Droit de la propriété intellectuelle
Synthèse :
Les tribunaux dénient souvent aux photojournalistes l’existence de choix libres et créatifs, les privant ce faisant de la protection du droit d’auteur. Pressé de rendre compte d’évènements d’actualité, le photojournaliste ne pourrait que restituer ce qu’il voit, sans apport personnel. Les scènes et l’instant saisi lui seraient totalement étrangers. Au demeurant, les performances techniques des appareils numériques réduisent à peu de chose les choix qu’il peut opérer lors de la prise de vue.
S’il est indéniable que la jurisprudence reprend ces arguments, elle laisse néanmoins place à l’originalité notamment lorsque, intervenu en amont, le photojournaliste a mis en scène son sujet. En outre, elle admet que l’originalité de l’instant saisi puisse conférer une créativité suffisante à un cliché. En tout état de cause, l’exigence d’originalité pourrait conduire à une absence choquante de protection s’il n’existait des protections secondaires.
Appréhendée le plus souvent sous le visa du parasitisme et de la concurrence déloyale, l’appropriation du travail d’autrui dans les cas, nombreux, de simple copier/coller, apparait cependant étrangère à ces notions. S’approprier le travail d’autrui sans autre effort qu’une copie numérique, tout en s’abstenant de payer le prix, constitue manifestement une faute au sens classique de la responsabilité civile de droit commun. Ainsi, sous réserve d’un travail et d’une commercialisation, un cliché ne devrait pas pouvoir être exploité sans que son auteur ait été préalablement payé.
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La photographie de presse, « capture d’un événement sur le vif », constitue un moyen d’information doté d’un pouvoir de conviction immédiat, mêlant à une information brute les sentiments et émotions que son auteur aura su saisir et restituer.
Le secteur du photojournalisme subit toutefois depuis plusieurs années, sous les effets conjugués de la crise de la presse et de la révolution numérique, d’importantes secousses économiques. L’utilisation non autorisée des photographies constitue à ce titre pour les professionnels de l’image un important manque à gagner. Même s’il n’existe, à notre connaissance, aucune donnée publique sur le nombre de photographies illicitement exploitées, les praticiens de la matière ont à gérer des contentieux de masse dont un bon nombre se résout fort heureusement par un accord amiable.
Les décisions judiciaires rendues en la matière sont relativement peu nombreuses. Cette jurisprudence, à sa lecture, laisse au demeurant un goût amer tant l’exigence d’originalité conduit à des subtilités et contradictions dont il est difficile de tirer des principes généraux. En déniant trop souvent aux photographies de presse la protection par le droit d’auteur, cette jurisprudence pourrait laisser croire à l’existence d’une nouvelle catégorie de res nullius ou choses sans maître, dont l’usage serait commun à tous. Relevant de la liberté d’expression et d’information, fondement essentiel d’une société démocratique, les photographies de presse nécessitent de toute évidence une protection garantissant la juste rémunération des professionnels qui les produisent et en assurent la diffusion. La protection par le droit d’auteur (I) doit donc nécessairement se compléter par des protections dites secondaires mais non moins essentielles (II).
Le photojournalisme est-il compatible avec une démarche créative ?
La généralisation des smartphones, des appareils photo numériques et le succès planétaire des réseaux sociaux ont indubitablement banalisé la photographie et ses usages. Les performances techniques des outils grand public donnent à chacun la faculté de réaliser des clichés de qualité. Que devient donc, dans ce cadre, l’originalité nécessaire à l’éligibilité aux droits d’auteur d’une création photographique ?
Si l’article L.112-2, 9°, du code de la propriété intellectuelle considère comme œuvres de l’esprit les œuvres photographiques, sans distinction de genre, la protection par le droit d’auteur reste subordonnée à la démonstration d’une démarche créative propre à l’auteur et qui porte l’empreinte de la personnalité de celui-ci.
