Les influenceurs : entre journalisme et publicité, une spécificité à préserver


Droit de la communication, publicité et promotion des ventes

Pour l’ARPP, « un influenceur (blogueur, vlogueur, créateur, talent, etc.) est un individu créant du contenu, exprimant un point de vue ou donnant des conseils, dans un domaine spécifique et selon un style ou un traitement qui lui sont propres et que son audience identifie ».

Voguant sans boussole sur des eaux troubles, nos influenceurs ballotent dangereusement entre l’information et la publicité. S’ils délivraient naguère, dans l’innocence de l’amateurisme, des opinions indépendantes, la professionnalisation de l’activité les conduit désormais à s’enrôler sous la bannière des marques.

L’information et la publicité ne font pas bon ménage et telles l’eau et l’huile répugnent à se mêler si ce n’est, bien agitées, sous forme d’une émulsion peu ragoutante. Ce qui fait aujourd’hui le charme promotionnel de nos influenceurs et l’intérêt des marques à les solliciter, pourrait bien se dissoudre, par absorption, dans la banale réclame des colporteurs d’antan. Dûment catalogué dans la rubrique « publicité et marketing » des encyclopédies juridiques, l’influenceur ne serait plus, à l’instar d’une annonce presse ou d’un 4X3 de périphérique, qu’un support publicitaire de droit commun. A quoi bon alors user d’une crédibilité qu’il n’aurait plus ? Car tel est, par-delà les abus abondamment dénoncés, le défi professionnel auquel doivent désormais s’atteler influenceurs, agences et annonceurs.

Revenons, pour commencer, aux origines, quand l’influenceur s’exprimait, si ce n’est en vérité, dans la candeur d’une totale liberté (I). C’est en brossant les contours d’un journalisme citoyen et pourquoi pas professionnel, puis ceux de l’activité publicitaire (II) qu’on parviendra peut-être à sauvegarder la substance d’une influence légitime : la crédibilité (III).

  1. L’influenceur journaliste

Un journaliste citoyen

A ses débuts, l’influenceur n’est qu’un particulier désireux de partager publiquement les joies et déboiresd’une activité qui lui tient à cœur : pêche à la ligne, sport, cosmétique … Il livre son opinion au terme d’analyse plus ou moins documentée, sur une technique, un lieu, un produit, un service, une entreprise ou sur tout autre sujet de son choix. Bref, il délivre des informations au public qui voudra bien l’écouter.

La multiplication des vecteurs de communication permet aujourd’hui à une multitude de personnes physiques ou morales de diffuser des informations, le plus souvent d’intérêt privé, qui constituent des sources de ce qui peut devenir, par le truchement d’intermédiaires habilités, la substance d’une information d’intérêt général.

Le développement d’un « journalisme » « hors cadre », déprofessionnalisé, que tantôt l’on exalte et tantôt l’on décrie, n’est finalement que la manifestation un peu désordonnée d’une liberté d’expression plus ouverte qu’elle ne l’a jamais été. Qui peut s’en plaindre ?

Au demeurant, le journalisme professionnel cohabite de longue date avec la communication institutionnelle dont la responsabilité est souvent confiée à des professionnels issus du journalisme. Axée sur l’image et les valeurs de l’entreprise ou de l’institution qu’elle sert, cette communication institutionnelle est à la fois distincte de la communication publicitaire, destinée à promouvoir des causes, des produits ou des services, et de la communication journalistique destinée, en toute indépendance, à mettre en perspective cette masse d’informations dans un esprit critique et à faire surgir celles que l’on voudrait cacher.

Au sein de cette masse d’informations, il est ainsi permis de distinguer ce que la pratique confond bien souvent sous la dénomination générique de journalisme : un journalisme professionnel, un journalisme institutionnel et un journalisme atypique ou citoyen.

