Droit de la communication, publicité et promotion des ventes
L’exception de caricature a récemment connu une extension légitimement contrariée en droit des marques 1 qui traduit néanmoins une revendication de certains plaideurs au droit – naturel ? – à l’humour 2. Sans s’attarder ici sur le bien fondé d’une telle revendication qui se traduit çà et là par une tolérance inhabituelle 3 de juridictions sensibles aux traits d’esprits, le droit n’est pas si sévère qu’il dénie à l’humour toute incidence juridique.
En conférant à la caricature, à la parodie et au pastiche des œuvres de l’esprit la faculté de paralyser le droit d’auteur et les droits voisins, les articles L.122-5, 4° 4, et L.211-3, 4° 5, du Code de la propriété intellectuelle donnent, sous réserve des lois du genre, une existence légale à l’effet comique 6. Si sa filiation juridique est moins assurée, l’exception de caricature de l’image des personnes trouve avec la jurisprudence une consécration non moins légitime qui érige en argument recevable la moquerie et le risible.
Néanmoins, on ne s’attaque pas sans retenue à des monuments tels que les droits extrapatrimoniaux ou la propriété artistique. Les tribunaux sont en conséquence particulièrement exigeants quant à la conformité de la parodie aux éléments matériel et intentionnel qui en conditionnent la recevabilité. Cette exigence est cependant contestable lorsqu’elle dénie aux parodistes la faculté d’exploiter commercialement les œuvres dont ils sont les auteurs. L’humour serait ainsi incompatible avec le commerce.
L’art publicitaire souffre donc d’un vice rédhibitoire : il commet sa liberté d’expression dans son union avec le commerce. Telle est la thèse, sommairement résumée, laquelle souffre d’une absence de fondement solidement assuré (I). Appliqué à l’œuvre parodiante, le droit d’auteur conduit en revanche à reconnaître à la parodie une vocation commerciale et donc publicitaire (II).
Applications
On relève tant en droit d’auteur que dans le domaine du droit à l’image des décisions qui écartent l’exception de parodie en matière commerciale et publicitaire. Tel est notamment le cas d’une décision de la Cour d’appel de Paris du 18 octobre 2000 et d’un arrêt de la Cour de cassation du 13 janvier 1998.
Dans l’affaire soumise à la Cour d’appel de Paris, une agence de publicité avait parodié, pour les besoins de sa propre communication, le film publicitaire OVOMALTINE qu’elle avait elle-même réalisé. A cette fin, elle avait substitué au message déclamé par un artiste-interprète une annonce en sa faveur prononcée par une autre voix. Pour écarter l’exception de parodie que l’agence opposait aux demandes formées par l’interprète du message initial, la cour d’appel devait juger que « si le film publicitaire litigieux emprunte à l’œuvre originale, les modifications qui y sont apportées n’ont pas pour but de provoquer le rire mais de la détourner à des fins commerciales, pour promouvoir l’agence » 7.
Dans son arrêt du 13 janvier 1998, la Cour de cassation a cassé, au visa de l’article 9 du Code civil, un arrêt de la Cour d’appel de Colmar qui, pour rejeter la demande d’un plaideur tendant à faire cesser la mise en vente d’épinglettes représentant sa caricature, avait jugé que « le droit à la caricature doit pouvoir s’exercer quel que soit le support utilisé et implique le droit de la commercialiser » 8. La Cour de cassation devait également souligner que la reproduction de l’image d’une personne « sous forme de caricature n’est licite, selon les lois du genre, que pour assurer le plein exercice de la liberté d’expression ».
Dorothée GUERIN-SEYSEN écrit ainsi que « lorsque le seul objectif de l’auteur est la commercialisation des supports de l’image travestie, les juges lui refusent en général l’exception du genre comique » 9. L’auteur cite notamment une décision ayant écarté l’exception de parodie pour la commercialisation d’un jeu de cartes comprenant diverses caricatures du Président Giscard d’Estaing 10 et celle relative à la reproduction sur des briquets d’une caricature de Jean-Pierre Coffe 11. La finalité commerciale de la caricature ne serait donc pas conforme aux lois du genre 12.
