiabilité » des incidences négatives. Les Principes Directeurs des Nations Unies et de l’OCDE prévoient en substance que la diligence raisonnable est le processus permettant d’identifier, de prévenir et d’atténuer les incidences négatives réelles et potentielles sur l’environnement et la population et d’y remédier en tenant compte de l’impact sur l’entreprise et la chaîne de valeur. Il impose d’établir un ordre de priorité selon la gravité et la probabilité des risques décrits. La notion « d’importance » découle du processus décrit ci-dessus.

L’information publiée au rapport de gestion n’est pas présentée uniquement au stade de l’entreprise mais doit être segmentée par pays et par site.

C- L’interaction avec les Parties Intéressées

L’entreprise est tenue de collaborer avec les « Parties Intéressées » et doit les impliquer dans le cadre du suivi des résultats.

Cette incise relative au suivi des résultats auquel sont mêlés les Parties Intéressées suffit à contredire l’objectif affiché des ESRS selon lequel ces normes n’ont pas vocation à influer sur la politique de l’entreprise puisqu’elles n’auraient qu’une finalité descriptive. En réalité si l’élaboration, le contrôle et le suivi de ces normes échappe aux mains de l’entreprise et que des tiers sont investis du pouvoir de contrôler le résultat de la politique affichée on peut douter du caractère purement descriptif du processus normatif qui, en réalité, masque la contrainte imposée à l’entreprise d’afficher une politique et de s’y conformer.

L’appendice A de l’ESRS 1 indique qu’il faut inclure dans les Parties Intéressées la « nature» qui a qualité de partie intéressée passive. Il n’est pas précisé si l’adjectif passif exonère de l’obligation de dialoguer avec.

L’ESRS 2 décrit le processus de coopération avec les Parties Intéressées et la manière dont il doit être tenu compte du résultat de cette coopération. L’entreprise est tenue d’exposer sa compréhension des points de vue des Parties Intéressées d’indiquer dans quelle mesure elle modifie sa stratégie pour en tenir compte et permettre le suivi des résultats. L’entreprise est tenue de hiérarchiser les risques auxquels elle est confrontée et, pour ce qui est des risques de durabilité, exposer la place donnée à ces risques dans la hiérarchie des autres risques.

D- La chaîne de valeur

L’entreprise doit déclarer l’impact qu’elle a sur la chaîne de valeur décrite dans son ensemble mais également sur les « maillons » principaux de cette chaîne si cela est justifié. Le fait pour l’entreprise de ne pas disposer d’informations pertinentes concernant sa chaîne de valeur ne l’exonère pas de ses obligations déclaratives. Elle est alors tenue de procéder par estimations et approximations. Si le règlement concède la possibilité de ne pas disposer d’informations, l’entreprise est alors tenue de se référer à des moyennes sectorielles ou à d’autres approximations, non définies, mais pour lesquelles l’entreprise devra justifier du processus de sélection et de la probabilité d’approcher une vision exacte de la réalité en respectant le processus choisi.

Les ESRS admettent la possibilité qu’il soit difficile d’obtenir des informations lorsque la chaîne de valeur est composée de petites entreprises non visées par des obligations de publication. Cependant, même dans ce cas, l’entreprise doit justifier de la politique et des moyens mis en œuvre pour obtenir ces informations à l’avenir.

E- Présentation des informations

L’entreprise doit publier les Incidences réelles et potentielles de son activité. L’Incidence réelle est caractérisée par son ampleur et son étendue et l’Incidence potentielle est caractérisée de surcroît par sa probabilité.

Les Risques et Opportunités c’est-à-dire les déclarations ayant une incidence financière ne s’apprécient pas uniquement en fonction de la vision que l’entreprise peut avoir de ses agrégats financiers mais selon l’impact que pourrait avoir la publication de ces agrégats sur les décisions des « Utilisateurs ».

Dans le cas où il est fait état de Risques et d’Opportunités, l’entreprise est tenue de croiser les références entre sa déclaration de durabilité et les états financiers qu’elle publie.

L’information doit être subdivisée sur le court, le moyen et le long terme. Elle doit porter sur l’impact sur l’entreprise, sur la population et sur l’environnement ainsi que sur l’ensemble de la chaîne de valeur qui correspond à l’ensemble du système économique amont et aval de l’entreprise.

L’objectif est, comme pour les états financiers, de lier passé présent et futur et pour ce faire d’établir des informations par année de référence ce qui permettra, exercice par exercice, de comparer l’évolution des données et des écarts par rapport aux objectifs affichés. Ces derniers doivent être affichés pour le court, le moyen et le long terme ; le moyen terme étant défini à cinq ans et de long terme au-delà de cinq ans.

