Le danger potentiel des clauses de règlement amiable des litiges insérées dans les contrats de cession de titres


Droit des sociétés

 

La jurisprudence à tendance à s’étoffer concernant l’application des clauses de règlement amiable des litiges avant toute action judiciaire, particulièrement dans le cadre de cession de titres de société.

Les conséquences qui peuvent découler d’une mauvaise rédaction ou d’une application inappropriée de ces clauses peuvent se révéler lourdes de conséquences.  Certaines affaires récentes portées devant les tribunaux nous montrent que cela peut engendrer une perte de temps importante et parfois des forclusions pour le cas ou, dans l’intervalle, la clause de règlement amiable des litiges ne puisse plus être mise en œuvre en raison de délais contractuels dépassés ou de prescriptions acquises. On sent alors tout l’enjeu pratique qui entoure la bonne application de ces clauses.

Il est d’usage d’insérer, dans un contrat de cession de titres, des clauses de règlement amiable des litiges destinées à tenter de résoudre les difficultés nées à l’occasion de l’interprétation du contrat ou encore de son exécution.

Les mécanismes possibles sont assez nombreux.  Il peut s’agir d’une discussion directe entre les parties dans le cadre d’une procédure et d’un calendrier plus ou moins précis. Il peut s’agir également de recourir à un tiers qui aidera les parties à trouver une solution, voire qui sera missionné pour la trouver à leur place.

Ces différentes procédures constituent un outil précieux pour les parties cherchant à sécuriser leurs transactions tout en minimisant les risques de contentieux prolongés. Elles peuvent permettre également de préserver les relations en réduisant les tensions potentielles résultant des litiges. De plus, elles offrent aux parties une flexibilité et une liberté accrues pour façonner le processus de règlement, adapté aux particularités de leur transaction et à leurs besoins spécifiques tout en maintenant la confidentialité des discussions.

L’intérêt de ces clauses est donc assez évident. Toutefois elles peuvent receler des difficultés, voire devenir de véritables pièges si elles ne sont pas respectées. La jurisprudence qui se forme à ce sujet nous en donnent plusieurs illustrations.

Nous en dressons un panorama rapide afin de mettre en exergue les difficultés que ces clauses peuvent induire.

La difficulté principale est de savoir si, eu égard au contenu de la clause, celle-ci doit obligatoirement être respectée avant toute action de nature judiciaire. Si la réponse est affirmative, la problématique va concerner les sanctions attachées à l’irrespect préalable de ces clauses.

  1. Les clauses de règlement amiable des litiges doivent elles être respectées avant toute action judiciaire ?

En principe, le respect de la clause de règlement amiable des litiges s’impose tant aux parties qu’aux juges. Dès lors, son non-respect caractérise une fin de non-recevoir procédurale si l’une des parties assigne directement la ou les autres parties sans avoir recherché préalablement l’application de la clause de règlement amiable du litige.

Depuis un arrêt de la Cour de cassation réunie en chambre mixte en date du 14 février 2003 (n°00-19.423) il est acquis qu’une clause contractuelle instaurant une procédure de règlement amiable (en l’espère une clause de conciliation) obligatoire et préalable à la saisine d’une juridiction est licite et constitue, en cas de non-application, une fin de non-recevoir qui s’impose au juge.

Il faut toutefois relever que la jurisprudence a progressivement nuancé et détaillé sa position en fonction du degré de précision de la clause. Ainsi les tribunaux considèrent, à ce jour, que pour que cette clause ait un caractère contraignant, il faut qu’elle soit assortie de « conditions particulières ».

Pour que le caractère contraignant d’une clause de ce type soit reconnu, la chambre commerciale de la Cour de cassation semble exiger que son contenu organise les modalités de la recherche du règlement amiable.  En particulier, dans un arrêt du 29 avril 2014 (n°12-27.004) la Cour dispose que « la clause contractuelle prévoyant une tentative de règlement amiable, non assortie de conditions particulières de mise en œuvre, ne constitue pas une procédure de conciliation obligatoire préalable à la saisine du juge, dont le non-respect caractérise une fin de non-recevoir s’imposant à celui-ci ».