Le Professeur Grégoire LOISEAU, commentant l’arrêt de la Cour de cassation du 13 janvier 1998, estime qu’au regard du droit à l’image, seule la liberté d’expression « peut justifier l’outrance », l’exception devant être écartée « au bénéfice de la protection de la personnalité lorsque cette liberté n’est plus vraiment en cause, c’est-à-dire aux portes du marché » 13. Et de préciser qu’en pratique la dérive marchande s’appréciera le plus souvent au regard du support de la caricature.
Fondements
Les fondements de l’irrecevabilité de la parodie dans le domaine commercial et publicitaire tiendraient donc à une limitation à la liberté d’expression tirée du but lucratif de l’opération, à l’incompatibilité de l’intention humoristique avec un objectif promotionnel ou au respect dû à la vie privée.
La parodie relève en effet des exceptions au droit d’auteur justifiées par des libertés fondamentales et plus spécifiquement par la liberté d’expression 14, cette exception étant d’interprétation stricte et ne devant s’appliquer que dans la mesure où les motifs qui l’a justifient sont bel et bien présents 15. La référence aux lois du genre, c’est-à-dire à l’usage 16, permet ainsi de circonscrire l’exception eu égard aux caractéristiques qui lui sont communément reconnues dans le milieu littéraire et artistique. Classiquement 17 la parodie comprend un élément moral et un élément matériel. La parodie suppose que tout risque de confusion entre l’œuvre parodiée et l’œuvre parodiante soit écarté. Elle suppose également une intention humoristique que l’exploitation commerciale exclurait.
Le droit à l’image confère quant à lui « un droit exclusif et absolu », toute personne pouvant « s’opposer à sa fixation, à sa reproduction ou à son utilisation sans autorisation préalable » 18. Cet absolutisme, tiré du respect dû à la vie privée, s’oppose, à en juger par l’arrêt du 13 janvier 1998 précité, à toute exploitation commerciale de l’image d’une personne, étant ici rappelé que l’image vise également toute représentation directe ou indirecte d’un individu permettant son identification.
Critiques
Préalablement, on soulignera que le lien entretenu entre la caricature de l’image et la parodie d’une œuvre créé une confusion préjudiciable à la juste appréciation des intérêts en présence. L’exception de parodie en droit d’auteur ne touche qu’aux prérogatives patrimoniales de l’auteur, son droit moral subsistant, il est vrai, quelque peu écorné. En revanche, l’exception de caricature vise principalement à faire échec à un droit extrapatrimonial. Or, on ne peut, sans fausser l’analyse, mettre en balance des intérêts de nature différente, dont les fondements juridiques sont au demeurant distincts.
Cette confusion explique notamment que certaines décisions, à l’inverse de celles précédemment citées, admettent que la parodie soit exploitée à des fins commerciales 19 où excluent l’exception pour des motifs autres que l’exploitation publicitaire. Cette recevabilité ou les arguments retenus pour écarter l’exception démontrent ce faisant que la finalité commerciale de la publicité n’est pas en soi une condition suffisante pour écarter l’exception de parodie. Elles démontrent en tout état de cause que les fondements invoqués sont particulièrement instables.
Au regard de la liberté d’expression
La Cour européenne des droits de l’homme a d’ores et déjà jugé qu’une société commerciale bénéficie, comme toute autre personne physique ou morale, de la liberté d’expression dans l’exercice de sa communication publicitaire 20. La Cour de cassation reconnaît également aux annonceurs la faculté d’invoquer l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Tel a notamment été le cas, il est vrai sans succès, quant aux restrictions apportées par la loi française à la publicité en faveur des boissons alcooliques 21. Dans un arrêt du 1er décembre 1998, la Cour de cassation a clairement affirmé que toute entreprise peut se prévaloir du droit à la liberté d’expression « lorsqu’il s’exerce de façon légitime » 22. Au demeurant, il n’est pas interdit à un annonceur d’axer sa communication sur des faits de société ou des problèmes contemporains, quelles qu’en soient la nature ou la gravité 23.