En cas d’écart par rapport aux objectifs annoncés ou aux projections à court et moyen terme, l’entreprise doit justifier rétrospectivement des écarts et, dans l’hypothèse où elle a déclaré ne pas être en mesure de pouvoir le faire, justifier des raisons l’exonérant de cette obligation ou justifiant de son empêchement.

Lorsque l’entreprise déclare que sa vision du futur est frappée d’incertitude ou que ses estimations ne sont pas fiables elle est tenue de publier les informations, hypothèses et méthodes justifiant des incertitudes.

Enfin il n’est pas de répit entre deux périodes de référence ou entre deux exercices puisque, à titre intercalaire, l’entreprise doit publier à son dernier rapport de gestion les informations actualisées entre la fin de l’exercice précédent et le moment de la publication du rapport.

Tout changement d’agrégat doit être justifié et l’entreprise doit fournir toute information et méthode de calcul permettant de retraiter les informations afin que la comparaison entre anciens et nouveaux agrégats soit possible.

En cas d’erreur, ou de fraude, l’entreprise doit présenter une information corrigée et retraiter les informations passées sur les périodes de référence antérieures.

En cas de discordance entre informations générales concernant le groupe et la situation d’une filiale, ou d’un ensemble de filiales, l’entreprise doit justifier, pour les filiales concernées des informations qui ne sont pas en concordance avec la situation du groupe.

Comme il n’y a pas que des mauvaises nouvelles, la description des Opportunités ne se limite pas à leur impact pour l’entreprise mais doit également viser le secteur d’activité concerné et l’entreprise doit déclarer si elle exploite ou entend exploiter l’Opportunité concernée.

L’insertion des informations relatives à la durabilité dans le rapport de gestion est normée et doit comporter des « balises » au sens informatique permettant le traitement automatique des informations qui doivent « pouvoir être lues par la machine ». Dans la mesure où les Risques et Opportunités sont des données financières elles doivent donner lieu à renvoi vers les états financiers et toute discordance entre informations doit être justifiée.

Les informations doivent être vérifiables ce qui implique qu’elles doivent pouvoir être comparées, elles doivent être accompagnées des ressources, des méthodes de calcul, et avoir été examinées et approuvées par les organes de direction. Ces derniers ne pourront donc jamais s’exonérer des manquements commis au titre des ESRS.

Les risques étant définis et la politique de l’entreprise exposée celle-ci doit décrire les investissements en capital et les opérations nécessaires pour atteindre les objectifs fixés (CAPEX et OPEX).

2- Analyse critique

A- Si l’on souhaite préserver l’environnement, quel est le point de référence ?

L’environnement n’est pas statique. Nous vivons dans un âge interglaciaire qui a débuté il y a 15 000 ans. Pendant les 100 000 années qui ont précédé, la banquise s’étendait jusqu’à Bruxelles. Pour les générations futures la question qui se posera un jour sera : comment arrêter le refroidissement climatique ? Le réchauffement climatique est certain mais la situation actuelle correspond aux « optimums climatiques » de l’empire romain et de l’époque médiévale. Le point de référence choisi par le GIEC en 1850 correspond à la fin du « petit âge glaciaire européen », marqué par une baisse des températures. Des curés donnaient alors des messes sur le front des glaciers pour empêcher l’ensevelissement des villages alpins.

L’impact de l’homme sur la biodiversité ne remonte pas à l’âge industriel. La disparition des grands mammifères australiens remonte à l’arrivée des mélanésiens sur l’île continent, il y a 50 000 ans.

Surgit la question du point de référence, sous-jacente aux ESRS, pour définir le moment de l’évolution qui serait socialement acceptable et au-delà duquel il ne faudrait pas aller.

Nous n’émettrons pas d’opinion à ce sujet mais il nous semble vain de prétendre à un environnement statique, quand bien même l’intervention humaine pourrait être annulée.

B- L’environnement n’est-il pas mieux préservé par un contrôle objectif portant sur les conditions de production ?

Plutôt que de décortiquer le fonctionnement interne de l’entreprise il aurait peut-être été préférable de parfaire le contrôle objectif des conditions de production. Réduire les rejets polluants, améliorer la collecte et le recyclage, limiter l’usage des pesticides, améliorer les conditions de travail, il existe bien des façons d’améliorer l’environnement sans mettre en place un dispositif inquisitorial réduisant les acteurs économiques au rang de suspects contraints à l’autojustification.