A ce titre, le photojournalisme dont l’objectif premier est de rendre compte de l’information par l’image fixe semble a priori souffrir d’une incompatibilité congénitale avec l’originalité requise par le code de la propriété intellectuelle. La neutralité recherchée du journaliste dans la collecte et le traitement de l’information ne doit-elle pas lui interdire toute démarche personnelle susceptible d’affecter l’exactitude du fait dont il rend compte ? La liberté d’informer ne s’oppose-t-elle pas à l’appropriation juridique d’une image d’actualité, ressource appartenant à tous ? Il a été ainsi jugé que des photographies réalisées sur le vif, présentant des joueurs au cours d’une action sur un stade, révèlent certes des compétences techniques mais non l’empreinte d’une personnalité « dès lors qu’étant chargé de fixer les actions marquantes du match », le photographe « n’avait le choix ni du moment ni de la singularité des positions, ces éléments, résultant des conditions et circonstances du match dont il doit rendre compte fidèlement, lui échappant ».
Mais, de même qu’un article de presse « dont la composition structurée, servie par un style propre à l’auteur, propose un éclairage qui caractérise cet auteur », révèle une démarche intellectuelle créative et donc une originalité au sens du droit d’auteur, la photographie de presse n’est pas nécessairement le simple décalque d’un fait brut.
Reste à préciser en pratique ce qui caractérise l’originalité d’un cliché journalistique tant au regard des décisions l’écartant que de celles l’ayant admise.
Des choix libres et créatifs
Le photographe doit établir qu’il a effectué des choix libres et créatifs, la seule saisie du réel, même avec talent mais sans parti pris esthétique ou travail créatif, étant insuffisante. Il en est de même du savoir-faire technique. En l’absence de processus créatif, un savoir-faire technique ne saurait conférer une originalité à des scènes inhérentes aux sports extrêmes.
Il appartient à l’auteur du cliché de démontrer l’existence de choix personnels et arbitraires, « du sujet, de la mise en scène de l’objet photographié, de la composition du cadrage, de l’angle de prise de vue ou des modifications après la prise des clichés », l’un seul de ces choix pouvant se révéler suffisant.
Si l’on s’en tient à la méthode d’analyse préconisée par la CJUE dans son arrêt du 1er décembre 2011, l’originalité d’une photographie peut ainsi résulter des choix créatifs opérés soit lors de la phase préparatoire, soit lors de la prise de vue, soit lors du tirage et des retouches.
Au stade préparatoire, des choix limités
Au stade préparatoire, force est de constater que la faculté de choix du photojournaliste est limitée.
Les évènements auxquels il assiste lui sont imposés par l’actualité. Sauf circonstances particulières, il n’interfère pas dans les scènes dont il doit rendre compte. Le caractère imposé du sujet, des personnages et des décors exclut a priori la liberté du photographe. Tel est le cas pour les classiques photographies de sport. L’attitude et le comportement de joueurs photographiés ainsi que les lumières, étant imposés au photographe par la configuration des lieux et le déroulement du jeu, aucun choix personnel à l’auteur ne peut être retenu.
Est dépourvue d’originalité, le cliché dont les caractéristiques résultent de l’évènement, à savoir une conférence de presse, dans un lieu choisi par le club de foot, représentant l’entraîneur parlant dans un micro.
Les situations photographiées ne sont que de banales scènes de jeu ou d’actions footbalistiques qui sont donnés à voir depuis des décennies dans tous les magazines ou revues sportifs.
Le comportement passif du photographe qui s’est borné à installer son objectif en direction d’un téléski afin de disposer d’une fenêtre de visé, entre les arbres, et à déclencher son appareil à l’apparition des célébrités concernées, atteste là-encore d’une absence de choix, la prise lui étant imposée par les circonstances.
Une photographie prise sur le vif, représentant essentiellement le geste spontané de l’un des protagonistes de la scène captée, ne fait que restituer l’instant saisi sans apport personnel du photographe.
Un cliché qui ne fait que montrer dans une position classique un joueur en train de tenter de contrôler un ballon du bout du pied ne présente pas l’originalité requise en droit d’auteur.