Journalisme professionnel Journalisme institutionnel Journalisme atypique
Professionnel, indépendant ou salarié d’une entreprise de communication, qui a pour fonction en toute indépendance de collecter, vérifier, mettre en ordre et commenter des informations de toute nature dans le but d’éclairer ses lecteurs et dont l’activité s’exerce conformément aux dispositions de l’article L. 7111-3 du code du travail. Professionnel, indépendant ou salarié au service d’une entreprise, d’une administration, d’une institution ou d’un groupement, qui a pour fonction de collecter, d’ordonner et de mettre en forme des informations en rapport avec le groupement ou son activité, d’en assurer la publication auprès d’un public ciblé, dans le cadre d’une politique de communication définie en concertation avec les instances dirigeantes du groupement et pour les besoins de ce dernier. Personne physique qui publie à des fins non professionnelles pour son compte ou pour le compte d’un groupement associatif des informations de toute nature destinée à informer un public.

L’influenceur relève naturellement du journalisme atypique. Les liens unissant le public au journalisme professionnel s’étant distendu sous l’effet conjugué de la numérisation et d’une inquiétante crise de confiance (voir Le Livre Vert des Etats généraux de la presse), il n’est pas surprenant que le journalisme citoyen, crédité de proximité et d’indépendance, ait connu le succès que l’on sait.

C’est cette indépendance, vraie ou supposée, et la crédibilité accordée à ces consommateurs communicants, jugés plus authentiques que les critiques officiels, qui ont forgé l’image et la réputation originales de nos influenceurs. On les écoute d’autant plus que, sans statut, ni étiquette, ils incarnent, avec leur style tout personnel, les francs-tireurs et sans-culottes contemporains de la consommation de masse. 

Le droit a horreur du vide

Est-ce-à-dire qu’ils évoluent sans contrainte ? Certes non car le droit ayant horreur du vide, ils se trouvent tout naturellement encadrés par le droit positif. L’intervention législative annoncée semble là encore relever de l’inflation normative, pathologie bien connue, quand il suffit d’user de l’arsenal existant.

Si les dispositions de la loi du 29 juillet 1881 sont incontestablement applicables au influenceurs (Cass. Civ. 1, 6 octobre 2011, n° 10-18142, Légifrance), la jurisprudence fait preuve d’une certaine mansuétude à leur égard. Ainsi, s’agissant de la diffamation, les conditions de la bonne foi sont appréciées moins sévèrement que pour un journaliste professionnel. Pour le Tribunal de Paris, si l’auteur d’un article diffusé sur un blog « n’est pas tenu d’avoir procédé préalablement à une enquête sérieuse empreinte d’un effort d’objectivité, telle qu’elle est attendue d’un journaliste professionnel … », il « ne saurait se dispenser pour autant de justifier qu’il détenait des éléments sérieux donnant quelques crédits à ses affirmations » (TGI Paris, 17e ch., 16 oct. 2006, RLDI 2006/21, n° 666, obs. Auroux J.-B.). Il devra ainsi disposer d’une base factuelle suffisante (Cass. crim, 18 juin 2019, Légifrance n° 18-84209). Dans un arrêt du 10 avril 2019 (Légifrance n° 17-81302), la Cour de cassation a également jugé qu’en créant sur son blog un lien hypertexte d’accès vers une vidéo contenant des menaces de mort à l’encontre d’un fonctionnaire de police, le bloggeur s’était rendu coupable du délit visé à l’article 433-3 du code pénal.

De manière générale, notre journaliste citoyen devra se conformer aux règles de droit et plus spécifiquement à celles relatives aux droits d’auteur, au droit à l’image et au respect de la vie privée, sachant qu’il ne pourra se prévaloir de certaines exceptions édictées au profit du journalisme professionnel. A ces règles s’ajouteront, le cas échéant, celles, de nature contractuelle, qui encadrent l’utilisation des plateformes permettant la création de pages personnelles. Ces dernières règles peuvent parfois s’avérer plus contraignantes que les premières.

