Un tribunal parisien rend une décision encourageante pour les déposants franco-libanais


Droit international

Une lueur d’espoir pour les déposants franco-libanais ne résidant pas en France ? Le 29 juin dernier, le tribunal judiciaire de Paris s’est déclaré compétent pour statuer sur une action intentée contre un établissement bancaire libanais – dont l’identité n’a pas été révélée – par un couple de déposants souhaitant récupérer son dû, rendu inaccessible depuis 2019 par les restrictions arbitraires des banques libanaises sur les retraits et transferts.

Si certains déposants ayant intenté des actions judiciaires à l’étranger contre leur banque avaient pu obtenir gain de cause – comme par exemple dans le cas du jugement rendu en novembre 2021 par le tribunal de Paris (et confirmé en appel) contre la banque Saradar –, les magistrats européens retenaient jusque-là deux seuls critères pour apprécier leur compétence en la matière : d’une part, la résidence dans le pays de la juridiction concernée et, d’autre part, le fait que le client ait été sollicité dans un pays européen. Or, dans son ordonnance, le tribunal a élargi le premier critère, permettant à ce couple ne résidant pas dans l’Hexagone d’y engager néanmoins une procédure en France en se fondant sur le critère de la seule nationalité.

Clauses abusives

Selon Michel Ferrand, membre du barreau de Paris et avocat des deux déposants ayant obtenu satisfaction, l’autre innovation de cette décision tient au fait que le tribunal a considéré que les « clauses attributives de juridiction incluses dans les conventions d’ouverture des comptes (en question) sont entachées de nullité. » Avant cette décision, les déposants français qui souhaitaient entamer des poursuites en France contre leur banque pouvaient en effet voir leurs demandes rejetées en raison de la formulation de ces contrats. Or, pour Me Ferrand, « la plupart des clauses figurant dans les conventions d’ouverture de compte imposent non seulement d’attribuer aux tribunaux libanais la compétence pour régler les différends avec les déposants, mais aussi de faire accepter par le client la compétence de tout tribunal étranger qu’une banque déciderait de choisir ». Et d’ajouter : « De telles clauses sont potestatives, c’est-à-dire qu’elles violent le principe de l’égalité des parties à un contrat, en faisant dépendre l’exécution des obligations contractuelles de la volonté d’un seul des contractants, en l’occurrence la banque. »

Par ailleurs, dans cette affaire, la banque avait clôturé le compte des déposants en consignant auprès d’un notaire deux chèques tirés sur la Banque du Liban et payables à Beyrouth. « Cette manœuvre risquait de priver mes clients du droit d’agir contre la banque », commente l’avocat, qui précise que « le tribunal a négligé l’argumentaire de la banque relatif à l’efficacité de la consignation notariale ».

Implications au Liban ?

Mais qu’en est-il du second critère retenu traditionnellement par les juges européens : le lieu de résidence ? Car si dans cette affaire les requérants résidaient en Europe et avaient été contactés là-bas, des déposants franco-libanais résidant et sollicités au pays du Cèdre pourraient-ils également recourir à la justice française ? « Le critère du lieu de sollicitation n’a pas été évoqué par les demandeurs, et le tribunal n’a pas fait du lieu de signature du contrat entre la banque et ses clients un critère de décision ; le silence du juge sur ce point laisse toutes les options ouvertes… » indique Me Ferrand.

Il reste que même si cette décision se limite à reconnaître la compétence de la justice française, et est par ailleurs susceptible d’un recours en appel par la banque, elle a levé un verrou procédural important. « Même si la décision obtenue n’est pas une condamnation et encore moins la certitude du remboursement des dépôts effectués, elle génère un espoir pour des déposants qui se prévalent d’une nationalité française », se réjouit l’avocat des plaignants.

Au Liban, certaines voix se félicitent également de la décision des magistrats français. Contacté par L’OLJ, le cofondateur de l’Union des déposants, Fouad Debs, déclare que la décision parisienne « est très importante (et) peut mener à la reconnaissance des droits des déposants et à la responsabilité des banques », dans un pays où « de nombreux juges sont liés aux politiciens et aux banquiers. » Un optimisme que partage Karim Daher, président de la commission de défense des droits des déposants au sein du barreau de Beyrouth. « Des magistrats libanais pourraient suivre cette orientation, sachant que la jurisprudence libanaise s’inspire souvent de celle française », estime-t-il. « D’autant que nous assistons actuellement à une “intifida” de plusieurs membres de la magistrature : le Conseil d’État, a ainsi rendu lundi une décision ordonnant au ministre des Finances de remettre à l’ONG Legal Agenda les documents relatifs à l’audit juricomptable de la BDL, tandis que dix jours plus tôt, un autre juge avait ordonné la saisie conservatoire des biens de son gouverneur », observe encore Me Daher.