Les conventions de management fees : risques et bonnes pratiques
Publié le 23/11/2023
par Jérôme Pétrignet
Droit des sociétés
Les conventions de « management fees » entre sociétés d’un même groupe sont couramment utilisées. La plupart du temps elles sont signées entre la société mère et les filiales. Parfois une société de services est constituée afin de rendre des services aux autres sociétés du groupe.
Dans la mesure où elles permettent de faire circuler des flux financiers plus ou moins importants elles doivent faire l’objet d’une analyse minutieuse avant leur mise en place car elles sont porteuses de risques juridiques et fiscaux non négligeables.
Une jurisprudence nourrie s’est développée à ce sujet. Cette jurisprudence à évolué dans le temps. Un arrêt récent du Conseil d’état du 4 octobre 2023 en matière fiscale nous en donne une nouvelle illustration.
Le Conseil d’État affirme pour la première fois que la conclusion d’une convention de prestations de services par une société, portant sur des tâches relevant des fonctions normales de son dirigeant, n’est pas nécessairement une gestion anormale. Toutefois, il précise que la société doit démontrer que ses organes sociaux compétents en matière de rémunération ont délibérément choisi ce mode de rémunération indirecte pour le dirigeant.
Bien que cette décision puisse rassurer sur la déductibilité fiscale des honoraires versés dans de telles situations, elle n’élimine pas les risques associés à ces conventions, telles que les questions de gouvernance entre les associés ainsi que les risques en matière de cotisations sociales. La formalisation juridique devient dès lors très importante afin de renforcer la sécurité juridique de ce type de montage.
Nous profitons donc de cette actualité fiscale pour vous présenter sommairement les risques classiques qui entourent ces conventions de management fees ainsi que les bonnes pratiques pouvant être retenues afin de les limiter le plus possible.
Les risques les plus souvent rencontrés
Les risques juridiques :
Les risques juridiques peuvent s’étendre de la nullité de la convention de management fees à l’accusation d’abus de biens sociaux par le dirigeant.
- Depuis quelques années, la jurisprudence a multiplié les procédures d’annulation de management fees pour non-respect de la convention établie en interne (par exemple, les arrêts de la Cour de cassation des 14 octobre 2010 et 23 octobre 2012). Il est ainsi important de faire approuver ces conventions conformément aux procédures applicables en matière d’autorisation des conventions réglementées. Rappelons que le risque de nullité est encouru lorsque la convention n’est pas approuvée par le Conseil d’administration dans les SA. Dans les autres formes sociales la convention reste valide mais ses effets préjudiciables à la société peuvent être mis à la charge du bénéficiaire de la convention.
- Lorsque les procédures de respect des conventions réglementées ne sont pas respectées cela ouvre également plus facilement la voie à des actions civiles sur le fondement juridique de l’absence de cause (sous le visa de l’ancien article 1131 du Code civil).
- Enfin, les actions civiles sont fréquemment complétées par les actions pénales pour abus des biens sociaux. De nombreuses décisions de jurisprudence ont été rendues sur ce sujet.
Les risques fiscaux :
- Dans la mesure ou les management fees permettent à une filiale de déduire de sa base imposable le prix payé à la société exécutante, l’administration fiscale va s’attacher à vérifier que les conditions financières sont normales et qu’elles rémunèrent une réelle prestation de service. A défaut, le prix des services effectués pourra être réintégré dans le résultat de la société bénéficiaire, ayant pour conséquence directe l’augmentation de l’impôt sur les sociétés. Il peut ainsi en découler une imposition des revenus perçus au niveau de la société prestataire et une non-déduction au niveau de la bénéficiaire du service.
- En cas de rejet de la déduction fiscale de ces sommes il pourra en découler également le rejet de la déduction de la TVA grevant les prestations ainsi que des rappels de CVAE.