Ainsi, loin de voguer en eau libre, nos influenceurs journalistes assument toutes les obligations d’un éditeur de contenus.

Du journalisme amateur au journalisme professionnel 

S’il n’a pas la qualité de journaliste professionnel faute de répondre aux critères fixés à l’article L.7111-3 du code du travail, rien n’interdit qu’il s’en approche.

L’hypothèse ici envisagée est celle d’un support exclusivement alimenté par un ou plusieurs influenceurs. S’il veut prétendre au statut de journaliste professionnel, l’influenceur devra démontrer que son activité est bien journalistique notamment en ce qu’il applique dans la collecte et le traitement de l’information des méthodes journalistiques – vérification des sources, recoupement … -, que l’information relève de l’actualité, peu important le domaine concerné, que cette activité est principale et non plus accessoire au métier qu’il exerce par ailleurs, que cette activité lui procure l’essentiel de ses ressources et qu’elle s’exerce au profit d’une entreprise ou publication de presse.

S’agissant des ressources, elles devront majoritairement provenir de son activité journalistique et non d’une activité promotionnelle. En l’état actuel des choses, les sources et modalités de rémunération dépendent essentiellement de la plateforme au sein de laquelle notre journaliste citoyen publiera ses informations. Certains modèles, tels que celui proposé par Google AdSense, lui permette de percevoir une rémunération liée à la vente de l’espace publicitaire associé à son contenu. A l’instar d’un support de presse, il peut ainsi monétiser des espaces publicitaires. Reste qu’il lui sera sans doute difficile de parvenir à générer un revenu suffisant pour se livrer au journalisme à titre professionnel.

Quant au support de presse, le blog, le site ou les pages personnelles constituent incontestablement des publications au sens de l’article précité du code du travail. Du reste, malgré les réticences de la Commission de la carte d’identité des journalistes professionnels, l’existence de journalistes professionnels indépendants ne fait guère de doute.

  1. L’influenceur publicitaire 

S’ils conservent leur indépendance intellectuelle et financière à l’égard des marques, la démarche de l’influenceur s’inscrit dans ce journalisme citoyen évoqué précédemment. Leur intermédiation indirecte dans l’acte d’achat, prend la forme d’une critique, positive ou négative, d’une marque, d’un produit ou d’un service. C’est dans ce cadre qu’accessoirement, il s’adonnera à la publicité.

Mais comment établir la ligne de partage entre l’information et la promotion ? La question est d’autant plus épineuse qu’il a vocation à exercer tour à tour, sans les confondre, une mission d’information et une prestation promotionnelle.

La publicité : une notion aux contours incertains

Le tiers publicitaire 

La formule peut surprendre : comment un tiers, étranger à l’annonceur, qu’aucune contrepartie ne vient récompenser pour ses propos, pourrait-il se voir attribuer la qualité de « publicitaire » pour l’éloge d’un produit ou d’un service dont il n’attend rien de plus que la satisfaction procurée au simple consommateur qu’il est ?

Pourtant, la CJUE a pu juger au visa de l’article 87 de la directive 2001/83 relative aux médicaments à usage humain, que « la diffusion par un tiers d’informations relatives à un médicament, notamment à ses propriétés curatives ou préventives, peut être considérée comme de la publicité au sens de cet article même lorsque ce tiers agit de sa propre initiative et de manière totalement indépendante ». Pour la Cour, « la situation de l’auteur d’une communication relative à un médicament et, notamment, sa relation avec l’entreprise qui produit ou qui distribue celui-ci constituent un facteur qui, bien qu’il aide à déterminer si cette communication a un caractère publicitaire, doit être apprécié conjointement avec d’autres circonstances, comme la nature de l’activité exercée et le contenu du message ». La Cour laisse au juge national le soin de déterminer si la diffusion concernée « constitue une forme de démarchage d’information, de prospection ou d’incitation qui vise à promouvoir la prescription, la délivrance, la vente ou la consommation de médicaments ».

