L’indépendance des procédures consécutives à un licenciement pour inaptitude : principes et conséquences


Droit de la protection sociale

Il n’est pas rare qu’un salarié licencié pour inaptitude demande parallèlement à l’organisme de sécurité sociale compétent la reconnaissance de sa maladie comme étant d’origine professionnelle. Une telle reconnaissance, qui sera définitivement acquise au salarié dès la décision de la caisse, emportera un certain nombre de conséquences en termes de prise en charge des soins, d’indemnités journalières et d’indemnisation attachée à une incapacité temporaire ou permanente.

Le salarié peut par ailleurs agir devant le tribunal judiciaire dans le cadre d’une action en reconnaissance de faute inexcusable, s’il estime que sa maladie trouve son origine dans une telle faute de son employeur ; son objectif consistera alors à obtenir la majoration intégrale à son maximum de la rente allouée par l’organisme de sécurité sociale, ainsi que l’indemnisation du préjudice résultant de cette faute.

Parallèlement, il peut saisir le conseil de prud’hommes afin de lui demander d’imputer la responsabilité de son inaptitude à son employeur et d’en tirer les conséquences en condamnant ce dernier à réparer le préjudice résultant de ce licenciement alors considéré comme nul ou sans cause réelle et sérieuse, outre une indemnité compensatrice de préavis et une indemnité spéciale de son licenciement notamment.

De son côté, l’employeur peut saisir le tribunal judiciaire d’une action en contestation de la décision de reconnaissance de maladie professionnelle de son ancien salarié, au fond ou quant à son opposabilité, celle-ci entraînant automatiquement une hausse de son taux de cotisation AT/MP et ouvrant la voie à des poursuites judiciaires sur le fondement notamment de la  reconnaissance de faute inexcusable.

Il y aura donc, alors, trois procédures parallèles que certaines des parties pourraient être tentées de lier les unes aux autres en invoquant une interdépendance et/ou un risque de contradiction entre les décisions à venir.

I- La portée d’une éventuelle interdépendance entre plusieurs procédures distinctes.

Par application de l’article 378 du Code de procédure civile et de la jurisprudence y afférente, le sursis à statuer peut être ordonné par un juge lorsqu’il considère , dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire et en vue d’une bonne administration de la justice, qu’une décision à rendre dans le cadre d’une autre instance en cours est de nature à influer sur la solution du litige qu’il a la charge de trancher.

Une telle décision suspend le cours de l’instance «pour le temps ou jusqu’à la survenance de l’événement qu’elle détermine », à savoir, en général, une décision insusceptible de recours rendue dans le cadre d’une autre instance.

Cela a pour effet de suspendre, parfois pendant plusieurs années, le cours d’une instance dans l’attente de l’issue définitive d’un autre litige.

Dans le domaine qui nous occupe, on comprend le potentiel intérêt de type dilatoire et stratégique, pour un employeur, de solliciter un tel sursis à statuer, dans le cadre de l’action prud’homale ou de l’action en reconnaissance de faute inexcusable engagée par le salarié, et ce dans l’attente de la décision à rendre dans le cadre de la contestation de la maladie professionnelle, formée à l’encontre de la caisse.

Une telle demande n’a toutefois pas de chance de prospérer au regard du principe de totale indépendance des procédures érigé par la jurisprudence dans un objectif de protection du salarié.

II- Les procédures engagées au regard du droit de la sécurité sociale sont indépendantes les unes par rapport aux autres.

Relevons tout d’abord qu’en aucun cas, le cours de l’une de ces actions ne saurait avoir la moindre influence sur la ou les autres, sauf à remettre en cause le principe de l’indépendance :

Plus précisément :

Dans un arrêt publié au Bulletin, rendu le 26 novembre 2015, la Cour de cassation a réaffirmé ce principe intangible en ces termes : « ayant pour objet exclusif la prise en charge ou le refus de prise en charge au titre de la législation professionnelle, de l’accident, de la maladie ou de la rechute, la décision prise par la caisse … est sans incidence sur l’action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur »[1] 

Cette position de principe a d’ailleurs été réitérée dans les mêmes termes par d’autres arrêts[2].

De même, par un arrêt rendu le 31 mars 2016, également publié au Bulletin, la deuxième chambre civile a notamment affirmé que l’irrégularité de la procédure ayant conduit à la prise en charge de  la maladie professionnelle est, quelle que soit la date du recours, sans incidence sur les conséquences financières de la procédure en reconnaissance de la faute inexcusable à l’égard de l’employeur[3].

Ainsi et en application du principe de l’indépendance des rapports, le salarié ne peut en aucun cas être affecté par une décision impliquant les seuls rapports entre la caisse et l’employeur.

