Le risque de requalification d’un mandat social en contrat de travail


Droit social individuel et collectif

Le principe de révocabilité ad nutum des dirigeants de sociétés est d’ordre public et il ne saurait y être dérogé ni par les statuts ni par quelque accord que ce soit.

Il est fréquent que le mandataire social révoqué de ses fonctions cherche à faire requalifier son mandat social en contrat de travail afin d’obtenir en justice l’entière réparation auquel aurait droit le salarié abusivement licencié.

L’enjeu est loin d’être neutre pour l’entreprise au regard de la multiplicité des demandes susceptibles alors d’être formées (indemnité compensatrice de préavis, indemnité de congés payés y afférente, indemnité légale ou conventionnelle de congés payés attachée à la période de collaboration, indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse…).

Quelles sont les conditions requises pour qu’une telle requalification soit prononcée ?

La charge de la preuve incombe a celui qui revendique l’existence d’un contrat de travail.

En application des dispositions de l’article L1221-1 du code du travail, un contrat de travail suppose l’existence d’un lien de subordination entre un employeur et un salarié, lequel est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité de l’employeur, qui a le pouvoir de donner des ordres et directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.

Le juge n’est pas tenu par la qualification de mandat social adoptée par les parties. Saisi d’une action en requalification du mandat social en contrat de travail, il doit déterminer les conditions de fait dans lesquelles le travail était accompli.

Il convient de préciser que, par application des articles 1353 du code civil et L1221-1 du code du travail, la charge de la preuve du lien de subordination incombe à celui qui le revendique, excepté lorsqu’il existe un contrat de travail apparent.

La preuve du contrat de travail étant libre, tout élément matériel peut être retenu comme le caractérisant (contrat de travail écrit, bulletins de salaire, certificat de travail, lettre de licenciement…).

Il arrive à cet égard que l’ex-mandataire social demandeur à la requalification cherche à se prévaloir de la remise de bulletins de paie pour prétendre à l’existence d’un tel contrat de travail apparent.

Or, pour que la remise de bulletins de paie soit considérée comme caractérisant un contrat de travail apparent, encore faut-il qu’il s’agisse de bulletins de salaire contenant l’ensemble des cotisations sociales patronales et salariales afférentes au statut de salarié, en ce comprises les cotisations d’assurance-chômage, et non de simples bulletins de paie afférents aux rémunérations versées aux mandataires sociaux.

Plus précisément, la rémunération d’un mandataire social est soumise aux cotisations salariales et patronales de sécurité sociale s’il est assimilé à un salarié pour l’application de la législation de sécurité sociale. Dans ce cas, il est obligatoire d’accompagner la remise de la rémunération d’un document écrit faisant apparaître son montant et ses différentes composantes ainsi que le montant des précomptes sociaux, de la CSG, de la CRDS et du net imposable. Il est usuel que, par commodité, la société en calque la présentation sur celle du bulletin de paie des salariés.

Dans cette logique, la Cour de Cassation considère que la seule délivrance de bulletins de paie à un mandataire social est insuffisante à créer l’apparence d’un contrat de travail (Cass. Soc., 10 juin 2008, n°07-42.165 ; Cass. Soc., 17 juin 2009, n°08-42.060 ; Cass. Soc., 16 septembre 2009, n°08-40.25).

Ce principe est constamment rappelé par les juges du fond (à titre d’exemples : Cour d’appel de Douai, 22 décembre 2017, n° 17/02463 ; Cour d’appel de Paris, 12 avril 2018, n°17/13111 ; Cour d’appel d’Orléans, 8 novembre 2018, n° 14/03512 ; Cour d’appel de Colmar, 27 septembre 2019, n°19/00633). Précisons en tant que de besoin que la seule mention d’un « salaire » ne peut suffire à caractériser le lien de subordination (Cour d’appel de Lyon, 2 juin 2017, n°1600496).

Dès lors et en cas de délivrance de bulletins afférents à la rémunération d’un mandataire social et non d’un salarié, il n’y a pas de contrat de travail apparent et donc pas de renversement de la charge de la preuve ; il incombe alors à la personne concernée de prouver le lien de subordination qui caractériserait, au-delà des apparences créées par le mandat social conféré, l’existence d’un contrat de travail.

Le lien de subordination, condition necessaire a la caractérisation d’un contrat de travail.

Une relation salariale suppose réunies trois conditions cumulatives, à savoir l’existence d’une activité effective, le versement d’une rémunération se rapportant à cette activité, et surtout l’accomplissement d’un travail en situation de subordination, c’est-à-dire sous l’autorité d’un employeur ayant le pouvoir de donner des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.

S’agissant d’un mandataire social rémunéré à ce titre, il ne peut se voir reconnaître un contrat de travail que si, parallèlement ou à l’occasion de ce mandat, il exerce des fonctions techniques distinctes, en état de subordination par rapport à la société.

Tel n’est pas le cas du directeur général qui gère les activités opérationnelles de la société, représente celle-ci dans ses rapports avec les tiers, exerce ses pouvoirs dans les limites fixées dans les statuts, dispose de la signature sociale, maîtrise ses horaires et l’organisation de son temps de travail et exerce ses fonctions de direction générale sous le seul contrôle du conseil d’administration ou du conseil de surveillance, sans pouvoir de sanction de la société à son encontre.

Relevons à cet égard que tout mandataire doit exécuter le contrat en respectant fidèlement les instructions données par le mandant et leur esprit, dans le respect de la confiance du mandant.

Ainsi, le respect, par un mandataire, des directives qui lui sont données par le mandant en exécution du contrat de mandat, ne caractérise en rien « l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur ».

Le mandant doit, par ailleurs, pouvoir apprécier à tout moment la situation en connaissance de cause, afin notamment d’adapter ses instructions, s’il y a lieu, aux éléments nouveaux.

Il importe de préciser qu’aux termes de l’article L225-35 du code de commerce, il appartient au conseil d’administration de déterminer les orientations de l’activité de la société et veiller à leur mise en œuvre, de se saisir de toute question intéressant la bonne marche de la société et de régler par ses délibérations les affaires qui la concernent. Ainsi procède-t-il aux contrôles et vérifications qu’il juge opportuns, le directeur général étant tenu de communiquer à chaque administrateur tous les documents et informations nécessaires à l’accomplissement de sa mission.

De même, en application de l’article L225-68 du code de commerce, le conseil de surveillance exerce le contrôle permanent de la gestion de la société par le directoire ; à toute époque de l’année, il opère les vérifications et les contrôles qu’il juge opportuns et peut se faire communiquer les documents qu’il estime nécessaires à l’accomplissement de sa mission.

C’est en application de ces principes que les juges du fond ne cessent de rappeler que le lien de subordination propre à la qualité de salarié ne doit pas se confondre avec les directives que peuvent recevoir les mandataires sociaux de la part de leur mandant et, en particulier, du conseil d’administration, du conseil de surveillance et/ou de l’actionnaire principal de la société (Cour d’appel, Douai, 30 novembre 2006, n° 05/02361 ; Cour d’appel, Riom 11 mars 2014, n° 12/00522).

C’est à l’aune de ces développements qu’une entreprise faisant l’objet d’une action en requalification appréciera utilement le risque inhérent à cette action.