Il est vrai que l’exception de parodie est plus facilement admise lorsque le message visé à la promotion d’un débat ou d’une cause d’intérêt général. La Cour d’appel de Versailles, dans son arrêt du 17 mars 1994 24, a ainsi retenu l’exception de parodie pour une campagne anti-tabac, en s’attachant à établir l’intention humoristique – en l’occurrence non dépourvue d’une « motivation parfaitement sérieuse » – et l’absence de risque de confusion mais également en relevant qu’une telle campagne « est exclusive des fins commerciales dénoncées » par la société titulaire des signes parodiées. La Cour d’appel de Riom retient également l’exception de parodie pour une campagne orchestrée par un syndicat ouvrier comprenant notamment des affiches caricaturant le Bibendum Michelin 25.
Dès lors, sauf à distinguer les messages publicitaires d’intérêt général des annonces à vocation commerciale, sur le fondement contestable d’une liberté d’expression plus grande pour les premiers que pour les secondes, l’exception de parodie ne saurait être écartée au seul motif qu’une campagne publicitaire ne relève pas de la liberté d’expression.
Au demeurant, il ne s’agit pas ici de contrarier cette liberté mais, bien au contraire, de lui donner plein effet en apportant des restrictions au monopole de l’auteur. Faudrait-il revenir au principe de ce monopole au motif que la liberté d’expression reconnue au parodiste doit être restreinte, en cas d’exploitation publicitaire de la parodie, eu égard aux droits de l’auteur de l’œuvre parodiée ? Les parodistes perçoivent légitimement une rémunération pour l’exploitation de leurs œuvres notamment par l’édition ou le cinéma. Nul ne considère alors qu’une telle exploitation constitue un manque à gagner pour l’auteur de l’œuvre travestie.
Au regard des lois du genre
L’exception légale ne fait pas de distinction selon le support ou la finalité de l’exploitation sauf à considérer qu’une telle distinction résulte de la référence aux « lois du genre ». Or, cette référence vise la formulation 26, non le support. Il n’est donc pas contraire à ces usages d’exploiter la parodie à des fins publicitaires dès lors que cette exploitation n’a pas d’incidence sur l’élément matériel ou moral de la caricature 27, ces conditions étant communes à toutes les parodies, quelles qu’en soient les modalités d’exploitation. En matière commerciale ou publicitaire, c’est au demeurant au regard de ces deux conditions que l’exception de parodie est le plus souvent rejetée, la finalité commerciale ou publicitaire de la caricature étant indifférente.
Ainsi, dans un arrêt du 22 septembre 1988 28, la Cour d’appel de Paris exclut que la représentation non autorisée dans un film publicitaire d’images tirées d’un logiciel de jeu puisse relever de l’article L.122-5, 4°, dès lors que les images reproduites n’ont subi aucune modification et que le film publicitaire n’a en conséquence « aucun aspect parodique, de pastiche ou de caricature ».
De même la reprise de la célèbre réplique « t’as de beaux yeux, tu sais », œuvre de Jacques Prévert, dans une publicité en faveur d’un lunetier mettant en scène un garçonnet et une fillette aux lieu et place de Gabin et Morgan, ne relève pas de la parodie puisqu’il ne s’agit pas d’une « imitation burlesque ou grotesque tendant à ridiculiser la scène qui dans le film était empreinte de gravité », ni du pastiche « celui-ci étant caractérisé par l’imitation d’une manière sur un thème nouveau », l’agence et l’annonceur s’étant bornés à citer la réplique 29.
Enfin, dans une affaire impliquant un parti politique qui avait fait paraître dans la presse une annonce comprenant le vers » t’as voulu voir Paris et on a vu Vesoul « , la Cour de cassation 30 a rappelé que l’exception n’est recevable qu' »à la condition de faire clairement comprendre au public qu’il n’est pas en présence » de l’œuvre parodiée.
C’est dans l’absence d’intention humoristique que l’exploitation commerciale de la parodie se révèlerait incompatible avec les lois du genre 31. Cependant cette intention doit se traduire dans la formulation par un effet comique, lequel est indépendant du message sous-jacent. La promotion d’un produit ou d’une entreprise peut fort bien emprunter un vecteur comique ou s’inscrire dans un registre plus grave, sans que le fond du message soit différent. La critique de la politique sociale d’une entreprise n’exclut pas l’effet comique, comme dans l’affaire précitée du Bibendum Michelin, de même que « la motivation parfaitement sérieuse » d’une campagne anti-tabac.
