Les entreprises ont encore le temps de réclamer une indemnisation à leur assureur au titre d’un préjudice lié à la crise sanitaire. Un arrêt récent permettrait en effet d’étendre la période de garantie et le nombre d’entités concernées. Explications avec Jérôme Goy, avocat associé au sein du cabinet Enthémis.
Les litiges d’assurance nés de la crise sanitaire ont fait couler beaucoup d’encre, en particulier ceux qui concernent les pertes d’exploitation des entreprises fermées administrativement. Or, la jurisprudence récente permettrait d’étendre le champ de l’indemnisation à de nouvelles entreprises. Jérôme Goy, avocat associé au sein du cabinet Enthémis, fait le point.
Le 17 décembre dernier, le Conseil constitutionnel a jugé que le délai de prescription de 2 ans applicable aux contrats d’assurance était conforme. Un délai critiqué par la doctrine. Qu’en pensez-vous ?
La décision du Conseil Constitutionnel vient confirmer la constitutionnalité de cette prescription spécifique au moment où elle a une importante particulière. En effet, dans un peu plus d’un mois, cela fera deux ans que les fermetures administratives à la suite de l’épidémie de Covid-19 ont été décidées.
Les assureurs vont commencer à appliquer cette prescription aux demandes des entreprises qui souhaitent faire couvrir les pertes d’exploitation consécutives à l’épidémie de Covid. La couverture de ces « pertes Covid » est devenue un sujet juridique de premier plan.
Quel sujet fait débat aujourd’hui ?
Ce qui fait l’objet d’un débat fréquent, c’est le point de départ de la prescription. Cela peut être la date des décrets de fermetures des commerces (trois confinements successifs), l’arrivée de l’épidémie en France (plus tôt mais plus incertain), les décisions qui prévoient des fermetures à l’échelle locale… Il y a une incertitude sur ce point de départ.
Quelle est la jurisprudence en la matière ?
Sur les pertes liées au Covid, il y a deux sujets. Le premier, qui a donné lieu à beaucoup de littérature, concerne les extensions de garanties.
De nombreux contrats prévoient que les pertes d’exploitation sont garanties en raison d’événements particuliers non prévus au contrat : fermeture administrative, impossibilité d’accéder à l’établissement, épidémie, etc.
Les assureurs ont refusé d’appliquer ces extensions de garanties et se sont fait très fréquemment condamner car les extensions étaient larges et les juges ont considéré le plus souvent que les exclusions prévues dans ces contrats étaient nulles.
Dans l’affaire Kookaï, portée par le cabinet, le juge a considéré que l’extension de garantie fondée sur « l’impossibilité d’accès » aux magasins était applicable : Allianz a donc été condamné à indemniser la société pour les pertes d’exploitation liées à l’épidémie. Les extensions portent souvent sur des montants sous-limités mais qui peuvent être très élevés.
Ce qui se joue plus discrètement et qui concerne des enjeux plus lourds, ce sont les garanties principales. Les contrats d’assurance des biens prévoient très fréquemment des garanties « tous risques sauf ». Or, la liste des garanties n’est pas limitative : elle est indicative.
Quid des biens qui sont assurés ?
Il n’y a pas, le plus souvent, de liste limitative des biens assurés non plus. La cour d’appel d’Angers a jugé pour la première fois, le 28 septembre dernier, que la clientèle était un bien meuble et qu’à ce titre, c’était un bien assuré. La Cour a estimé que l’épidémie de Covid d’une part, et les fermetures administratives d’autre part, ont endommagé la clientèle et que cela constituait donc un sinistre.
Or, beaucoup de contrats « tous risques sauf » permettent de dire que le fonds de commerce est assuré, et que la clientèle a subi un dommage.
En outre, cela vise la garantie principale : les montants en jeu sont donc beaucoup plus élevés. Pour des grosses entreprises, cela peut aller jusqu’à des centaines de millions d’euros.
De nombreuses entreprises pourraient donc assigner leur assurance et demander une indemnisation au titre de la garantie principale prévue au contrat ?
La cour estime que la crise Covid a privé l’entreprise de clients et que cela constitue un dommage. Cela signifie que le sinistre peut se répercuter sur les garanties principales et qu’elles ne sont pas limitées aux périodes de fermeture administrative. Cela étend donc la période de garantie et le nombre d’entreprises concernées.
L’assureur a formé un pourvoi en cassation donc il faudra attendre un peu pour obtenir la réponse définitive. En tout état de cause, des tribunaux de commerce ont déjà commencé à appliquer cette nouvelle jurisprudence.
Quelle recommandation feriez-vous aux entreprises ?
Ne vous contentez pas d’une brève analyse de vos contrats d’assurance. La jurisprudence a évolué.
Par ailleurs, interrompre la prescription en assurance ne nécessite pas une assignation. Vous pouvez l’interrompre en envoyant un courrier LRAR, et avec un contenu particulier, destiné à votre assureur.
Les assureurs craignent d’ailleurs de recevoir de nombreuses déclarations de sinistres en février.
Beaucoup d’entreprises ont-elles déjà assigné leur assureur pour demander une indemnisation au titre des pertes Covid ?
Je suis surpris de voir que beaucoup ne l’ont pas fait dans les formes. Certaines entreprises se contentent d’envoyer un e-mail auquel l’assureur, voire l’intermédiaire d’assurance (courtier par exemple) répond qu’elles ne sont pas couvertes. Or, cela n’interrompt pas la prescription.
Beaucoup n’ont d’ailleurs pas même déclaré de sinistre car elles craignent une résiliation de leurs contrats. Les assureurs maintiennent une pression très forte sur les assurés.
Propos recueillis par Leslie Brassac
Source : https://www.actuel-direction-juridique.fr/content/la-couverture-des-pertes-covid-est-devenue-un-sujet-juridique-de-premier-plan-jerome-goy