Des photographies ayant pour objet les activités et événements arlésiens (tauromachie, monuments anciens, théâtre et musique, antiquités, sports, enfance, tourisme) » sont dépourvues d’originalité dès lors que « leurs caractéristiques en termes de cadrage et d’angle de vue ainsi que de lumière, pour des clichés destinés à illustrer soit des quotidiens et magazines soit des sites internet, sont de nature purement documentaire avec une simple reproduction de la réalité ». Pourtant, il a été jugé par ailleurs que la valeur documentaire de photographies est indifférente quant à la démonstration de leur originalité.
En revanche, le portrait d’un jeune espoir du football tricolore, « calme dans son attitude et confiant dans son avenir », observant évoluer des figurines d’anciens joueurs français au palmarès prestigieux, révèle, par un montage original, l’empreinte de la personnalité de l’auteur. De même, la mise en scène, orchestrée par le photographe, de deux jeunes joueurs de la nouvelle génération du rugby s’empoignant dans une attitude de lutteurs, donne son originalité à la photographie concernée.Le fait que des photographies aient été travaillées en amont, sur les instructions du photographe, lequel a choisi l’arrière-plan pour donner un effet ou pour fournir une information particulière, participe en tout état de cause de l’originalité des clichés. Ainsi, dès lors que le photographe aura mis en scène son sujet tout en adoptant un angle de vue et des techniques d’éclairage spécifique, l’originalité de ses clichés sera plus aisément admise.
Le choix de la prise de vue
Lors de la prise de vue, les choix du photographe peuvent être contraints par de nombreux facteurs.
L’absence de choix peut être déduite de la technique utilisée. Ainsi en est-il de la prise en rafale. Le procédé exclut la captation instantanée d’un mouvement particulier du sportif, seul à même, semble-t-il, pour la Cour de Montpellier, de manifester un choix créatif. Un photographe ne peut se prévaloir d’un cadrage particulier, d’un angle de vue et encore moins du moment pour réaliser les clichés dès lors que l’instant auquel il a déclenché son appareil était exclusivement commandé par l’apparition, pour quelques secondes, des personnages pris pour cible.
La technologie numérique permet le réglage automatique de l’obturateur et de la vitesse de telle sorte que la prise de vue d’une action sportive nécessite un minimum d’intervention manuelle. Des photographies prises au cours d’un match de football ne sont pas originales dès lors que le journaliste s’est contenté d’enregistrer des images de phases de jeu ou l’expression d’un joueur en utilisant les capacités techniques de son appareil comme le ferait n’importe quel photographe doté d’un appareil performant.
La mise en valeur du sujet – en l’occurrence une automobile – n’est pas en soi révélateur de l’originalité compte tenu de l’objet de la photographie destinée à illustrer un reportage relatant l’essai de ce véhicule.
La simple adaptation de la luminosité ne peut caractériser l’empreinte de la personnalité de l’auteur s’agissant d’un cliché pris sur le vif. Le fait de se plier aux préconisations d’un éditeur ne relève pas du choix créatif, ces conseils relevant au demeurant de l’apprentissage des bases du photojournalisme.
Si le photographe exerce effectivement un choix lorsqu’il zoome sur un sujet et qu’il décide de déclencher son appareil, la photographie prise au cours d’un match à l’insu des protagonistes n’est que le fruit du hasard qui trouve son origine dans les phases animées du jeu, le photographe ne faisant qu’intercepter un instant fugace.
Toutefois, une composition qui s’éloigne des banals clichés propres au monde du football est révélatrice d’un processus créatif, le photographe ayant choisi l’angle de prise de vue, les contrastes et le cadrage. Il en est de même d’un cliché qui se démarque des photographies classiques de groupes de footballeurs par le positionnement des joueurs, le cadrage, la lumière et la diversité des personnages.
Le choix de l’instant saisi n’apparaît donc pas suffisant s’il ne s’y ajoute une « composition » qui n’est somme toute qu’un moment choisi « original », en rupture avec le cours normal et prévisible des évènements, et des choix techniques manifestant un minimum de recherches créatives.