Au regard de la vie privée
L’exploitation publicitaire ou commerciale de l’image caricaturée d’une personne n’a pas donné lieu, à notre connaissance, à des décisions favorables 32. Le droit à l’image semble ici un obstacle rédhibitoire à la recevabilité de la parodie. Seule la liberté d’expression à des fins purement satiriques ou informatives permettraient de porter atteinte au droit à l’image, lequel relèverait exclusivement de la vie privée, toute exploitation commerciale de l’image et de sa caricature étant incompatible avec la valeur extra-patrimoniale de l’intérêt protégé.
La liberté d’expression des annonceurs est ici légitimement contrariée dès lors que la vie privée n’est pas une valeur marchande 33. Cependant, le lien existant entre une caricature, l’image et la vie privée de la personne caricaturée est-il si fort que toute discussion doive être écartée ? La cassation sibylline résultant de l’arrêt du 13 janvier 1998 frustre d’un débat nécessaire prenant en compte la valeur propre de l’œuvre parodiante.
Dans les affaires précédemment citées, l’exception n’était pas applicable soit parce que la speudo-parodie était dépourvue de toute intention humoristique, soit parce qu’elle se bornait à reproduire sans ajout ni modification l’œuvre prétendument parodiée. Tels sont généralement les motifs retenus par les juridictions saisies pour condamner les annonceurs 34. Au demeurant, les attendus relatifs à l’exception de parodie s’expliquent essentiellement par l’obligation faite aux juges de répondre à l’argumentation des parties. Dans la plupart de ces affaires, il eut été aussi convainquant de relever que les éléments caractéristiques des œuvres imitées avaient été purement et simplement reproduits, aucun apport du concepteur de ces imitations n’étant décelable.
Or, la parodie permet non seulement de détourner des œuvres dans le but de faire rire mais elle permet également à des artistes d’exprimer leur propre personnalité en puisant plus intimement que ne l’autorise le fonds commun de la création, dans les œuvres de leurs devanciers 35. Il est dès lors nécessaire de reconsidérer l’exception de parodie dans une optique créative, en rappelant que l’œuvre parodiante peut être également une œuvre de l’esprit.
Observations préalables
La jurisprudence n’érige pas l’originalité en condition de recevabilité de l’exception de parodie. Il en résulte que l’article L.122-5, 4° a vocation à s’appliquer même lorsque la parodie n’est pas une œuvre de l’esprit. Un chansonnier peut ainsi reproduire sans modification la musique originale d’une chanson dès lors que le travestissement des seules paroles révèle l’intention humoristique et exclut tout risque de confusion avec l’œuvre parodiée 36.
On pourrait objecter que l’élément matériel de la parodie se confond avec l’originalité de l’œuvre parodiante. Dorothée GUERIN-SEYSEN écrit ainsi qu' »il est manifeste que pour revendiquer l’exception des lois du genre, l’image doit être empreinte de l’apport personnel original de l’humoriste » 37.
Juridiquement, les deux notions sont pourtant distinctes. Elles impliquent des démarches différentes, la recherche de l’absence de risque de confusion avec l’œuvre ou l’image parodiée n’étant pas similaire à la recherche de l’originalité au sens du droit d’auteur. Au demeurant, on ne voit pas en quoi l’exception de parodie ne serait pas recevable si le travestissement est lié à une formulation dépourvue d’originalité.
Cela étant, la notion de l’œuvre de l’esprit peut fort bien s’insinuer, en raison de sa malléabilité, dans l’appréciation pratique du risque de confusion, la parodie étant une imitation déformée d’une œuvre, par hypothèse, originale, l’originalité de l’œuvre parodiée rejaillissant de facto sur l’œuvre parodiante.
Il n’en demeure pas moins qu’à mêler les deux voies, on risque sans peine de perdre son chemin.
Métamorphose de l’œuvre parodiée
En droit d’auteur
La parodie n’est pas, conformément aux lois du genre, un vulgaire plagiat 38. Elle est un genre au même titre que les natures mortes ou le vaudeville. A ce titre, elle est le plus souvent une œuvre originale, exprimant la personnalité de son auteur. Lorsqu’elle est une œuvre de l’esprit, le parodiste est naturellement investi de droits patrimoniaux. Dans cette hypothèse, comme l’écrit le Professeur André LUCAS, « rien ne s’oppose, bien entendu, à une exploitation commerciale de l’œuvre parodiante » 39. Son auteur peut donc la commercialiser et a fortiori l’exploiter à des fins publicitaires. Telle est la conséquence de son appropriation juridique.
