Les préjudices indemnisables en cas de rupture abusive de relations commerciales établies


Droit commercial et économique

L’article L.442-6, I, 5°, du code de commerce oblige tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, à respecter un préavis écrit s’il entend rompre les relations commerciales établies qu’il entretient avec un partenaire économique. Cette règle, d’ordre public, est d’application générale, les relations commerciales ici visées ne devant pas s’entendre au sens des seules opérations économiques relevant du droit commercial stricto sensu. La jurisprudence n’en exclut expressément l’application qu’aux seules professions réglementées ainsi qu’aux relations d’une nature autre que « commerciale ».

Les relations commerciales ici visées ne doivent pas s’entendre au sens des seules opérations économiques relevant du droit commercial stricto sensu.

La Cour de cassation vient ainsi de juger que les conditions dans lesquelles les liens unissant une société coopérative de commerçants détaillants et un associé peuvent cesser sont régies par les dispositions légales propres aux coopératives et ne relèvent pas des dispositions de l’article L. 442-6, I, 5° du code de commerce (Cass. Com., 16 mai 2018, Légifrance n° 17-14236). La règle reste néanmoins d’autant plus générale qu’elle vise indistinctement toutes les relations établies indépendamment de son encadrement juridique : succession de commandes, contrats écrits ou non écrits, contrat cadre …

L’article L.442-6, 5° est source d’insécurité juridique : il prévaut sur les délais contractuels de préavis et abandonne à la sagesse des tribunaux le soin de préciser au cas par cas la durée du préavis applicable.

Ce faisant, elle est source d’insécurité juridique tant en ce qu’elle prévaut sur les délais contractuels de préavis qu’en ce qu’elle abandonne à la sagesse des tribunaux le soin de préciser au cas par cas la durée du préavis que tel ou tel opérateur économique aurait dû respecter à l’occasion d’une rupture devenue, par hypothèse, litigieuse. Au demeurant, cette durée conditionne largement le montant des dommages et intérêts que la victime d’une telle rupture est en droit de solliciter.
La règle présidant à l’indemnisation du préjudice est à ce jour – apparemment – solidement établie : le préjudice est fonction de la marge brute escomptée durant la période d’insuffisance du préavis applicable.
S’agissant de la durée de ce dernier, les solutions jurisprudentielles sont pour le moins aléatoires, même s’il se dégage des durées moyennes indicatives généralement comprises entre deux et vingt-quatre mois, cette dernière restant cantonnée aux relations commerciales de très longue durée – plus de 10 ans. Les critères pris en compte pour le calcul de la durée du préavis sont effet nombreux : la durée de la relation, le volume d’affaires réalisé, la notoriété du client, le secteur concerné, le caractère saisonnier du produit, l’absence d’état de dépendance économique et le temps nécessaire pour retrouver un autre partenaire, en respectant, conformément à la loi, la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages du commerce (pour une énumération, presque, exhaustive, voir Cass. Com., 20 juin 2018, Légifrance n° 16-24163). En pratique, on retiendra à titre de précepte approximatif, qu’un préavis de l’ordre de six mois pour une relation commerciale d’une durée supérieure à deux ans, confère à l’auteur de la rupture une relative sécurité juridique.

S’agissant de la durée du préavis, les solutions jurisprudentielles sont pour le moins aléatoires.

Conformément aux principes généraux d’indemnisation – le préjudice, rien que le préjudice – le montant des dommages et intérêts ne peut être égal au montant chiffre d’affaires escompté sur la durée non respectée du préavis applicable. Il convient donc de prendre en compte la seule marge brute moyenne – en se fondant sur les deux ou trois dernières années de la relation – selon une jurisprudence quasi-constante. La formule, semble-t-il claire pour le comptable que je ne suis pas, a l’immense mérite de couper court aux discussions, certes raffinées qu’une approche rigoriste du principe d’indemnisation précédemment rappelé ne manquera pas – et ne manque pas d’ores et déjà de susciter. Qui se plaindra ici d’une méthode qui offre l’avantage d’un forfait d’indemnisation – comme nous le verrons ci-après, le manque à gagner n’est pas le seul préjudice subi par la victime – dans une matière où les praticiens savent fort bien que le principe d’indemnisation du seul préjudice effectivement subi n’est qu’un guide d’évaluation abandonné à la souveraine appréciation des juges du fond.
La marge sur coût variable suscite ainsi des adeptes. Pour la Cour d’appel de Paris, cette marge se définit « comme la différence entre le chiffre d’affaires dont la victime a été privée sous déduction des charges qui n’ont pas été supportées du fait de la baisse d’activité résultant de la rupture » (27 septembre 2017, JurisData n° 2017-019568). Mais quelles sont donc ces charges ? Un traitement comptable approprié serait ici nécessaire.