Le tribunal de commerce de Paris a tiré toutes les conséquences d’une certaine jurisprudence et de la rédaction, toujours délicate, des contrats d’assurance de responsabilité civile professionnelle des sociétés de conseil. Le cas jugé était celui, classique, du client d’une société de conseil (informatique) mécontent des prestations effectuées par ladite société. Le contentieux qui s’en était suivi, porté devant la Cour d’appel de Versailles, s’est soldé par la résolution du contrat de prestation de services et la restitution de la totalité de la rémunération de la société de conseil, y compris pour la part de sa rémunération correspondant à la période antérieure au litige.
Ladite société de conseil échoue à obtenir la garantie de son assureur de responsabilité civile professionnelle en raison (i) de la rédaction du contrat d’assurance et (ii) de la qualification des faits retenue par la Cour d’appel.
Le juge déboute l’assurée de ses demandes pour deux raisons alternatives : les conditions de l’application de la garantie « responsabilité civile professionnelle » ne sont pas réunies, d’une part, tandis que la clause d’exclusion du remboursement du prix du marché trouve à s’appliquer, d’autre part.
Le tribunal affirme clairement que le sinistre subi par la société de conseil ne relève pas de la responsabilité civile professionnelle et n’entre donc pas dans le champ de la police d’assurances. Selon ses termes, « La police d’assurances « responsabilité civile professionnelle » n’a pas pour objet de compenser pour l’assuré l’absence de rémunération d’un contrat mal exécuté du fait de sa propre faute ». Selon lui, cette position est de jurisprudence constante : la restitution du prix consécutif à la résolution du contrat ne constitue pas un préjudice, de sorte que la police de responsabilité civile professionnelle ne trouve pas à s’appliquer.
Les conditions entrainant la couverture de la garantie « responsabilité civile professionnelle » ne sont donc pas réunies.
Il s’agissait, en outre, de l’applicabilité d’une clause d’exclusion de garantie du « remboursement du prix du marché », exclusion fréquente dans ce type de contrats d’assurance.
Dans cette affaire, la Cour d’appel de Versailles a résolu le contrat et condamné la société de conseil à la restitution de la totalité du prix : le remboursement du prix du marché est donc la forme juridique que prend, de facto, l’indemnisation du client. On peut, in fine, estimer qu’il s’agit d’une pure question sémantique , car le but économique recherché par les parties est évident : indemniser le préjudice subi par le remboursement total et unilatéral des sommes payées, alors que les prestations, certes imparfaites, restent acquises au bénéfice du client.
On le voit, la qualification de la réparation financière est ici la clef du litige.
A priori, il peut sembler très facile d’identifier la responsabilité civile professionnelle spécifiquement couverte par la police d’assurance du même nom. Il s’agit de l’obligation faite à l’assuré d’indemniser les dommages découlant pour son client d’une faute commise dans l’exercice de son activité professionnelle.
En réalité cela peut être difficile lorsque la RCP est purement contractuelle et que le dommage subi par le client résulte de l’absence, du retard ou encore de la mauvaise qualité de l’exécution du contrat. Tel était bien le cas en l’occurrence. La cour d’appel de Versailles a jugé que la société de conseil avait commis une faute en ne fournissant pas dans les délais et dans le budget prévus la solution qu’elle s’était engagée à intégrer au sein de la société cliente. La prestation avait été fournie tardivement et de manière incomplète, conduisant à un abandon du projet par le client.
La difficulté vient de ce que dans un tel cas de figure, à la différence de la responsabilité extracontractuelle, deux préjudices peuvent surgir. Le premier, toujours présent, consiste dans le fait d’avoir payé en vain des prestations qui n’ont pas permis d’atteindre l’objectif fixé. C’est ce que l’on peut qualifier de préjudice intrinsèque ou encore consubstantiel. Le second, simplement éventuel, concerne les conséquences qui peuvent à leur tour découler de l’inutilité des prestations sur l’activité du client (par exemple des pertes de commandes). C’est un préjudice qualifié d’extrinsèque ou indirect. La preuve de son existence et de son étendue est plus délicate.
Si le client déçu veut uniquement récupérer les sommes versées en vain (le préjudice intrinsèque), la situation est ambiguë car il peut obtenir ce résultat non seulement en agissant en responsabilité mais également en demandant la résolution du contrat. Ces deux voies, qui sont théoriquement distinctes, peuvent se recouper très largement en pratique.
Il suffit pour cela que le juge accueille la demande de résolution tout en dérogeant légèrement à sa logique. Au lieu de tirer mécaniquement les conséquences de l’anéantissement d’un contrat synallagmatique en ordonnant la restitution des prestations réciproques, il lui arrive de priver la partie fautive de restitution. Ce faisant, d’un point de vue économique, la résolution ainsi tronquée sanctionne la partie défaillante et rend indemne la partie victime, exactement comme l’aurait fait une action en réparation du préjudice intrinsèque.
En demandant formellement la résolution du contrat mal exécuté et la restitution des sommes qu’elle avait versées, la cliente de la société de conseil a obtenu précisément ce résultat. La cour d’appel de Versailles a prononcé la résolution du contrat aux torts exclusifs de la société de conseil mais a limité les restitutions qui devaient en découler à la restitution du prix. Ainsi, économiquement, le préjudice intrinsèque est indemnisé et la société de service est sanctionnée
Peut-on admettre que ce qui est explicitement demandé sous la qualification juridique de résolution, mais qui produit économiquement l’effet d’une réparation, déclenche de ce fait l’application de la police d’assurance RCP ?
Le tribunal de commerce l’a refusé. Saisi d’une demande expressément qualifiée de demande de résolution et de restitution, il a été également sensible au fait que, selon lui, accorder le bénéfice de l’assurance au professionnel constituerait une prime à la mauvaise exécution des prestations.
L’argument se comprend mais soulève à son tour une très grande difficulté. Car in fine, le jeu de l’assurance RCP va dépendre entièrement du choix judiciaire et stratégique effectué par les clients déçus. Chaque fois que, pour éviter les aléas d’une action en responsabilité civile, ils s’efforceront d’obtenir l’indemnisation de leur préjudice intrinsèque en optant pour la résolution et l’automaticité de la restitution du prix payé, ils priveront les professionnels de leur assurance, indépendamment des raisons pour lesquelles ils n’ont pas pu satisfaire leur client.
On voit mal comment ils pourraient se prémunir contre ce risque.
Toute la subtilité réside dans le fait qu’il serait donc possible d’échapper à une telle qualification. Nous ne saurions donc que trop conseiller aux parties, en particulier aux sociétés de conseil :
Janvier 2025
Gilles Pillet – Professeur de droit à l’ESCP Business School
Jérôme Goy – Avocat associé, Enthémis
(1) Tribunal de commerce de Paris – ch. 13, 7 novembre 2024 / n°2023011270
(2) Cour d’appel de Versailles – ch. 13, 7 septembre 2021 / n° 20/01473
(3) Cour de cassation – Chambre commerciale — 22 novembre 2023 – n° 22-18.306
(4) G. Viney, Introduction à la responsabilité, LGDJ, 4ème éd., n° 238, p. 388. P. Grosser, Les remèdes à l’exécution du contrat : essai de clarification, th. Paris 1, 2000. Pothier, Traité des obligations, Paris, Librairie de l’œuvre de Saint-Paul, 1883, § 161 et s., pp. 68 et s.
(5) Civ. 3ème, 8 oct. 2013, n° 09-12.326, inédit ; Com. 15 juin 2022, n° 21-10.802 et n°21-12.358, P-B.