Les risques URSSAF:
- Si la rémunération versée au titre des « management fees » est jugée excessive ou insuffisante par l’URSSAF, cela peut conduire à un redressement à ce titre. L’Urssaf peut en effet considérer qu’il s’agit de montages artificiels qui aboutissent à une rétribution déguisée ou à un détournement de charges. Ceci est d’autant plus regardé lorsque les dirigeants des sociétés concernées par la convention de « management fees » sont les mêmes.
Il y a eu ainsi de nombreuses décisions qui ont considéré que, lorsque les dirigeants des deux sociétés sont communs et les prestations concernées par la convention de prestations de services identiques aux missions du mandataire social, la convention de prestation est nulle pour défaut de cause. L’Urssaf tente alors d’assujettir aux cotisations sociales les rémunérations versées au titre de la convention de prestations de services, lesquelles, selon elle correspondraient en réalité à la rémunération du mandataire social.
- Il est à noter que L’URSSAF peut contester la réalité des prestations rendues mais également le non-respect des formes. Il faut ainsi être vigilant quant au respect des règles de facturation et des règles de délibération des organes sociaux autorisant la signature des conventions de management fees.
Quelques bonnes pratiques à appliquer afin de limiter ces risques
- Il y a lieu, avant tout, de vérifier que l’intérêt de la société bénéficiaire existe. Le service fourni doit donc apporter une valeur ajoutée à cette société. Par exemple il faut vérifier que la prestation ne fait pas double emploi avec une prestation réalisée directement par la société bénéficiaire ou par ses mandataires sociaux.
- Il faut ensuite rédiger une convention de prestations de services et en déterminer précisément son contenu. Une distinction claire entre les fonctions techniques et les fonctions normales du mandataire social doit être établie.
- Un prix normal pour les prestations rendues doit être déterminé. Celles-ci ne doivent pas être effectuées gratuitement ou à perte et le prix ne doit pas non plus présenter de caractère excessif.
Différentes méthodes de facturation peuvent être adoptées.
- La méthode du prix de revient majoré. Il s’agit de déterminer le cout de la prestation rendue au niveau de la société prestataire puis de lui appliquer une marge qui avoisine, généralement, les 10%.
- La méthode du prix forfaitaire, le plus souvent en relation avec le temps passé par le collaborateur en charge de la prestation.
- Une autre technique consiste à calculer la rémunération par rapport au chiffre d’affaires de la filiale (ou tout autre agrégat pertinent). Il faudra quand même pouvoir démontrer à l’administration l’adéquation entre l’agrégat retenu et le volume de travail qu’il induit.
- Lorsque plusieurs sociétés du groupe sont bénéficiaires des prestations, les frais de gestion doivent être correctement ventilés entre les différentes sociétés en suivant, généralement, des clefs de répartition prévues dans le contrat entre les sociétés bénéficiaires. Là également la clef de répartition doit pouvoir être justifiée.
- Une fois le projet de convention préparé il faut le faire approuver par les organes sociaux compétents, en appliquant, le cas échéant, la procédure des conventions réglementées.
- Au cours de l’exécution de la convention il sera nécessaire de conserver les justificatifs démontrant la réalisation des prestations. Il pourra s’agir des agendas, des comptes rendus de réunion, des actes juridiques relatifs à la gestion et à l’administration des filiales concernées, etc….
- Lorsque les conventions sont signées entre des sociétés ayant des dirigeants communs il est possible de limiter les risques évoqués ci-dessus en nommant la société holding en qualité de dirigeante de sa ou ses filiales plutôt que de désigner un dirigeant personne physique de la filiale. La société mère se fait alors rémunérer dans le cadre de son mandat social exercé dans la filiale. Cette organisation ne peut, toutefois, pas être retenue lorsque la filiale est une SARL car, dans cette forme sociale, le gérant doit obligatoirement être une personne physique.
Comme indiqué ci-dessus la jurisprudence fiscale évolue toutefois sur ce point pour reconnaître plus facilement la légitimité de conventions de prestations de services ayant des dirigeants communs. Dans ce contexte la formalisation de la prise de décision ainsi que la justification des prestations demeurent très importantes pour éviter les risques juridiques et fiscaux associés.