Telle n’est pourtant pas l’analyse suivie par les tribunaux qui apprécient l’exception de caricature indépendamment de toute référence aux articles L.111-1 et L.112-2 du code de la propriété intellectuelle et à la notion d’œuvre de l’esprit telle que définie par la doctrine et la jurisprudence.
Cette référence nous paraît cependant déterminante. Il serait en effet discutable qu’une imitation fut-elle comique, sans apport caractéristique du parodiste, puisse procurer à ce dernier des avantages pécuniaires auxquels l’auteur de l’œuvre parodiée ne pourrait prétendre du fait de l’article L.122-5, 4°. En outre, elle implique nécessairement l’élément matériel de l’exception : l’absence de risque de confusion. L’œuvre parodiante étant originale, elle se distingue par hypothèse de l’œuvre parodiée. Qualifier la parodie d’œuvre protégeable en ce qu’elle suppose la démonstration préalable de l’apport personnel de son auteur, permet également d’écarter l’objection tirée d’une exploitation parasitaire de l’œuvre parodiée, la notion de parasitisme permettant en effet de sanctionner les emprunts non justifiés par des investissements personnels du parasite.
Il faut en conséquence distinguer les caricatures qui sont également des œuvres de l’esprit de celles qui ne le sont pas. Seules les premières sont susceptibles de faire l’objet d’une exploitation commerciale et donc publicitaire dans la mesure où elles ont une valeur propre, légalement protégée, conférant à leur auteur un monopole d’exploitation.
En droit à l’image
Dans son commentaire de l’arrêt du 13 janvier 1998 40, le Professeur Grégoire Loiseau, tout en approuvant la solution retenue par la Cour de cassation, écrit que « l’arrêt ne susciterait donc aucune objection si, sous l’apparence de la lésion d’un droit de la personnalité de nature extrapatrimoniale, n’était en fait en cause la réparation d’un préjudice de nature manifestement économique ».
C’est en cela, nous semble-t-il, que la solution sans nuance de la Cour de cassation est critiquable. On ne voit pas en effet en quoi la caricature d’un personnage publique est en soi une atteinte à sa vie privée. Sa physionomie est publique et dans la mesure où la caricature n’excède pas les lois du genre, sa vie privée ne souffre en rien de l’exploitation publicitaire de son image.
Les droits patrimoniaux du caricaturiste ne sont pas ici en conflit avec un droit extrapatrimonial de la personne caricaturée. Il n’y a donc aucune raison de refuser au premier le bénéfice de son monopole. Là encore, la faculté d’exploiter la caricature à des fins publicitaires sera préalablement subordonnée à la démonstration de son caractère original.
Toutefois, une objection demeure en l’absence de disposition légale similaire à l’article L.122-5, 4° du Code de la propriété intellectuelle. En effet, les personnes qui ont pour habitude de monnayer leur image et qui sont donc susceptibles d’opposer un droit patrimonial concurrent à celui du caricaturiste, subiront un manque à gagner en cas d’exploitation non autorisée de leur caricature. En application de l’article 1382 du code civil, ils seraient en droit de solliciter la réparation de ce préjudice.
Il leur faudra toutefois démontrer l’existence d’une faute qui ne pourra résulter, par hypothèse, d’une atteinte à leur vie privée. Les tribunaux seront probablement enclin à retenir une faute dans le seul fait de l’atteinte portée aux intérêts patrimoniaux de la victime, sauf à ce qu’ils reconnaissent à cette dernière un droit patrimonial à l’image 41, détaché de toute référence à l’article 9 du Code civil.
Conditions d’exploitation
Il ne suffit à pas à la parodie d’être une œuvre à part entière pour que son exploitation à des fins publicitaires soit systématiquement recevable. Il faut en effet se conformer à d’autres conditions.
Dès lors qu’une parodie est une œuvre de l’esprit, son auteur est investi des droits patrimoniaux qui y sont attachés. A ce titre, elle peut être exploitée à des fins publicitaires sans que puissent être, selon nous, opposés à l’auteur de l’œuvre parodiante des objections tirées des caractéristiques ou des fondements de l’exception de parodie.