Il en résulte notamment que :

-la reconnaissance de la faute inexcusable ne dépend pas de la reconnaissance par la caisse, en tant que tel, du caractère professionnel de la maladie;

-la prise en charge ou le refus de prise en charge au titre de la législation professionnelle est sans incidence sur l’action en reconnaissance de la faute inexcusable, et sur le droit de la caisse de récupérer auprès de l’employeur, après reconnaissance de cette faute, les compléments de rente et indemnités versés par elle;

-l’employeur est irrecevable, dans le cadre d’une instance en reconnaissance de la faute inexcusable, à contester l’opposabilité de la décision de prise en charge de la maladie par la caisse.[4]

La seule hypothèse dans laquelle un sursis à statuer est envisageable est celle dans laquelle la maladie déclarée ne remplit pas les conditions d’un tableau de maladies professionnelles ; dans un tel cas, il incombe au tribunal judiciaire, avant de statuer sur la demande en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, de recueillir l’avis d’un autre comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP), dès lors que le caractère professionnel de la maladie est contesté par l’employeur en défense à cette action.[5]

Dans un tel cas, il y aura bien sursis à statuer dans l’attente de la décision de ce second CRRMP.

Encore convient-il de relever que dans ces espèces, l’employeur n’a pas parallèlement contesté le caractère professionnel de la maladie à titre principal dans le cadre d’une autre instance, mais le fait à titre reconventionnel, en défense à l’action exercée par le salarié. 

La question n’est alors pas celle d’un sursis à statuer dans l’attente de la décision d’une autre juridiction, mais celle de la désignation d’un second CRRMP, en lien avec la contestation du caractère professionnel de la maladie, formée par l’employeur [6].

III- L’impact, pour l’employeur, d’une décision d’inopposabilité sur les conséquences financières de la reconnaissance d’une faute inexcusable.

Une contestation de la décision de prise en charge portant sur un motif purement formel (violation du principe du contradictoire, non-respect des délais d’instruction…) permet à l’employeur, s’il obtient satisfaction, d’échapper, dans ses rapports avec la caisse, aux conséquences financières liées à la reconnaissance du caractère professionnel d’un accident ou d’une maladie. Son taux AT/MP ne sera donc pas modifié.

L’employeur restera alors redevable des conséquences financières de sa faute inexcusable telles que prévues aux articles L452-1 à L452-3 du code de la sécurité sociale et la caisse conservera alors son recours subrogatoire [7].

En revanche, si l’employeur obtient gain de cause dans le cadre d’une contestation au fond de la décision de prise en charge au titre de la législation professionnelle, alors la caisse ne pourra récupérer auprès de celui-ci les sommes correspondant aux conséquences financières de la faute inexcusable[8].

Par ailleurs, il n’y a et ne peut y avoir aucun lien entre la procédure diligentée par l’employeur à l’encontre de l’organisme de sécurité sociale (en l’absence du salarié, totalement étranger à cette procédure) et celle pendante devant le Conseil de prud’hommes, une jurisprudence constante de la Cour de Cassation consacrant le principe de l’indépendance du droit du travail par rapport au droit de la sécurité sociale.

Ainsi et en vertu de ce même principe d’indépendance :

-il appartient aux juges prud’homaux de rechercher eux-mêmes l’existence du lien de causalité entre l’accident du travail ou la maladie professionnelle et l’inaptitude, peu important que l’organisme social ait ou non reconnu l’origine professionnelle de la maladie[9] ;

-l’application des règles protectrices applicables aux victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle n’est pas subordonnée à la reconnaissance, par la CPAM, du lien de causalité entre cet accident ou cette maladie et l’inaptitude, les juges prud’homaux ayant à rechercher eux-mêmes l’existence de ce lien de causalité[10] ;

-la décision de reconnaissance d’une maladie professionnelle par la CPAM est sans incidence sur l’appréciation par le juge prud’homal de l’origine professionnelle ou non de l’inaptitude).[11]

Dès lors, il ne peut y avoir de sursis à statuer dans l’attente du prononcé de la décision devant être rendue devant une autre juridiction et toute demande tendant à cette fin serait irrecevable.

 

[1] Cass. 2e civ. 26 novembre 2015 n°14-26.240
[2] Cass. 2e civ. 11 février 2016 n° 15-10066
[3] Cass. 2e civ. 31 mars 2016 n°14-30015
[4] Cass. 2e civ. 8 novembre 2018 n° 17-25843
[5] Cass. 2ème civ. 6 octobre 2016 n°15-23678 ; Cass. 2ème civ. 21 septembre 2017 n°16-18088
[6] Cass. 2e civ. 18 décembre 2014 n°13-26842, publié au Bulletin
[7] Cass. 2e civ. 31 mars 2016 n° 14-30.015
[8] Cass. 2e civ. 15-2-2018 n° 17-12.567
[9] Cass. Soc.4 mai 1999 n°97-41484
[10] Cass . Soc. 28 avril 2011 n°09-43550 ; Cass. Soc. 9 juin 2010 n°09-41040
[11] Cass. Soc. 13 février 2013 n°11-26887 ; Cass. Soc. 11 décembre 2013 n°12-21325