Droit de la propriété intellectuelle
La transposition en droit français de l’article 17 de la directive sur les droits d’auteur doit intervenir début juin. Cet article modifie en substance la responsabilité des plateformes de partages de contenus à l’égard des titulaires de droits d’auteur en cas d’utilisation non autorisée de leurs œuvres. Les titulaires de droits doivent d’ores et déjà anticiper sur l’entrée en vigueur de ce nouveau régime : quelles sont les démarches à entreprendre ?
L’article 17 de la directive (UE) 2019/790 du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique, ouvre de nouvelles perspectives aux victimes d’usage contrefaisant de leurs œuvres sur les plateformes de partage de contenus mis en ligne par des internautes.
La transposition de cet article en droit français doit intervenir via une ordonnance dans un délai de six mois à compter du 4 décembre 2020, date de promulgation de la loi d’habilitation du 3 décembre 2020.
Affirmation d’un principe de responsabilité …
Jusqu’à présent les éditeurs de ces plateformes pouvaient se prévaloir de l’article 6.I.2. de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, prévoyant un régime spécifique de responsabilité pour les intermédiaires dits techniques (stockage de contenus fournis par des utilisateurs du service). Leur responsabilité civile ne peut être engagée du fait des informations stockées que s’ils n’ont pas connaissance de leur caractère manifestement illicite ou si, dès le moment où ils en ont eu cette connaissance, ils n’ont pas agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l’accès impossible. Cette responsabilité est subordonnée à une notification préalable au formalisme accru.
L’article 17 de la directive 2019/790 a vocation à mettre fin à ce régime, que d’aucuns n’hésitent pas à qualifier d’irresponsabilité.
Le principe est inversé : Un fournisseur de services de partage de contenus en ligne doit obtenir une autorisation des titulaires de droits afin de communiquer au public ou de mettre à la disposition du public des œuvres ou autres objets protégés téléversés par des utilisateurs.
L’autorisation obtenue par le fournisseur de service couvre également les actes accomplis par les utilisateurs du service lorsqu’ils n’agissent pas à titre commerciale ou lorsque leur activité ne génère pas de revenus significatifs.
… assorti de réserves et d’exceptions
Ce principe est néanmoins assorti de réserves et d’exceptions.
La règle de la responsabilité atténuée s’applique dès lors que le fournisseur de service agit pour des finalités ne relevant pas du champ d’application de la directive 2019/790. Selon le Considérant 62, les services couverts par la directive sont les services dont l’objectif principal ou l’un des objectifs principaux est de stocker et de permettre aux utilisateurs de téléverser et de partager une quantité importante de contenus protégés par le droit d’auteur en vue d’en tirer un profit, directement ou indirectement, en organisant et en promouvant ces contenus afin d’attirer un public plus large, y compris en les classant et en faisant une promotion ciblée parmi ceux-ci. Les autres « finalités » que celles-ci devraient donc relever de la responsabilité atténuée.
Le défaut d’autorisation des titulaires des droits ne rend les fournisseurs de services de partage de contenus en ligne responsables des actes non autorisés de communication au public que s’ils ne sont pas en mesure de démontrer que :
Certains fournisseurs de service voient du reste leurs obligations limitées. Il s’agit des nouveaux fournisseurs de services de partage de contenus en ligne dont les services ont été mis à la disposition du public dans l’Union depuis moins de trois ans et qui ont un chiffre d’affaires annuel inférieur à 10 millions d’euros.
Implications concrètes
Ainsi, malgré le principe de responsabilité, une démarche préalable du titulaire des droits auprès des fournisseurs de services concernés s’avère nécessaire. Cette démarche prendra la forme d’une notification officielle dont le contenu devra être aussi précis et pertinent que possible.
De surcroit, la directive mentionne les éléments à prendre en compte pour apprécier si le fournisseur de service s’est bien conformé aux obligations visées ci-dessus : le type, l’audience et la taille du service, le type d’œuvres ou autres objets protégés téléversés par les utilisateurs du service, et la disponibilité de moyens adaptés et efficaces et leur coût pour les fournisseurs de services. On peut penser que ces informations – notamment techniques – devront être fournies par le fournisseur de service sur lequel pèsera la charge de la preuve.
Selon l’HADOPI, « la notion de « meilleurs efforts » est à déterminer selon le principe de proportionnalité et sa portée dépendra, pour chacune des catégories de droits concernées, des contenus présents sur la plateforme et de leurs caractéristiques. Il s’agit d’une notion évolutive, qui ne doit pas être appréciée de manière théorique mais dynamique, en fonction de l’état de l’art des technologies, de leur efficacité et des autres facteurs pertinents tels que, leurs coûts ou leurs contraintes de mise en œuvre ».
Afin de faciliter la mise en œuvre de ces nouvelles règles, la directive prévoit par ailleurs que :
Des mécanismes de recours extrajudiciaires devront être disponibles pour le règlement des litiges, sans préjudice du droit des utilisateurs de recourir aux tribunaux. La Haute Autorité, pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI), ayant mission de veiller à la mise en œuvre effective de ce nouveau mécanisme, les recours extrajudiciaires relèveront sans doute de sa responsabilité.
Titulaires de droits : que faire dans l’immédiat ?
Concrètement et dans l’immédiat, les titulaires de droit doivent anticiper sur l’entrée en vigueur du nouveau régime de responsabilité des plateformes de partage de contenus. Cette anticipation peut prendre les formes suivantes :
Le contenu de cette dernière notification devra être particulièrement soigné car il est à craindre que ses insuffisances ne donnent prétexte aux plateformes à s’exonérer de leur responsabilité.
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Pour toute information et assistance, vous pouvez contacter Jean-Marie Léger, avocat associé, à l’adresse jean-marie.leger@enthemis.wp2.siteo.com.