Ce n’est pas faire injure aux créatifs, aux agences et aux annonceurs que de subordonner l’exploitation publicitaire d’une parodie à la création préalable d’une œuvre à part entière. La créativité rappelle la légitimité de leur démarche. En outre, c’est au prix d’un véritable effort créatif que l’exploitation commerciale de cette parodie peut se justifier eu égard aux intérêts de l’auteur de l’œuvre métamorphosée. La parodie suppose également que la philosophie du genre soit respectée : humour, déformation et considération pour l’œuvre et l’auteur parodiés. Voilà des ingrédients propres à faire rire les consommateurs que nous sommes tout en rendant hommage à des artistes dont les intérêts seront respectés conformément aux lois du genre.
Notes :
1 Notamment, TGI Paris, 9 juillet 2004, JCP E., 18 novembre 2004, n°47, Jurisprudence n°1688, note Isabelle LEROUX. Dans ce jugement, le Tribunal, sans référence à la notion de caricature, écarte la contrefaçon mais retient le dénigrement du fait de l’association de la marque AREVA à l’image de la mort – La parodie de marque n’est pas ici étudiée tant en raison de ce que recouvre en réalité l’expression que des règles spécifiques portant sur l’utilisation publicitaire de la marque d’autrui.
2 B. Ader, Le droit à l’humour, Légicom, 1994, n°3, p.63.
3 Notamment, CA Versailles, 26 juin 1997, Gaz. Pal., 21 novembre 1997, somm., p.23 qui admet qu’une société puisse dans sa publicité faire référence « de manière amusante » au slogan d’un concurrent – TC Paris, 18 novembre 1996, Gaz. Pal., 1er/3 juin 1997, Jurisprudence, p. 22.
4 L’article L.122-5, 4°, dispose que « lorsque l’œuvre a été divulguée, l’auteur ne peut interdire … la parodie, le pastiche et la caricature, compte tenu des lois du genre ».
5 S’agissant des droits voisins, l’article L.211-3, 4° dispose que « les bénéficiaires des droits ouverts au présent titre ne peuvent interdire …la parodie, le pastiche et la caricature, compte tenu des lois du genre ».
6 La parodie est définie comme « une imitation burlesque (d’une œuvre sérieuse) ou une contrefaçon ridicule » (Le Petit Robert). Le pastiche est une « œuvre littéraire ou artistique dans laquelle l’auteur a imité la manière, le style d’un maître, par exercice de style ou dans une intention parodique » (Le Petit Robert). La caricature est un « dessin ou peinture qui, par le trait, le choix des détails, accentue ou révèle certains aspects (ridicules, déplaisants) ». Sur le fait que la distinction n’a pas d’incidence juridique, voir notamment A. LUCAS et H.-J. LUCAS, Traité de la propriété littéraire et artistique, Litec, 2ème éd., p.288, n°342. On a retenu ici, comme la doctrine nous y incite, le terme « parodie » pour désigner collectivement les genres visés par le Code de la propriété intellectuelle.
7 CA Paris, 18 octobre 2000, Juris-Data n°129098
8 Cass. Civ. 1, 13 janvier 1998, Legifrance n°95-13694
9 L’image humoristique et la propriété intellectuelle, Image et Droit, sous la direction de Pascale Bloch, Institut de Recherches en Droit des Affaires, Université Paris 13, Ed. L’Harmattan, 2002, p. 128, note 60
10 TGI Nancy, 15 octobre 1976, JCP 1977, II, 18526, note R. LINDON
11 TGI Paris, 2 octobre 1996, Légipresse 1997, n°138, I, p.4
12 En ce sens, Nicolas BOESPFLUG, sous CA Paris, 9 septembre 1998, Gaz. Pal. 25/26 novembre 1998, somm. p.29 – Dans cette affaire, la cour avait pourtant jugé que la reproduction d’une caricature de Mr. Propre sur des t-shirts commercialisés relevait de l’exception visée à l’article L.122-5, 4° du code de la propriété intellectuelle. En revanche, il s’agissait pour la cour d’une exploitation injustifiée d’une marque renommée – Voir également, Marion DEPADT-BELS, en commentaire d’un jugement du TGI de Paris du 13 février 2001, Gaz. Pal. 14/16 cotobre 2001, somm., p. 53
13 Le droit à l’image et la caricature à l’épreuve du marché, JCP G., 1998, II, 10082
14 Anne-Emmanuelle KAHN, JCL Propriété littéraire et artistique, Droits voisins du droit d’auteur, Fasc. 1436, n°16 et suivants – André LUCAS, Droits des auteurs, Exceptions au droit exclusif, JCL Civil annexes, Propriété littéraire et artistique, Fasc. 1248, 2004, n°19, 23 et 74 – Pour une critique de « l’absolutisme » des droits de propriété intellectuelle, voir Christophe GEIGER, Les droits fondamentaux, garanties de la cohérence du droit de la propriété intellectuelle, JCP G., 2004, I, 150.
