Durabilité et certification des entreprises : terrain de jeu des commissaires aux comptes


Droit des sociétés

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Les commissaires aux comptes se sont positionnés pour être certificateurs en matière de durabilité. La Haute Autorité de l’Audit publie les lignes directrices qui guideront leur travail de revue de l’exercice 2024.

C’est en 2025, à l’occasion de l’approbation des comptes de l’exercice 2024, que les grandes entreprises cotées seront tenues de publier un rapport concernant la durabilité de leur activité en application de la directive CSRD 2022/2464 publiée au journal officiel de l’Union européenne le 16 décembre 2022.

La Haute Autorité de l’Audit créée pour chapeauter, sous l’ombrelle des commissaires aux comptes, la nouvelle activité de certification des entreprises sur ces questions a publié en octobre 2024 des lignes directrices qui guideront les certificateurs dans l’exécution de leurs missions.

On espérait de ce document un moyen d’éclairer le certificateur sur l’appréciation concrète de la « durabilité ». Cet élément est absent. Il est vrai qu’il est difficile de passer de la quantification d’une provision à l’appréciation de la contribution au réchauffement climatique, les commissaires aux comptes passant de la science « dure » du chiffre à l’appréciation plus délicate des conséquences de l’activité économique sur l’environnement.

On y trouvera en revanche des éléments concernant la conduite du certificateur confronté à l’entreprise et aux tiers lors de la mission de certification. Et comme toujours, le diable est dans les détails.

Nous ne revenons pas sur l’analyse de la directive et des difficultés qu’elle engendrera, pour nous limiter à l’appréciation du texte émis par la Haute Autorité de l’Audit.

  1. Finalité descriptive et limitée de la certification

Les rapports de gestion des entreprises concernées par la directive CSRD doivent faire usage des normes ESRS (European Sustainability Reporting Standards) pour décrire (i) les conséquences de l’activité de l’entreprise et de sa gouvernance sur son environnement, son personnel et les tiers affectés et (ii) les conséquences de ces mêmes variations sur l’activité de l’entreprise.

De la même façon l’application de la taxonomie européenne doit distinguer la part de l’activité de l’entreprise ou des actifs investis considérés « verts » de ceux qui ne le sont pas.

Il n’y a en principe nulle contrainte quant à la politique de l’entreprise qui demeure maîtresse de sa gestion.

Pour apprécier ces éléments, le certificateur doit procéder à une revue « limitée ». On entend par revue limitée une approche non exhaustive par sondage de l’activité de l’entreprise et la déclaration, dans la meilleure hypothèse, de ne pas avoir détecté d’anomalie.

Cette approche diffère de la revue « raisonnable » qui n’est pas encore en vigueur, et qui exprime de façon positive que les déclarations de l’entreprise sont conformes à la réalité, ce qui nécessite un rapport plus exhaustif.

  1. La revue limitée ne dispense pas l’entreprise de présenter exhaustivement son activité au certificateur

Les lignes directrices de la Haute Autorité de l’Audit font ressortir la méthodologie de travail du certificateur qui conduit l’entreprise à désigner les personnes engagées dans le processus de certification de durabilité, tant au niveau opérationnel qu’à celui des organes de direction, et contraint à établir un descriptif très exhaustif des activités de l’entreprise et de leurs conséquences.

Ainsi, si le principe de la revue limitée permet de cantonner le travail du certificateur qui peut exprimer son opinion de façon négative (je n’ai constaté aucune anomalie), il ne réduit en rien l’effort exhaustif de mise à nu imposé à l’entreprise.

  1. Le commissaire juge et partie de l’appréciation du travail des indépendants

Si les textes laissent à l’entreprise le choix de ne pas recourir à un commissaire aux comptes pour leur certification en matière de durabilité, ces derniers, lorsqu’ils sont saisis, se réservent la possibilité de disqualifier l’organisme tiers indépendant qui aurait été chargé de la réalisation de certains travaux.

Le commissaire aux comptes certificateur aura ainsi la latitude de s’assurer de l’indépendance du tiers vérificateur, de sa compréhension des règles de déontologie et de sa réputation dans le domaine concerné.

Ainsi, au bénéfice de sa mission de certification, le commissaire aux comptes s’instaure juge des qualités de son concurrent éventuel. Un aspect particulièrement surprenant de ce pouvoir auto-attribué consiste à émettre un avis sur la réputation du tiers dans le domaine concerné. S’agissant d’un champ d’action absolument neuf, où il n’est pas possible de se prévaloir d’une antériorité, les critères qui seraient retenus pour disqualifier tel ou tel acteur seront scrutés avec attention.

  1. La mise à l’écart du « balisage » du rapport de l’entreprise

La finalité de la combinaison des textes CSRD et ESRS est de permettre aux « utilisateurs » (comprendre les investisseurs) d’apprécier la politique de l’entreprise au tamis des critères ESG.

Pour faciliter la tâche des utilisateurs le rapport doit être normé et l’information présentée sous forme de « balises » c’est-à-dire d’un texte sur un site internet permettant de détecter et de catégoriser de manière automatisée les informations. Ainsi, la quantité de CO² émise ou tout autre critère doivent pouvoir être « lus » automatiquement pour permettre aux utilisateurs d’opérer des arbitrages en favorisant les entreprises correspondant à leurs critères de sélection.

Or, faute de textes d’application et peut-être aussi en raison de la difficulté de définir le champ du contenu des « balises » il n’est pas encore possible de procéder de la sorte. Ainsi l’immense travail auquel sont assujetties les entreprises ne connaîtra pas, pour l’heure, le débouché attendu par les analystes de marché et les financiers.

  1. La prime au moins disant sauf contrainte de financement.

La revue des certificateurs a pour but de détecter les fraudes et les inexactitudes dans les déclarations effectuées par les entreprises.

Paradoxalement, en présence d’une revue limitée, moins il est révélé moins il sera possible d’alléguer de l’existence d’une telle fraude ou inexactitude. Ainsi l’entreprise peut être tentée par l’adoption de comportements d’évitement.

Ceci s’observe déjà dans les rapports produits par nombre d’entreprises, soucieuses de donner des gages et d’anticiper l’application de la législation, qui ne recèlent que des éléments de méthodologie et des déclarations d’intention, la quantité de texte masquant l’absence de traitement de fond du sujet.

Cependant, toutes les entreprises ne pourront se livrer à l’évitement. Une ligne de partage des eaux se dessinera entre celles qui doivent avoir recours aux financements « verts » et les autres. A l’heure où le crédit bancaire est plus avantageux s’il est verdi, à celle où des fonds indiquent comme critère d’investissement le respect d’engagements ESG, montrer patte blanche sera essentiel et orientera la politique des entreprises.

C’est ainsi qu’un édifice juridique annoncé comme descriptif et non contraignant glisse vers une obligation d’orientation de l’entreprise vers les secteurs et activités catalogués « verts ».

Les entreprises qui auront annoncé des politiques et des objectifs de pur affichage et dénués de réalité concrète verront se refermer un piège puisque les lignes directrices de la Haute Autorité de l’Audit mentionnent que le contrôle du certificateur devra être d’autant plus rigoureux que l’entreprise aura pris des engagements publics forts en la matière. Ceci conduira à terme à réduire le « greenwashing » si souvent pratiqué.

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