La banalité du sujet même assortie d’options techniques esthétiquement valorisantes constitue aux yeux des tribunaux un obstacle de taille à la reconnaissance d’une originalité. Ainsi, des photographies de footballeurs et de scènes de jeu constituent des « sujets ordinaires » et non le fruit de « recherches personnelles ».
Pourtant, la Cour d’appel de Bordeaux a pu juger que « même si le choix des sujets est souvent banal car dicté par la commande », le photographe, « au-delà des contraintes techniques de la prise de vue », a cherché, lors de ses reportages, la mise en évidence d’une ambiance, d’une personne ou d’un objet en les situant dans un contexte particulier. De même, si les éléments composant le cliché sont effectivement connus, « et, pris séparément, appartiennent au fonds commun de l’univers des photographies du saut en parachute en tandem », une physionomie propre se dégage du choix du positionnement, du point de vue, du cadrage, des couleurs et de l’atmosphère créée par la combinaison telle que représentée, l’appréciation de l’originalité devant s’effectuer de manière globale.
S’agissant de clichés de manifestations équestres, il a pu être jugé que « si certains des éléments qui composent les clichés dont s’agit sont nécessairement connus, mettant en œuvre un savoir-faire technique et que, pris séparément, ils appartiennent au fonds commun de l’univers de la photographie … leur combinaison … montre des choix arbitraires conférant à chacun d’eux une physionomie particulière » qui les distingue « de manière suffisamment nette et significative d’autres clichés du même genre ».
Retouches et déontologie journalistique ne font pas bon ménage
De la retouche à la manipulation de l’information, il n’y a parfois qu’un pas que le photojournaliste se doit de ne pas franchir. Certes, les logiciels de retouche offrent une large palette d’outils permettant de conférer à un cliché une originalité dont il serait, en soi, dépourvu. Cependant, les retouches acceptables ne pourront guère excéder un léger maquillage esthétique. Peu de chose finalement, selon nous, pour traduire un effort créatif au sens du droit d’auteur.
Tentative de synthèse
Indépendamment de l’originalité tirée de la composition du cliché, il ressort des décisions précitées que l’originalité de la scène captée, originalité à laquelle le photographe est pourtant étranger, peut conférer à une photographie sa créativité. L’œil du photographe, son sens de l’observation, sa sensibilité lui ont permis de saisir, dans un fatras d’images banales, l’instant même fugace où se révèle une émotion. S’il sait y joindre un savoir-faire technique, sans doute convaincra-t-il son juge d’une démarche créative. Ainsi, le photojournaliste qui a effectué une recherche particulière du positionnement des sujets et du cadrage, en retenant arbitrairement un détail du personnage ou de la situation, créé une dynamique particulière manifestant des choix créatifs méritant la protection du droit d’auteur. La faculté de percevoir mieux qu’un autre la portée singulière d’une situation justifiant à un instant précis le déclenchement de l’appareil photographique pourrait à elle-seule caractérisée l’originalité du cliché.
Si l’auteur bénéficie par ailleurs d’une certaine notoriété, notamment par les récompenses qui lui ont été décernées, les juges, en marge de la loi, seront plus enclins à lui reconnaître le bénéfice de cette protection. Au demeurant, si un photojournaliste mérite un prix, remis par la ministre de la Culture, pour un cliché pris le soir d’un match de l’OM, c’est bien que la profession reconnaît l’originalité de ce genre de photographies.
Les contraintes imposées du genre, en limitant la faculté de choix du photojournaliste, ne laissent in fine qu’une place réduite à l’originalité. Les protections dites à tort subsidiaires prennent ici un caractère essentiel.
Des protections parfois inadaptées
S’agissant de l’hypothèse qui nous occupe, à savoir l’utilisation non autorisée d’un ou quelques clichés non protégés par le droit d’auteur, certaines des protections dites subsidiaires s’avèrent manifestement inadaptées.