15 André LUCAS, Droits des auteurs, Exceptions au droit exclusif, JCL Civil annexes, Propriété littéraire et artistique, Fasc. 1248, 2004, n°13
16 André LUCAS, Droits des auteurs, Exceptions au droit exclusif, JCL Civil annexes, Propriété littéraire et artistique, Fasc. 1248, 2004, n°76
17 A. FRANCON, Questions de droit d’auteur relatives aux parodies et productions similaires, Droit d’auteur 1988, p.302
18 La formule est désormais classique. Pour une application récente, voir Cass. Civ. 2, 30 juin 2004, Légifrance n°02-19599
19 CA Paris, 9 septembre 1998, Gaz. Pal., 25/26 novembre 1998, somm., p. 29 – La cour juge que la commercialisation de t-shirts reproduisant le personnage de Mr. Propre n’est pas illicite au regard du droit d’auteur dès lors que ce personnage a été caricaturé. Cet arrêt a été rendu sur appel d’un jugement du TGI de Paris du 5 juin 1996 (Gaz. Pal. 1996, p. 524) qui avait pour sa part écarté l’exception de parodie au motif que « l’examen comparatif des dessins invoqués et querellés avère le caractère servile et non pas caricatural de la reproduction de l’élément figuratif représentant le personnage de Mr. Propre ».
20 Arrêt du 22 mai 1990, Autronic AG, n°178 – « Selon la Cour, ni le statut juridique de société anonyme, ni le caractère commercial de ses activités ni la nature même de la liberté d’expression ne sauraient priver Autronic AG du bénéfice de l’article 10 (art. 10). Ce dernier (art. 10) vaut pour « toute personne », physique ou morale. La Cour en a d’ailleurs déjà constaté par trois fois l’applicabilité à des personnes morales poursuivant des buts lucratifs (arrêts Sunday Times du 26 avril 1979, série A n° 30, Markt Intern Verlag GmbH et Klaus Beermann du 20 novembre 1989, série A n° 165, et Groppera Radio AG et autres du 28 mars 1990,série A n° 173) ».
21 Cass. Crim., 3 novembre 2004, Legifrance n°04-81123
22 Cass. Com., 1er décembre 1998, Légifrance n°96-22465 – Dans cette affaire, il était reproché à l’annonceur et à l’agence d’avoir porté préjudice aux métiers de la fourrure en diffusant une campagne dont le slogan principal était « personne ne porte mieux la fourrure que les animaux » alors même que l’annonceur commercialisait des produits de substitution.
23 CA Paris, 13 avril 1995, Gaz. Pal. 1996, somm. p.536
24 CA Versailles, 17 mars 1994, RIDA 2/1995, p. 350
25 CA Riom, 15 septembre 1994, JCP G., IV, 2598
26 P. Y. GAUTIER, Propriété littéraire et artistique, PUF, 5ème éd., n°202, p.396
27 CA Paris, 27 novembre 1990, D.1991, IR, p.35 selon lequel la loi du genre est la recherche de l’effet comique
28 CA Paris, 22 septembre 1988 , D. 1988, IR, p. 258
29 CA de Paris, 7 juin 1990, Juris-Data n°023045
30 Cass. Civ. 1, 27 mars 1990, Legifrance n°88-16223
31 Dorothée GUERIN-SEYSEN, L’image humoristique et la propriété intellectuelle, Image et Droit, sous la direction de Pascale Bloch, Institut de Recherches en Droit des Affaires, Université Paris 13, Ed. L’Harmattan, 2002, p. 127 et s.