C- Un penchant pour le contrôle social

Les rédacteurs du texte, soucieux d’efficacité, ont veillé à ne laisser aucune échappatoire à l’entreprise et à ses dirigeants assujettis à la transparence. Cette culture de la transparence qui correspond à la psyché germanique où le contrôle social est plus présent que dans les pays latins répond à une certaine éthique du protestantisme. A l’apogée du calvinisme en Hollande il était interdit de placer des rideaux aux fenêtres afin que chacun puisse s’assurer du respect de la morale publique.

Cette approche est efficace puisqu’il n’est pas possible de placer un fonctionnaire derrière chaque chef d’entreprise. Tout a donc été mis en place pour que les entreprises soient contraintes de révéler leurs informations et pour la collectivité de pratiquer la délation.

Il ne restera plus au juge qu’à recevoir les dossiers et sanctionner sur des critères d’appréciation bien subjectifs. Les plaidoiries à venir sur le respect des principes de double importance et de diligence raisonnable et sur le périmètre des Utilisateurs et des Parties Intéressées et de leurs droits seront dignes d’intérêt.

Il est rappelé que le contrôle social s’effectuera aux frais de l’entreprise, et non de l’Etat. Un corps de certificateurs est mis en place, organisé et soumis à des règles de fonctionnement et de rémunération proches de celles applicables aux commissaires aux comptes et investi du pouvoir de dénoncer et d’alerter en tant que de besoin.

D- Les ESRS portent une atteinte considérable à la « souveraineté » de l’entreprise

La présence des Parties Intéressées au processus décisionnel et les exigences des Utilisateurs réduiront à néant la capacité de l’entreprise à garder sous le manteau son prochain mouvement sur l’échiquier. La mise à nu de la stratégie et des objectifs serait bénigne si elle s’appliquait à tous. Mais les compétiteurs extra-européens ne joueront pas le jeu avec les mêmes cartes et le désavantage compétitif pour les européens pourrait s’avérer considérable.

E- Les nouvelles normes ne cherchent pas masquer l’identité de leurs principaux bénéficiaires

Investisseurs, créanciers, organisations non-gouvernementales sont les destinataires désignés des informations mises à disposition par les entreprises. Or les uns détiennent le pouvoir financier et les autres le pouvoir médiatique et, tous ensemble, jouissent d’une capacité d’influence considérable sur la politique de l’entreprise. Il nous semble hypocrite de présenter la mise en place des nouvelles normes comme un processus simplement descriptif n’ayant pas vocation à influer sur la politique de l’entreprise. L’obligation de révéler sa politique, ses problèmes et ses objectifs et à en permettre le suivi par toute une chaîne d’acteurs aura nécessairement des conséquences sur l’orientation de la politique de l’entreprise.

F- Une atteinte à l’environnement par délocalisation

Le citoyen du monde pourrait se réjouir si la production manufacturière de la planète était localisée en Europe. C’est bien là que les normes les plus strictes sont en vigueur et c’est donc ici, qu’à production égale, les atteintes à l’environnement sont minimisées.

Or la pratique des affaires poussant à situer les sites de production sur les zones de moindre contrainte abouti au résultat inverse. L’européen consomme chez lui des produits dont il méconnaît l’impact polluant puisqu’ils viennent de pays à bas coûts.

L’accroissement des normes pourrait bien avoir pour effet d’accélérer ce processus ou, à tout le moins, d’entraver la politique actuellement prônée de relocalisation industrielle, sauf à élever des barrières à l’entrée du marché européen beaucoup plus significatives que celles en vigueur.

Mais les institutions européennes tendent à favoriser le libre-échange et à produire des normes contraignantes ce qui pousse à la délocalisation et nuit objectivement, à l’échelle mondiale, à la production aux meilleurs standards environnementaux.

A l’heure où les politiques affirment de toutes parts l’absolue nécessité de réduire les contraintes pesant sur l’appareil productif et de réindustrialiser le pays, sinon le continent, les ESRS, quelque puisse être la qualité de l’intention qui a présidé à leur élaboration, ne s’orientent pas dans cette direction. Face à des acteurs internes et externes qui se prévaudront de l’appui du nouvel arsenal normatif, les entreprises devront se battre pied à pied pour préserver un minimum de souveraineté et faire respecter le secret des affaires. L’Etat prépare de son côté le bras armé qui sanctionnera ceux qui manqueront à leurs obligations. La Cour d’appel de Paris a créé le 15 janvier 2024 une « Chambre des contentieux émergeants » en charge des litiges sur « le devoir de vigilance et la responsabilité écologique ». Comme il est fréquemment conclu dans les séries télévisées anglo-saxonnes : See you in Court.