La marque inexploitée et le risque de déchéance


Droit de la propriété intellectuelle

Parmi les nombreux aléas qui affectent la validité et l’efficacité des marques déposées, le risque de déchéance est probablement l’un des plus insidieux. Combien de marques agonisent ainsi silencieusement, aux frais des déposants, dans les registres des offices nationaux et internationaux ? Difficile de le savoir. La déchéance n’est en effet prononcée que si elle est sollicitée en justice. Elle n’intervient le plus souvent qu’à l’occasion d’actions en contrefaçon intentées par les titulaires des droits. Ce moyen de défense, s’il est fondé, est redoutablement efficace pour le contrefacteur. La déchéance a un effet absolu nous dit la loi : la déchéance prononcée vaut certificat de décès.

L’agonie d’une déesse

Comme on le sait, une marque peut être juridiquement éternelle, dès lors qu’elle est renouvelée tous les dix ans. Cet attribut divin est comme la flamme de l’Evangile : à défaut d’entretien, elle faiblit peu à peu et finit par s’éteindre. La marque encourt en effet la déchéance si son propriétaire, « sans justes motifs, n’en a pas fait un usage sérieux, pour les produits et services visés dans l’enregistrement, pendant une période ininterrompue de cinq ans » (article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle). Cinq ans, c’est à la fois long et court. Long dans la mesure où le dépôt d’une marque correspond en général à des projets d’entreprise à court ou moyen terme. Si le projet n’aboutit pas dans ce délai, c’est qu’il n’était a priori pas viable. Court, parce que la marque peut désigner dès l’origine des produits ou services dont on ne sait pas toujours qu’ils répondront à l’avenir à un besoin du marché. Toujours est-il qu’une inexploitation de la marque menace fortement sa survie.

Attelles et réanimation

La loi consent elle-même aux déposants de précieux outils de survie. Le juste motif de non-exploitation peut ainsi épargner à la marque une décision fatale. Mais ce juste motif doit présenter des caractéristiques rarement réunies. La Cour de Justice de l’Union Européenne exige en effet que l’obstacle à toute exploitation doit être indépendant de la volonté du titulaire des droits et doit en outre présenter une relation directe avec la marque, au point de rendre son usage impossible ou déraisonnable (CJCE, 14 juin 2007, aff. C-246/05). Présente ces caractéristiques, notamment, le défaut d’octroi d’une autorisation administrative nécessaire à la commercialisation du produit désigné par la marque.
Si l’exploitation doit être sérieuse, le législateur admet que cette exploitation puisse être le fait d’un tiers et que la marque soit utilisée sous une forme modifiée n’en altérant pas le caractère distinctif. La notion d’usage sérieux bénéficie par ailleurs d’une interprétation jurisprudentielle globalement bienveillante. Encore faut-il que cet usage corresponde bel et bien à celui d’une marque, à savoir désigner des produits et services. Tel n’est pas le cas d’un « simple » usage à titre de dénomination sociale ou de nom commercial.
Le Code de la propriété intellectuelle prévoit enfin un mécanisme de réanimation d’une marque moribonde : si après une inexploitation quinquennale, le titulaire commence ou reprend une exploitation effective, la marque retrouve toute la vigueur de ses très jeunes années. La réanimation est en revanche impossible si cette reprise ou ce commencement d’exploitation intervient dans les trois mois précédant une demande de déchéance et après que le propriétaire a eu connaissance de l’éventualité de cette demande : un usage in extremis ne permet pas d’échapper à la mort.

Amputation

La déchéance peut n’être que partielle. Telle est du reste la situation la plus courante. La technique consistant, lors du dépôt, à couvrir le maximum de produits et services dans le but d’accroître son monopole sur le signe déposé, est bien souvent illusoire. Bon nombre de ces produits et services ne seront en réalité jamais commercialisés. A l’échéance fatale des cinq ans, la marque risque donc fort de se voir largement amputée : en cas d’action en déchéance, seuls subsisteront les produits et services pour lesquels la marque aura été effectivement exploitée.