Prouver que l’on a raison ne suffit pas. Encore faut-il y mettre les formes


Droit commercial et économique

L’acquéreur d’un fonds de commerce obtient du vendeur une clause de non rétablissement préservant l’intérêt du fonds et de la clientèle.

Le vendeur, immédiatement après cession, confie à sa compagne la création d’un fonds similaire proche du lieu du fonds vendu.

L’acquéreur lésé, missionne un détective privé qui, cinq mois durant, file le cédant et constate sa participation active à la gestion du fonds nouvellement créé.

Au rapport du détective privé constatant sans équivoque la forfaiture du cédant, se rajoute un rapport d’expertise privé évaluant la perte financière du fonds acheté et établissant le lien avec l’ouverture du nouveau fonds.

Fort de ces éléments, l’acquéreur partiellement évincé de sa clientèle obtient de la Cour d’appel de Nancy condamnation du vendeur à l’indemniser.

Mais le vendeur saisi la Cour de cassation en invoquant la violation de son droit à la vie privée et l’impossibilité pour le juge de statuer uniquement sur des expertises privées.

La Cour de cassation déboute le vendeur sur le terrain de la vie privée ayant observé que la filature n’avait pas excédé cinq mois et qu’elle n’avait pas eu de caractère intrusif et que, de surcroît, elle avait un caractère concluant. Mais, elle déboute l’acquéreur évincé au motif qu’un juge ne saurait se prononcer sur la seule production d’expertises privées.

Cette jurisprudence de la Cour de Cassation est établie mais reste à notre sens contestable.

Si l’article 16 du code de procédure civile impose le caractère contradictoire du débat ce qui implique que le résultat de l’expertise doit pouvoir être contradictoirement débattu, et cela avait été le cas en l’espèce, on ne voit pourquoi l’expertise elle-même devrait être judicaire, donc contradictoire, alors qu’en matière commerciale la preuve est libre.

Dans l’espèce considérée, le résultat est consternant puisque la Cour de cassation reconnaît elle-même qu’un acquéreur a été injustement évincé qui pourtant se voit privé de son droit à indemnisation au seul motif que l’élément de preuve qu’il avait fourni n’était pas une expertise judiciaire.

Or, l’expertise avait été versée au débat, et il était loisible au vendeur de la critiquer et, si justifié de l’anéantir, en préservant ainsi ses droits. Manifestement cela n’a pas été possible prouvant la validité des allégations de l’acquéreur malheureux.

Ainsi, la Cour de cassation maintient sa position selon laquelle lors d’un débat judiciaire la seule preuve d’une expertise non contradictoire ne suffit pas à emporter la décision du juge alors que l’on se trouve dans des situations où il est, par essence, difficile d’établir la preuve.

Il reste une ambiguïté dans la rédaction de l’arrêt de la Cour de cassation puisque la cassation ne porte que sur le montant de l’indemnité, ouvrant ainsi la porte devant la cour d’appel de renvoi à ce que l’acheteur évincé puisse prétendre à ce que le principe de la responsabilité de son vendeur reste valide, seul le montant du préjudice étant encore dans le débat, et lui réservant alors la possibilité de recourir à d’autres moyens de preuve pour chiffrer le préjudice.

La rédaction sibylline de l’arrêt ne permet pas d’être certain que l’acquéreur évincé pourra être sauvé et il serait souhaitable que la Cour de cassation abandonne sa position exagérément restrictive pour l’administration de la preuve.