La seule indépendance ne saurait donc soustraire, par principe, l’influenceur au champ d’application des règles applicables à la publicité. Sans doute, s’agissant de médicaments, l’interprétation extensive de la notion de publicité ne peut être généralisée. Toutefois, pour les produits ou services dont la publicité est spécifiquement réglementée, le simple éloge pourra relever de la propagande ou de la publicité indirecte.

L’influenceur publicitaire selon l’ARPP

Toutes les collaborations entre un influenceur et une marque n’ont pas, selon l’ARPP, un caractère publicitaire. Selon l’organisme de régulation professionnelle de la publicité, le caractère publicitaire est établi lorsque les critères suivants sont réunis de manière cumulative :

Il s’agit là d’une conception excessivement restrictive puisqu’une contrepartie quelconque devrait suffire à « entacher » le propos d’un parti-pris peu compatible avec la crédibilité attachée au « statut » souhaité de l’influenceur. Serait-ce donc que nul n’est encore assez naïf pour croire à son indépendance ou que, du point de vue de la marque, seul le contrôle effectivement exercé sur le message lui confère la qualité d’annonceur ?

Au demeurant, cette conception restrictive cadre mal avec les définitions légales et jurisprudentielles de la publicité.

La publicité selon la loi et la jurisprudence

La notion de publicité y est largement entendue.

La publicité télévisée est ainsi définie par l’article 2 du décret n°92-280 du 27 mars 1992 comme « toute forme de message télévisé diffusé contre rémunération ou autre contrepartie en vue soit de promouvoir la fourniture de biens ou services, y compris ceux qui sont présentés sous leur appellation générique, dans le cadre d’une activité commerciale, industrielle, artisanale ou de profession libérale, soit d’assurer la promotion commerciale d’une entreprise publique ou privée ». Cette définition ne retient, en synthèse, que deux critères : une promotion assortie d’une contrepartie. Sachant que la tournure promotionnelle peut résulter de la simple présentation d’un produit, la seule contrepartie sera déterminante.

S’agissant de la publicité trompeuse, englobée dans la notion plus générale de pratiques déloyales, la jurisprudence l’a toujours largement interprétée.

Ainsi, toute contrepartie concédée à l’influenceur est susceptible de conférer une nature publicitaire à des propos en lien avec cette contrepartie.

Sachant que bon nombre d’influenceurs reçoivent gracieusement les produits dont les marques espèrent qu’ils parleront en bien, l’intention réelle d’un influenceur non encore embrigadé par la marque qu’il chérit secrètement, pourrait s’avérer quelque peu coupable. Faut-il toutefois pousser jusqu’au rigorisme cette conception ultra-extensive de la publicité au risque de nier, par simple présomption, la mission informationnelle de l’authentique influenceur ? S’il reçoit d’une marque, sans l’avoir sollicitée, un produit à tester, l’indice de compromission nous semble un peu faible pour le taxer de partialité au moindre mot flatteur.

On ne voit pas ici qu’une règle claire pourrait résoudre le dilemme. C’est aux influenceurs eux-mêmes, soucieux de conserver leur crédibilité, d’agir en conséquence. Un excès de transparence, comme nous le verrons ci-après, ne saurait nuire.

Transparence, transparence et transparence

Définir ses espaces promotionnels

Il va de soi que l’influenceur, lorsqu’il s’exprime en raison des liens juridiques et financiers qui l’unissent à une marque, doit clairement le faire savoir. L’article 20 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 dispose à ce titre que « toute publicité, sous quelque forme que ce soit, accessible par un service de communication au public en ligne, doit pouvoir être clairement identifiée comme telle » et « elle doit rendre clairement identifiable la personne physique ou morale pour le compte de laquelle elle est réalisée ».