La jurisprudence a ainsi détaillé les conditions à remplir pour que la procédure prévue par la clause soit obligatoire. Ces conditions sont les suivantes :

Il faut alternativement et à minima que la clause:

Ainsi, les clauses de style rédigées en des termes généraux qui n’imposent pas aux parties de désigner un tiers (par exemple un conciliateur, un médiateur ou un arbitre) ne peuvent, au regard d’un arrêt rendu le 20 octobre 2021 par la chambre commerciale de la Cour de cassation (n°20-13.819) justifier que soit prononcer une fin de non-recevoir pour non-respect de l’obligation d’une tentative préalable de règlement amiable.

  1. En présence d’une clause de règlement amiable obligatoire quelles sont les conséquences attachées à son irrespect ?

En présence d’une clause réunissant les conditions posées par la jurisprudence, il faut que les parties aient recherché activement une solution au différend qui les oppose pour que la mise en œuvre de la clause soit caractérisée et ainsi éviter le risque d’une fin de non-recevoir future. Les parties doivent dès lors engager des démarches en ce sens ou engager un échange / une discussion, dès réception de la notification du différend, avec l’autre partie du litige pendant le délai stipulé comme nous le rappelle l’arrêt du 6 juillet 2022 rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation (n°20-20.085).

Il convient d’être vigilant sur ce point. Les modalités d’engagement des démarches ou des échanges intervenus entre les parties peuvent être diverses. Dans un arrêt récent de la Cour d’appel de Paris en date du 10 janvier 2023 (n°21/09460) il a été jugé que des échanges Whatsapp, des échanges par courriels ou par SMS permettaient de caractériser la tentative de conciliation dès lors que les parties ont pu faire valoir leurs commentaires ouvrant ainsi une période de négociation.

On peut également relever que dans l’arrêt récent rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 4 avril 2024 (n°22-20.149), portant sur un acte de cession d’actions imposant aux parties de rechercher une solution amiable à leur différend dans un délai de 30 jours à compter de la notification du litige par l’une des parties, il a été jugé, tant par les juges du fond que par la Cour de cassation que, dans la mesure ou les parties s’étaient juste contentées de se notifier mutuellement et de manière amiable leur position relative au différend, cela ne leur permet pas de justifier de la réalité de la recherche d’une solution amiable.

Cette décision est logique au regard de la doctrine de la chambre commerciale de la Cour de cassation, qui s’attache à vérifier l’application concrète des clauses imposant aux parties préalablement à la saisine d’une juridiction de rechercher un terrain d’entente à leur différend.

On peut, au regard de ces arrêts, considérer que la jurisprudence se montre souple tant par rapport à la forme de la notification prévue au contrat si ces modalités ne sont pas précisément décrites que sur la nature des échanges intervenant entre les parties permettant de caractériser la tentative de règlement amiable.

Ce n’est qu’après une tentative de règlement amiable que le litige sera du ressort des juridictions compétentes.

Lorsque les parties ont pris l’initiative de saisir un juge avant toute tentative de règlement amiable de leur différend, et dès lors qu’existait une clause instituant une procédure obligatoire et préalable à la saisine d’un juge, le défaut de mise en œuvre de celle-ci n’est pas susceptible d’être régularisé en cours d’instance comme nous le précise la chambre mixte de la Cour de cassation dans un arrêt du 12 décembre 2014 (n°13-19.684).

En conséquence, la partie ayant introduit l’instance devra réitérer sa demande après accomplissement de la procédure amiable.

Toutefois, la fin de non-recevoir annulant l’effet interruptif de prescription de la demande initiale, au regard des dispositions de l’article 2243 du code civil, la partie ayant introduit l’instance risque de voir son droit prescrit.

C’est là le grand danger de ces clauses mal rédigées ou mal utilisées.

Perte de temps et risques de forclusion sont des risques réels à ne pas sous-estimer lors de la rédaction ou de la mise en œuvre de ces clauses.