Les contrats d’influence : aperçu des dispositions de la loi du 9 juin 2023 visant à encadrer l’influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux


Droit de la communication, publicité et promotion des ventes

La loi visant à encadrer l’influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux a été publiée au Journal Officiel le 10 juin dernier.

Présentée comme une avancée juridique, sociale et, pourquoi pas, culturelle, d’envergure, cette loi, malgré quelques innovations notables, n’est le plus souvent qu’une redite attristante du droit existant. Une loi ? Ne serait-ce pas, plutôt, de l’aveu même de ses promoteurs, un exutoire aux divisions politiques ?

« En créant une bulle de travail en commun au sein de l’Assemblée nationale afin de mener nos travaux, pour faire converger nos propositions de loi initiales, nous avons entrepris une démarche politique singulière » indique dans son avant-propos l’auteur du rapport de 130 pages consacré à la proposition de loi. Et d’ajouter : « Afin d’apporter une réponse à ce phénomène, vos rapporteurs ont choisi de faire fi des considérations partisanes qui les opposent sur bien d’autres sujets. En choisissant de travailler ensemble, nous évitons le piège de la multiplicité des textes portant sur un même objet et nous proposons une nouvelle loi, transpartisane, abordant de façon transversale les différentes problématiques pour réguler le secteur naissant de l’influence commerciale, angle mort de la loi jusqu’à aujourd’hui … nous avons souhaité élaborer un texte qui puisse être partagé par l’ensemble de la Représentation nationale ».

Plus « politique » que « juridique », cette proposition fait fi des textes applicables, préférant le « mille-feuille » à la sobriété. Nous nous en tiendrons ici aux dispositions concernant l’encadrement contractuel de l’influence commerciale.

Souvent, quand on ne sait quoi faire au fond, on fait de la « forme ». L’exigence, sous peine de nullité, d’un contrat écrit ne surprendra donc pas. L’exigence s’applique aux contrats conclus par un influenceur tant avec un agent d’influenceur, tel que défini à l’article 7, qu’avec un annonceur ou son mandataire, cette dernière catégorie incluant les agences de communication et tous les intermédiaires envisageables.

Le mandataire étant défini à l’article 1984 du Code civil comme la personne à qui le mandant donne le pouvoir de faire quelque chose, l’exigence d’un écrit n’aurait pas vocation à régir les contrats de prestations de service, qualification applicable aux contrats de conseils en communication. Reste à savoir ce que le terme « mandataire » peut bien désigner dans l’esprit du législateur. Lorsqu’une agence fait intervenir des tiers dans la réalisation d’une campagne, elle n’intervient pas toujours en qualité de « mandataire » de l’annonceur. La Cour de cassation a du reste jugé, à propos d’un agent artistique que « sauf dispositions particulières du contrat et dont il incombe à celui qui s’en prévaut d’apporter la preuve, l’impresario ou agent artistique, qui a pour mission d’opérer le placement de l’artiste, agit non comme mandataire de ce dernier mais en qualité d’intermédiaire et, comme tel, est seul tenu des engagements qu’il prend à l’égard des tiers » (Cass. com., 22 mai 1991, Légifrance n°88-15796).

Sans doute, faudra-t-il raisonner de la sorte quant à la portée de l’article 8 de la loi n°2023-451. Tout intermédiaire, qu’il soit ou non un mandataire au sens de l’article précité du Code civil, intervenant dans les relations nouées par un influenceur, prendra donc soin de coucher sur le papier le contenu de ses accords.

Ce renvoi au « mandat », soulève au demeurant une interrogation quant à l’application des articles 20 et suivants de la loi du 29 janvier 1993 sur l’achat d’espace publicitaire. Certes, l’influenceur n’est pas en soi un « espace publicitaire ». Cependant, son activité promotionnelle s’insère le plus souvent dans un support – page personnelle, blog, chaîne YouTube … – dont il est l’éditeur. Cette activité promotionnelle prend la forme d’un « espace » dédié que l’influenceur « vend » à l’annonceur avec des prestations associées. L’article 20 de la loi précitée vise « tout achat d’espace publicitaire », cette prestation pouvant au demeurant se cumuler avec d’autres. Sans doute, faut-il ici considérer que l’espace publicitaire n’est pas spécifiquement monnayé et qu’il se dilue dans un ensemble de prestations qui, seules, confèrent une valeur à l’intervention, globalement considérée, de l’influenceur. L’absence de jurisprudence – à notre connaissance – incline donc à penser que la loi du 29 janvier 1993 n’est pas applicable aux influenceurs, même si la qualification de « mandat » sous-entendue dans la loi du 9 juin 2023 pourrait conduire à rapprocher les deux textes. L’hypothèse selon laquelle l’influenceur se bornerait à commercialiser ses « espaces publicitaires » pour permettre la diffusion de contenus dont il ne serait pas l’auteur, doit toutefois être réservée.