L’ARPP recommande que lorsque le message est diffusé au milieu d’informations ou d’articles rédactionnels, son caractère publicitaire doit instantanément apparaître, cette indication devant être lisible ou audible, et intelligible. L’existence d’une collaboration commerciale entre un influenceur et un annonceur pour la publication d’un contenu doit dans tous les cas être portée par l’influenceur à la connaissance du public. Cette identification peut se faire par tout moyen (dans le discours, dans le texte accompagnant le contenu, au moyen d’une mention dans la vidéo…) dès lors qu’elle est portée à la connaissance du public quel que soit son moyen d’accès au contenu.

Comme le prescrit l’article 19 de la directive SMA, « la publicité télévisée et le téléachat doivent être aisément identifiables comme tels et pouvoir être distingués du contenu éditorial ». Une pratique commerciale est au demeurant trompeuse « lorsque la personne pour le compte de laquelle est mise en œuvre n’est pas clairement identifiable » (art. L. 121-2, 3°, du code de la consommation).

Définir clairement ses espaces promotionnels, c’est sauvegarder l’intégrité de ses espaces éditoriaux. Cette exigence est ici d’autant plus forte que la démarche promotionnelle de l’influenceur s’inscrit dans la tonalité, le style et le format habituel de ses contenus. A lui d’inventer la césure conforme à cette exigence de transparence, sans se borner aux recommandations.

Garde-toi de toute publicité clandestine

Rappelons-le, c’est sa crédibilité qui fait l’influenceur tant pour son bien que pour celui de son public et celui des marques désireuses de profiter de son aura. C’est en mêlant les genres qu’il nuit à tous. La notion de publicité clandestine, tel qu’elle s’applique à l’audiovisuel, parait ici fort pertinente pour distinguer l’influenceur digne de ce nom du simple colporteur.

L’ARCOM, qualifie de promotion et donc de publicité clandestine la référence faite à un produit ou à un service dans une émission dite d’information, sur la base d’un faisceau d’indices indépendamment de savoir si cette « promotion » s’est faite contre rémunération ou de manière intentionnelle. Sont pris en considération, l’absence de pluralité dans la présentation des biens, services ou marques, la complaisance affichée envers tel ou tel produit, la fréquence de la citation et/ou de la visualisation du produit ou de la marque, ou encore l’absence de tout regard critique. D’autres critères peuvent ponctuellement être retenus.

Sans doute, conviendrait-il d’apporter quelques ajustements à la notion avant de l’appliquer aux influenceurs. La complaisance affichée pour un produit n’est, sans doute, dans certains cas, que la manifestation du naturel et de la spontanéité propre à telle ou telle personnalité.

Une chronique exclusivement consacrée aux produits d’une marque, dont le nom et le logo sont cités et visualisés à plusieurs reprises, accompagnée d’une présentation détaillée et complaisante relève ainsi de la publicité clandestine (décision du 15 septembre 2021). L’exposition des supports promotionnels de la marque (décision du 20 juillet 2021), le port systématique des vêtements d’une marque identifiable (décision du 8 avril 2021 – décision du 27 février 2015) ou une valorisation excessive des services d’un grand magasin (décision du 9 juillet 2015) participent, selon l’ARCOM, de la publicité clandestine.

  1. Contractualisation des rapports entre un influenceur et une marque

Vrai influenceur v. Faux influenceur

Rien n’interdit de recourir à l’image d’un influenceur dans le cadre, clairement défini, d’une action publicitaire. Mais alors, ce n’est plus l’influenceur que l’on sollicite mais la célébrité ou l’égérie pour la promotion sans ambages d’un rouge à lèvres ou d’une berline électrique.

Si, quittant la liberté de blâmer, il s’adonne également au commerce, directement ou indirectement, des produits qu’il promeut peut-on encore parler d’influenceur ?

