La protection renforcée du salarié dénonçant des faits de harcèlement moral


Droit social individuel et collectif

Rappelons qu’aux termes de l’article L1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Précisons également qu’en application des articles L1152-1 et suivants du code du travail, est nul de plein droit le licenciement, et plus largement, toute sanction d’un salarié, prononcé(e) pour avoir subi, refusé de subir ou avoir témoigné de tels faits ou les avoir relatés.

 

1- L’état de la jurisprudence sur la question avant ce revirement, et ses possibles effets pervers.

Selon une jurisprudence constante, la nullité de ce licenciement ou de cette sanction est alors prononcée, excepté dans l’hypothèse de mauvaise foi du salarié, étant précisé qu’il appartient à l’employeur d’en rapporter la preuve d’une part, et que la mauvaise foi ne peut résulter de la seule circonstance que les faits allégués ne seraient pas établis, d’autre part  .

En d’autres termes, la mauvaise foi implique que le salarié sache que les faits dénoncés sont faux et que l’employeur soit en mesure de le démontrer. Il importe à cet égard de relever que l’absence éventuelle, dans la lettre de licenciement, de mention de la mauvaise foi avec laquelle le salarié aurait relaté des agissements de harcèlement moral, n’empêche pas l’employeur d’en rapporter la preuve devant le juge. Toutefois, et de manière très restrictive, depuis un arrêt de 2017, la Cour de Cassation considérait qu’un salarié ayant dénoncé des agissements sans les qualifier lui-même expressément de harcèlement, n’était pas recevable en sa demande de nullité de son licenciement .

Cette décision avait été largement commentée et critiquée, au motif qu’elle avait pour effet de subordonner la protection instituée par l’article L 1152-3 du Code du travail à un critère purement formel consistant dans l’emploi spécifique du terme « harcèlement » dans la dénonciation du salarié.

En réponse à la question qui lui était posée sur ce point, le président de la chambre sociale de la Cour de Cassation avait alors justifié cette position  en faisant valoir la volonté de la Haute Cour de limiter les risques d’instrumentalisation, par les salariés, de la règle d’immunité posée par l’article L 1152-2 du Code du travail. En effet, en application de la théorie dite du « motif contaminant », dès lors que la lettre de rupture contient un motif illicite – par exemple, le fait que le salarié se plaigne d’avoir subi un harcèlement –, le licenciement est nécessairement nul, sans que le juge ait à rechercher si les autres griefs sont ou non constitutifs d’une cause réelle et sérieuse.

La volonté de la Cour de Cassation était donc d’éviter d’étendre la conséquence lourde et automatique de la nullité à tous les licenciements prononcés dans un contexte où le salarié se plaint d’un comportement répréhensible sans le qualifier de harcèlement moral, alors même que d’autres motifs justifient le licenciement.

Il n’en demeure pas moins que subordonner la protection accordée par la loi au salarié à l’usage ou non d’un simple mot était de nature à induire des situations particulièrement injustes, auxquelles il importait certainement de remédier.

 

2- Le contexte, les motivations et les conséquences de ce revirement jurisprudentiel.

C’est ce que vient de faire la Cour de Cassation par un revirement de jurisprudence très commenté, dans l’arrêt précité du 19 avril,  publié au Bulletin.

Dans cette affaire, une salariée avait adressé aux membres du conseil d’administration de l’association qui l’employait une lettre dénonçant le comportement de son supérieur hiérarchique, en l’illustrant de plusieurs faits ayant entraîné, selon elle, une dégradation de ses conditions de travail et de son état de santé, mais n’employant pas le terme « harcèlement ».

La Cour a considéré qu’il y a lieu désormais de juger que le salarié qui dénonce des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, peu important qu’il n’ait pas qualifié lesdits faits de harcèlement moral lors de leur dénonciation, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu’il dénonce.

La Cour, rappelant qu’en l’espèce, l’employeur ne pouvait légitimement ignorer que, par cette lettre, la salariée dénonçait des faits de harcèlement moral, la Cour d’appel avait valablement pu retenir que le grief énoncé dans la lettre de licenciement était lié à la relation d’agissements de harcèlement moral. Ayant ensuite estimé que la mauvaise foi de la salariée n’était pas démontrée, la Cour d’appel en avait déduit à bon droit que le grief tiré de la relation, par l’intéressée, d’agissements de harcèlement moral, emportait à lui seul la nullité du licenciement.Ainsi, l’application des dispositions protectrices liées à la dénonciation de faits de harcèlement prévues par l’article L 1152-2 du Code du travail, n’est plus subordonnée à l’emploi spécifique de ce terme par le salarié, dès lors que les faits sont explicites et que l’employeur ne pouvait pas les ignorer.

On relèvera donc que la Cour de cassation explicite son raisonnement en opérant un parallélisme avec deux situations :

– d’une part la faculté, pour l’employeur, d’invoquer devant le juge la mauvaise foi du salarié licencié pour avoir dénoncé des faits de harcèlement moral, et ce sans qu’il soit tenu d’en avoir fait mention au préalable dans la lettre de licenciement ;

-et d’autre part la protection conférée au salarié licencié pour un motif lié à l’exercice non abusif de sa liberté d’expression, dont le licenciement est nul pour ce seul motif.

Il s’est donc agi, pour la Haute Cour, d’équilibrer les situations respectives de l’employeur et du salarié, en permettant à ce dernier de ne pas subir le couperet lié à la simple omission d’un terme.

Encore faut-il, toutefois, que l’employeur ne puisse pas légitimement ignorer que, par ses écrits, le salarié dénonçait des faits de harcèlement moral, et ce quels que soient les termes employés, dès lors que les agissements qui y sont décrits sont en relation avec un harcèlement.

Selon la notice explicative accompagnant l’arrêt, il appartient aux juges du fond de qualifier eux-mêmes les faits au regard du harcèlement moral, en vérifiant « le caractère évident » de la dénonciation, sous le contrôle de la Cour de Cassation.

Relevons, pour conclure, que ce revirement jurisprudentiel apparaît transposable à la dénonciation de faits de harcèlement sexuel dans la mesure où la rédaction des articles L1152-2 et L1153-2 du code du travail, respectivement relatifs aux harcèlement moral et sexuel, est similaire.

 

(1) Cass. soc. 19-10-2011 no 10-16.444 ; Cass. soc. 7-2-2012 no 10-18.035 ; Cass. soc. 10-6-2015 no 13-25.554 ; Cass. soc. 10-3-2009 no 07-44.092 ; Cass. soc. 13-2-2013 no 11-28.339 ;
(2) Cass. Soc., 16 septembre 2020 n° 18-26.696, publié au Bulletin ;
(3) Cass. soc. 13-9-2017 no 15-23.045 ; 
(4) Quel bilan tirer de la jurisprudence 2017 de la chambre sociale, quelles perspectives pour 2018 ? » : FRS 4/18 inf. 9 p. 29 ;
(5) Cass. soc. 10-3-2009 no 07-44.092 ; Cass. soc. 10-6-2015 no 13-25.554 ; (6) Cass. soc. 19-4-2023 no 21-21.053 ;
(7) Cass. Soc. 16 septembre 2020 n° 18-26.696, publié au Bulletin ;
(8) Cass. Soc. 16 février 2022 n° 19-17.871, publié au Bulletin ;