32 A l’exception naturellement de l’arrêt de la Cour d’appel de Colmar du 7 février 1995 cassé par la Cour de cassation au terme de sa décision du 13 janvier 1998.
33 Le principe peut être tempéré s’agissant des personnes connues qui monnayent auprès des journaux « people » des bribes de leur vie privée.
34 Voir notamment les décisions citées par André LUCAS, Droits des auteurs, Exceptions au droit exclusif, JCL Civil annexes, Propriété littéraire et artistique, Fasc. 1248, 2004, n°75
35 Voir A. LUCAS et H. J. LUCAS, Traité de la propriété littéraire et artistique, Litec, 2ème éd., p.33, n°26, qui évoquent simultanément, à propos des idées, la liberté d’expression et le fonds commun de la création.
36 Cass. Civ. 1, 12 janvier 1988, Légifrance n°85-18787: dans cette affaire relative à la caricature par Thierry Le Luron et Bernard Mabille de la chanson « Douce France », la Cour de cassation a notamment jugé « qu’il ne saurait dès lors être interdit au chansonnier-imitateur qui prend la voix de l’auteur-interprète d’une chanson et se livre en même temps à une parodie et à une caricature, de reproduire la musique originale de sorte que l’œuvre parodiée est immédiatement identifiée tandis que le travestissement des seules paroles suffit à réaliser celui de cette oeuvre prise dans son ensemble et à empêcher toute confusion, ni de se moquer le cas échéant avec insolence des travers de celui qui est imité ».
37 P. 117
38 Voir Didier Sénécal, Faut-il célébrer le pastiche ?, Lire, février 1998 qui rappelle que la plupart des auteurs se sont livrés à ce type d’exercice et qui écrit « le pur créateur n’existe pas, et le pasticheur mérite mieux qu’un sourire condescendant ».
39 André LUCAS, Droits des auteurs, Exceptions au droit exclusif, JCL Civil annexes, Propriété littéraire et artistique, Fasc. 1248, 2004, n°76
40 Le droit à l’image et la caricature à l’épreuve du marché, JCP G., 1998, II, 10082
41 En ce sens, Grégoire LOISEAU, Le droit à l’image et la caricature à l’épreuve du marché, JCP G., 1998, II, 10082
42 Il n’y a plus d’intention humoristique lorsque la caricature tourne à la diffamation ou à l’injure. Voir notamment, Cass. Civ. 2, 28 janvier 1999, Legifrance n°96-16992 à propos d’un magazine ayant publié un dessin « représentant le chanteur Mickael Jackson se livrant à un acte de pédophilie sur l’enfant Jésus et celui représentant l’enfant Jésus sous les traits d’Hitler ». Les dispositions de la loi du 29 juillet 1881 excluent l’application de l’article 1382 du Code civil – Cass. Crim., 7 décembre 1993, Legifrance n°92-81091.
43 A. LUCAS et H.-J. LUCAS, Traité de la propriété littéraire et artistique, Litec, 2ème éd., p.345, n°424
44 André LUCAS, Droits des auteurs, Exceptions au droit exclusif, JCL Civil annexes, Propriété littéraire et artistique, Fasc. 1248, 2004, n°30
45 JCL Propriété littéraire et artistique, Droits voisins du droit d’auteur, Fasc. 1436, n°49
46 Voir note ci-dessus, n°36
47 CA Paris, 8 septembre 2004, aff. Publicis – SFR / Gaumont – Besson, n°04/09673.
48 Voir notamment, Cass. Crim., 21 mai 1984, Légifrance, n°83-92070, dans lequel il est jugé que : » Attendu qu’en l’état de ces motifs, et en interprétant l’article 44 de la loi du 27 décembre 1973 comme n’interdisant pas « la publicité hyperbolique » qui se traduit pas « la parodie » ou « l’emphase », dès lors qu’il est établi, par référence « à l’optique du consommateur moyen » et en tenant compte « du degré de discernement et du sens critique de la moyenne des consommateurs », que l’outrance ou l’exagération de l’image publicitaire « ne peut finalement tromper personne », les juges ont justifié leur décision ». Pour une présentation synthétique de la question voir, Jean-Marie Léger, Le Guide juridique du créatif, éd. d’Organisation, p.245