Dans un arrêt du 24 septembre 2021 (n° 19/17218), la Cour d’appel de Paris a ainsi reconnu à un influenceur la qualité de commerçant au motif que « la production à titre habituel de messages, mélioratifs ou satiriques », était en l’espèce indissociable de l’activité proprement commerciale de cette influenceur consistant en des placements de produits et à la promotion publicitaire de produits réalisés personnellement, en collaboration, ou pour d’autres fournisseurs de biens ou de services.

Lorsqu’une célèbre « télé-réaliteuse » promeut l’investissement dans la crypto-monnaie, on peut légitimement s’interroger sur la pertinence de ses avis.

Le choix de l’influenceur détermine clairement la crédibilité du message.

Une certification est-elle bien opportune ?

Il n’est pas sûr que les démarches entreprises par les professionnels de la publicité en vue de promouvoir un marketing d’influence éthique et responsable suffisent à préserver ce qui constitue la spécificité, et, nous semble-t-il, l’intérêt publicitaire, de l’influenceur véritable : ce délicat équilibre entre action promotionnelle et mission « journalistique »

L’ARPP délivre un Certificat de l’Influence Responsable aux influenceurs collaborant avec des annonceurs en vue de publier des communications commerciales ou institutionnelles, ayant suivi un parcours de sensibilisation aux recommandations déontologiques et ayant validé un contrôle des connaissances.

La délivrance de ce certificat est assortie d’un certain nombre d’engagements dont celui de respecter les règles déontologiques de l’ARPP, de disposer d’une véritable audience et d’accepter les Conditions générales d’utilisation des services de l’ARPP.

Le respect de ces engagements est assuré notamment via l’Observatoire de l’Influence Responsable, l’ARPP pouvant procéder à la suspension ou au retrait du certificat en cas de manquement de l’influenceur à ses obligations.

Certes, ce certificat encourage les comportements vertueux de l’influenceur publicitaire. Il accrédite néanmoins l’idée qu’un influenceur certifié n’est qu’un acteur respectueux de la publicité véridique et loyale en occultant la part éditoriale de ses contributions. N’est-ce pas tuer la poule aux œufs d’or que de la plumer à moitié ?

Lever l’ambiguïté 

Toute la subtilité de cette contractualisation réside dans la sauvegarde de la confiance accordée à l’influenceur par son public. L’ambiguïté latente qui entoure son propos doit être levée. Jouer de cette ambiguïté, c’est à coup sûr s’exposer à des risques. La pratique commerciale déloyale repose en effet sur l’altération potentielle du discernement du consommateur qu’elle soit volontaire ou causée par l’imprudence ou la négligence. Dissimuler à son public que l’on s’exprime au nom et pour le compte d’une marque, c’est le priver d’une information substantielle. Ainsi la pratique commerciale est trompeuse « si, compte tenu des limites propres au moyen de communication utilisé et des circonstances qui l’entourent, elle omet, dissimule ou fournit de façon inintelligible, ambiguë ou à contretemps une information substantielle ou lorsqu’elle n’indique pas sa véritable intention commerciale dès lors que celle-ci ne ressort pas déjà du contexte » (art. L.121-3 du code de la consommation).

Quel contrat ?

Le recours au contrat de travail ne paraît guère opportun compte tenu du lien de subordination juridique qui y est attaché. Soumis aux directives de son employeur, l’influenceur n’en est plus un, faute de pouvoir prétendre à ce minimum d’indépendance que suppose son « statut ». Il est vrai qu’en prêtant son image pour la présentation au public de produits ou services, la qualification de mannequin et, partant, une présomption de salariat, sont susceptibles de s’appliquer.

Cela étant, la prestation attendue est plus complexe que celle attachée à l’activité de mannequin. En outre, on voit mal que l’influenceur se livre à une interprétation artistique sauf à troquer son habit de conseiller pour le costume de scène d’un Arlequin d’autant plus trompeur qu’il aura du talent.

Si l’on veut user de son aura, l’influenceur pressenti devrait avoir manifesté une appétence libre et spontanée pour les produits ou services de la marque. Il y va de sa crédibilité et de la pertinence de son avis.

