Des déposants n’habitant pas en France contraignent une banque libanaise à affronter un procès en France


Droit international

Le défaut de paiement de l’Etat libanais et des pratiques bancaires hasardeuses dénommées « ingénieries financières » par l’ex-président de la Banque centrale du Liban ont placé de facto les banques commerciales libanaises en état de cessation de paiement. Le défaut de liquidité a été masqué par une succession de mesures réglementaires prises à l’initiative de la Banque du Liban limitant l’accès aux comptes des déposants.

Certains déposants ont pris l’initiative d’agir à l’encontre des banques devant les tribunaux libanais, ce qui a conduit à l’obtention de quelques décisions favorables. Mais ces décisions n’ont le plus souvent pas de portée pratique puisque les banques interjettent systématiquement appel ce qui, dans l’état de la justice libanaise, renvoie la résolution du litige aux calendes grecques.

Rares sont les déposants qui ont agi en justice contre les banques libanaises à l’étranger, notamment aux États-Unis en Grande-Bretagne et en France, dans l’espoir d’obtenir des décisions qui pourraient être suivies d’effet.

Dans un premier temps, les tribunaux étrangers ont manifesté une grande réticence vis-à-vis des déposants en faisant jouer les clauses attributives de juridiction renvoyant vers les tribunaux libanais ou en acceptant l’argument des banques prétendant s’être libérées auprès de leurs clients.

C’est dans ce contexte qu’un verrou procédural important pour les déposants de nationalité française a été levé par recours au privilège de juridiction de l’article 14 du code civil qui dispose la faculté pour tout français d’attraire un étranger devant un tribunal français.

1- La tactique des banques libanaises contre leurs clients

A) L’arme de la débancarisation

Pour échapper à leurs obligations auprès de leurs clients demandant restitution, les banques libanaises ont inventé un stratagème consistant à clôturer le compte du déposant et à consigner auprès d’un notaire un chèque tiré sur la Banque du Liban représentant le montant du dépôt.

Cette manœuvre permet à la banque de prétendre qu’elle a soldé ses relations avec son client et que ce dernier ne dispose plus d’aucune créance à son encontre ce qui le prive du droit d’agir contre la banque. Il reste donc aux clients à récupérer le chèque entre les mains du notaire et à tenter de l’encaisser, ce qui est impossible.

B) La substitution de débiteur et l’obligation d’agir devant un juge libanais

Dans l’hypothèse où un client passe outre le risque de la clôture de son compte, la perspective du procès ne laisse pas entrevoir une récupération aisée des avoirs. Les banques opposent d’abord que la récupération des fonds doit intervenir auprès du notaire consignataire du solde bancaire et que de ce fait elles ne sont plus débitrices de leurs clients. Elles ajoutent ensuite, pour les actions engagées à l’étranger, l’invocation de la clause attributive de juridiction présente dans les conventions d’ouverture de compte destinée à empêcher un juge étranger de se prononcer sur le dossier.

2- Forcer la comparution en France

A) L’argument de la nationalité

Les actions engagées en France et dans les pays de L’Union Européenne ou en Grande-Bretagne nécessitent de trouver un lien de rattachement avec le juge saisi. Les déposants se sont présentés comme consommateurs résidant dans le ressort de la juridiction et ayant été démarchés par la banque. Nombre de ces actions ont échoué parce que le déposant ne pouvait prouver le rattachement ou succombait devant l’obstacle de la clause attributive de juridiction.

Mais une juridiction française a permis d’engager une procédure en France sur le critère de la nationalité. La juridiction a pour ce faire négligé l’argument de la banque relatif à l’efficacité de la consignation notariale.

Cette ouverture génère un espoir pour des déposants pouvant se prévaloir d’une nationalité française mais va aussi au-delà.

B) Du privilège de certains à l’avancée collective

Cette avancée caractérise à nouveau, et pour tous les déposants, la mauvaise foi manifeste des banques libanaises dans leur défense à l’encontre de leurs clients. Elle participe au processus d’universalisation de la justice permettant aux victimes lésées de rechercher l’appui d’un juge étranger lorsque l’accès à la justice dans le pays d’origine est compromis.

Pour autant cette action n’est pas ouverte à tous les déposants libanais. Un libanais résidant au Liban, sans autre nationalité, a peu d’espoir de réussir à trouver une oreille attentive auprès du juge étranger.

Cette restriction ne signifie pas que les actions entamées à l’étranger ne sont d’aucun bénéfice pour ceux restés « au pays » ou ne jouissant pas d’un deuxième passeport. En effet, dans la mesure où les décisions rendues par les juridictions étrangères caractérisent la faute des banques libanaises, elles auront nécessairement un impact sur les décisions que seront amenées à prendre les juridictions libanaises confrontées aux mêmes demandes.

Les déposants des banques libanaises sont tous signataires d’une convention d’ouverture de compte les contraignant à régler leurs différends devant le juge libanais. Les banques libanaises redoutent le procès à l’étranger et s’y opposent par le jeu de la clause attributive de juridiction. Une avancée a été obtenue pour les déposants sur le fondement de l’article 14 du code civil.