Opérations de croissance externe et pandémies conséquences juridiques sur leur préparation
Publié le 08/07/2020
par Jérôme Pétrignet
Droit des sociétés
La crise sanitaire liée à la pandémie de coronavirus (covid-19) a entraîné la mise à l’arrêt brutale des secteurs entiers de l’économie pendant près de trois mois.
Dans ce contexte inconnu auparavant, les acteurs économiques ont dû et continuent à s’adapter afin de prendre en compte de nouveaux paramètres dans la définition, notamment contractuelle, de leurs opérations d’acquisition.
Nous vous proposons un rapide tour d’horizon des conséquences juridiques de la crise sanitaire sur les opérations en cours et des points de vigilance et pistes de réflexion à garder à l’esprit pour de futures opérations.
Comment gérer les conséquences immédiates de la crise sanitaire concernant les opérations en cours
L’arrêt brutal de l’économie afin de lutter contre la propagation de l’épidémie a créé de nombreuses difficultés qu’il revient le plus souvent à l’acquéreur de gérer dans l’optique de la reprise de la cible post-acquisition : report voire annulation des opérations, forte chute de la valorisation de la cible, gestion de la trésorerie dans un contexte de cessation totale ou partielle de l’activité de la cible, problématiques sociales liées au régime exceptionnel d’activité partielle, prise en compte du Prêt Garanti par l’Etat (PGE), etc.
Les acquéreurs peuvent alors se trouver pris au piège d’une documentation précontractuelle (lettre d’intérêt, offre, etc.) ou contractuelle (promesse de vente et d’achat, voire contrat d’acquisition définitif déjà signé) trop contraignante et/ou mal adaptée à l’évolution rapide, et souvent négative, de la situation économique de la cible et de son environnement.
Dans cette situation ou la tentation est forte de vouloir abandonner ou renégocier les opérations, les outils juridiques à la disposition des acquéreurs sont malheureusement assez peu efficaces. Les principaux sont les suivants :
- Force majeure (art. 1218 du Code civil). Bien que les circonstances liées à l’épidémie de covid-19 soient tout-à-fait exceptionnelles par leur ampleur notamment, il faut tout de même rappeler que la jurisprudence, par le passé, a toujours refusé de considérer les pandémies comme des cas de force majeure justifiant de ne pas exécuter un contrat. Par ailleurs, vu la nature des obligations réciproques afférentes aux cessions de titres de société (délivrance des titres contre paiement du prix), la force majeure semble difficilement applicable à ces opérations. La jurisprudence a notamment toujours refusé d’appliquer la force majeure à l’obligation de paiement d’une somme d’argent.
- Imprévision (art. 1195 du Code civil). Rappelons d’abord que le régime de l’imprévision est inapplicable aux cessions d’actions (par exclusion de l’article L. 211-40-1 du Code monétaire et financier). Cette notion est donc inefficace lorsque la cible de l’acquisition est une société anonyme ou, comme c’est très souvent le cas, une société par actions simplifiée. Il reste le cas des sociétés dont le capital est divisé en parts sociales, telles que les sociétés à responsabilité limitée. En principe, l’imprévision pourrait s’appliquer à la cession de leurs titres et ouvrir la voie d’une renégociation des termes d’une promesse d’achat en vigueur. Toutefois, il restera à démontrer que l’imprévision est applicable au cas d’espèce, ce qui suppose qu’un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rende l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque. Là encore, au vu de la nature des obligations réciproques des parties dans le cadre d’une acquisition de société, il est peu probable que l’imprévision puisse être utilement invoquée. Par ailleurs, la pratique contractuelle en cours exclut généralement volontairement son application.
Concernant la documentation précontractuelle, nous ne pouvons qu’inciter les candidats acquéreurs à éviter de signer des documents présentant un caractère trop engageant juridiquement, et de se réserver la marge de manœuvre la plus large possible afin de prendre en compte, à l’avenir, d’événements similaires.
Les pistes de réflexion pour les opérations a venir
Pour se prémunir des effets adverses d’évènements inconnus au moment du démarrage des discussions avec les vendeurs, les acquéreurs pourront recourir à différents outils juridiques. En voici quelques-uns :
Dans le cadre de l’audit juridique d’acquisition :
- Vérification plus attentive des clauses d’adaptation et de résiliation contenues dans les contrats fournisseurs et dans les contrats clients.
- Vérification des process internes de gestion des risques (notamment à l’égard des salariés de la cible).
Dans le cadre de la rédaction des documents d’acquisition :
- Inclusion de conditions suspensives plus larges (visant par exemple l’obtention de financements afférents au plan de reprise), permettant à l’acquéreur de se dégager de l’opération plus aisément.
- Aménagement contractuel de la clause d’imprévision lorsque celle-ci est applicable.
- Recours à des clauses d’événement significativement défavorable étant toutefois précisé que ces clauses sont souvent source de tension et de difficulté au moment de leur rédaction et de leur discussion,
- Abandon des clauses de locked box qui figent le prix sans adaptation possible en cas d’évolution défavorable de la trésorerie au profit de clauses d’ajustement du prix,
- Utilisation des clauses d’earn out qui permettent d’aligner le prix sur les performances post acquisition et qui prennent donc en compte, implicitement, les évènements défavorables qui surviendraient post acquisition. Il est toutefois à noter que ces clauses sont également délicates à rédiger et bien souvent source de tension au moment de leur mise au point.
- Garanties renforcées et fixation de seuils de mise en jeu ou de plafond plus favorables aux acquéreurs que ceux qu’ils n’étaient avant la pandémie.
******
La pandémie de covid-19 aura probablement un impact profond et durable sur les pratiques contractuelles en matière de fusion-acquisition, vraisemblablement par le biais d’un rééquilibrage en faveur des acquéreurs qui se sont raréfiés pendant la crise sanitaire et resteront probablement prudents pour une durée qu’il est difficile de déterminer actuellement.