Les contrats d’influence dont la contrepartie, en numéraire ou en nature, est inférieure à un montant défini par un décret en Conseil d’Etat, ne sont pas soumis à l’exigence d’un écrit.

Les contrats d’influence, tels qu’ils ont été précédemment définis, doivent comporter notamment les mentions et les clauses suivantes :

1° Les informations relatives à l’identité des parties, à leurs coordonnées postales et électroniques ainsi qu’à leur pays de résidence fiscale ;

2° La nature des missions confiées ;

3° S’agissant de la contrepartie perçue par l’influenceur, la rémunération en numéraire ou les modalités de sa détermination, le cas échéant la valeur de l’avantage en nature ainsi que les conditions et les modalités de son attribution ;

4° Les droits et les obligations qui incombent aux parties, le cas échéant, notamment en termes de droits de propriété intellectuelle ;

5° La soumission du contrat au droit français, notamment au code de la consommation, au code de la propriété intellectuelle et à la présente loi, lorsque ledit contrat a pour objet ou pour effet de mettre en œuvre une activité d’influence commerciale par voie électronique visant notamment un public établi sur le territoire français.

L’application, rendue obligatoire, du droit français laisse quelque peu perplexe. Il n’est pas sûr qu’une telle obligation soit bien conforme au droit de l’Union. Au demeurant, il est étrange que l’application du droit français soit ici imposée via une clause obligatoire du contrat. Pourquoi ce détour ?

Etait-il bien nécessaire de rappeler que le droit français comprend notamment le code de la propriété intellectuelle et le code de la consommation ? Voilà des précisions bien inutiles.

L’article 9 de la loi instaure un mécanisme original de « représentation ». Un influenceur qui n’est pas établi sur le territoire d’un Etat membre de l’Union européenne, de la Confédération suisse ou de l’Espace économique européen, doit désigner par écrit « une personne morale ou physique pour assurer une forme de représentation légale sur le territoire de l’Union européenne ».

Qu’est-ce donc qu’une « forme de représentation légale » ? L’expression, curieuse, renvoie à une représentation légale limitée. Ce « représentant légal » est en effet chargé de garantir la conformité des contrats d’influence commerciale visant notamment un public établi sur le territoire français et de répondre, en sus ou à la place de l’influenceur concerné, à toutes les demandes émanant des autorités administratives ou judiciaires compétentes visant à la mise en conformité avec la loi.

Le mandat, nécessairement écrit, conféré par l’influenceur à son « représentant » doit comporter les pouvoirs nécessaires pour garantir une coopération efficace avec les autorités compétences. L’influenceur doit en outre lui attribuer les ressources suffisantes à l’exercice de sa mission. L’étendue des responsabilités, civile et pénale, de ce représentant n’est pas précisée. Sans doute, faudra-t-il raisonner en termes de mandat. Mais l’assimilation n’est pas certaine car ce « représentant » est le garant de la conformité des contrats d’influence. En sa qualité de garant, il assumera très certainement vis-à-vis des tiers et, pourquoi pas, des cocontractants de l’influenceur, une responsabilité pécuniaire.

L’annonceur, son mandataire, l’influenceur et l’agence d’influenceur sont solidairement responsables des dommages causés aux tiers dans l’exécution du contrat d’influence commerciale qui les lie.

Si la responsabilité solidaire de l’annonceur et de l’influenceur s’inscrit pleinement dans l’état du droit, celle des intermédiaires constitue à coup sûr une innovation notable. Il s’est agi de « responsabiliser plus largement la chaine de valeur » (Rapport n° 562 déposé le 3 mai 2023). Pour les promoteurs de la loi, « l’objectif de la responsabilité solidaire est à la fois d’assurer une meilleure protection des consommateurs, de faciliter l’indemnisation des victimes d’arnaques et d’escroqueries et de responsabiliser les parties prenantes au contrat d’influence commerciale ».

Cette solidarité doit conduire à clarifier les obligations respectives des différents intervenants. La spécificité de la communication d’influence tenant à la « nature mixte » de l’influenceur, à la fois « journaliste citoyen » et « publicitaire », est ici sérieusement compromise. Il reviendra notamment à l’agence de communication de procéder aux vérifications auxquelles elle procède habituellement quant aux contenus des campagnes qu’elle conçoit. La liberté de ton et d’expression de l’influenceur risque fort d’en pâtir.