Le projet de loi actuellement débattu veut rendre obligatoire le contrat conclu entre un influenceur et l’utilisateur de ses services. Des mentions obligatoires sont également prévues : définition précise de son objet, missions confiées, conditions de rémunérations et terme du « mandat », nature des supports …

Le contrat stipulera utilement quelques garanties vérifiables quant à l’opinion positive de notre influenceur sur la marque, le produit ou le service qu’il s’engage à présenter sur le support dont il est l’éditeur (éloge passé émis en toute indépendance, consommation personnelle …). Certes, le juriste n’est pas assez naïf pour croire qu’une déclaration sur l’honneur est le gage indubitable de la sincérité. Une rémunération « raisonnable », une phase préalable de tests permettant à l’influenceur de se forger une opinion, une liberté de ton et de paroles, un contrôle minimal du contenu par l’annonceur ou son mandataire, une faculté de dédit ou toute autre stipulation visant à garantir l’indépendance de l’influenceur ne peut qu’opportunément sauvegarder ce qui fait la spécificité et l’utilité de son activité.

Conclusion 

L’avenir, en ce compris publicitaire, des influenceurs repose sur la crédibilité attachée à leur image. A quoi bon recourir à un « influenceur » dont l’essentiel de l’activité, devenue professionnelle, est publicitaire ? Quel apport original pour la marque s’il n’est que le porte-parole des annonceurs qui le paient et son contenu qu’un écran publicitaire dûment certifié assorti de temps à autres de saillies de son cru ?

Si l’influenceur véritable tient à se démarquer dans la boîte à outils marketing des professionnels de la communication commerciale, il lui faudra cultiver ses espaces éditoriaux avec l’indépendance et le sérieux d’un journalisme citoyen, conscient de ses responsabilités et porteur d’une crédibilité respectée par les marques.

1- Projet de loi n° 456 du 15 novembre 2022.
2- Il est douteux que les exceptions au monopole de l’auteur, touchant à l’information, visées à l’article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle soient applicables au journalisme citoyen.
3- Arrêt du 2 avril 2009, affaire C‑421/07.
4- Le projet de loi n° 456, à l’article L. 122-26 du code de la consommation, prévoit qu’est « considérée comme un contenu à caractère publicitaire toute communication au public par voie électronique, revêtant un caractère laudatif à l’égard d’une entité ayant une activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole ou destinée à promouvoir la fourniture de biens ou de services y compris les biens immeubles, les droits et les obligations ». Cette définition, excessivement large, conduirait, selon nous, à « tuer » l’influence telle que cette activité peut être légitimement préservée.
5- Recommandation communication publicitaire numérique V5, Fiches pratiques, 3. Communication d’influenceurs et marques, https://www.arpp.org.
6-Directive 2010/13/UE du Parlement européen et du Conseil du 10 mars 2010 visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à la fourniture de services de médias audiovisuels (directive Services de médias audiovisuels).
7- https://www.arcom.fr/nos-missions/pluralisme-et-cohesion-sociale/communications-commerciales.
8- Communiqué de presse DGCCRF du 28 juillet 2021 relatant l’amende payée par une influenceuse dans le cadre d’une transaction : https://www.economie.gouv.fr/dgccrf/.
9- Voir G. Haas et A. Dubarry, lesquels envisagent également le statut d’artiste du spectacle, e-Réputation à l’épreuve des influenceurs : les nouvelles stratégies des marques en 2021, Lamy droit des affaires, n° 168, 1er mars 2021 – « La présentation directe au public d’un produit par un athlète à l’occasion de diverses manifestations et notamment, d’exhibitions sportives, avec ou sans compétition, entre dans le champ d’application de la présomption instituée » par les articles L. 7132-2 et suivants du code du travail, Cass. civ. 2, 12 mai 2021, Légifrance n° 19-24610.