Tel est le cas de la protection applicable aux bases de données répertoriant des photographies, le producteur ne pouvant interdire que les extractions et réutilisations de la totalité ou d’une partie qualitativement ou quantitativement substantielle du contenu de la base (art. L342-1). Si les réutilisations répétées et systématiques de parties non substantielles peuvent être également sanctionnées (art. L342-3), il est rare en pratique qu’une telle hypothèse se rencontre.
Le parasitisme, un grand classique inapplicable ?
Le parasitisme qui consiste « à s’immiscer dans le sillage d’autrui afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire » est ici d’un maniement incertain eu égard aux conditions posées par la jurisprudence. La notion ne serait-elle pas au demeurant étrangère à l’hypothèse qui nous occupe ?
Même si la situation de concurrence n’est plus un critère de la concurrence déloyale – dont il faudrait sans doute changer le nom – l’utilisateur non autorisé de quelques clichés n’a pas vraiment – sauf circonstances spécifiques – la volonté de s’immiscer dans le sillage du détenteur desdits clichés. En outre, le parasite doit en principe agir dans le cadre d’une activité commerciale, ce qui n’est pas toujours le cas des utilisateurs indélicats.
Pourtant, l’appropriation du travail d’autrui est majoritairement appréhendée sous le visa du parasitisme. Or, en la matière, cette appropriation ne semble devenir fautive que si elle se révèle déloyale et, partant, accompagnée d’agissements contraires aux usages d’un commerce civilisé. L’analyse consiste ici à raisonner dans le cadre de la liberté de la concurrence. L’imitation ou la copie d’un produit n’est pas seulement licite, elle est encouragée par la nécessité économique d’offrir sur un marché donné des produits substituables. La Cour de cassation juge ainsi régulièrement « qu’en l’absence de tout droit privatif, le seul fait de commercialiser des produits identiques à ceux distribués par un concurrent n’est pas fautif ». Un risque de confusion est donc nécessaire. La concurrence déloyale peut résulter du seul fait que l’imitation a « pour effet de créer une confusion entre les produits dans l’esprit du public », la preuve d’une faute intentionnelle n’étant pas exigée.
Un parasitisme qui n’en a que le nom
Le risque de confusion est parfois largement apprécié si ce n’est purement et simplement ignoré. Ainsi, dans un jugement du 21 septembre 2017, le Tribunal de Paris, après avoir constaté que le « parasite » avait puisé les clichés utilisés sur son site via le moteur de recherche Google Image, juge que « la reproduction des clichés litigieux sur le site internet de la société S., sans bourse délier, caractérise en conséquence un agissement parasitaire de la part de celle-ci ».
S’il s’agit bien ici de « parasitisme », force est de constater que, juridiquement, il n’en a que le nom. Les « agissements parasitaires » ne viendraient-ils pas tout simplement « parasiter » une très classique responsabilité civile de droit commun ?
Une appropriation fautive étrangère à toute notion de concurrence déloyale
L’utilisateur non autorisé d’une photographie ne se borne pas à l’imiter ; s’abstenant paresseusement de créer par ses propres moyens un cliché semblable à celui du « parasité », il en réalise purement et simplement une copie via la duplication simple et rapide qu’autorise le format numérique.
L’erreur consiste ici à raisonner sous les auspices chatouilleux du saint marché concurrentiel. Pourtant, dans notre hypothèse, il n’y a pas lieu de préserver la liberté de la concurrence dès lors qu’aucun monopole d’exploitation ne s’oppose à ce que les utilisateurs s’inspirent largement de clichés existants pour réaliser ou faire réaliser les leurs.
En quoi une appropriation directe du travail d’autrui ne deviendrait-elle ici fautive qu’en présence d’agissements déloyaux ? Cette appropriation, contraire à la morale, est en soi fautive. Au demeurant, en cas d’imitation, le « parasite » ne doit-il pas « individualiser son produit et éviter ainsi une confusion entre les deux produits », une telle individualisation en présence d’un copier-coller étant, par hypothèse, exclue ?
La Cour de cassation, dans une affaire relative à des pièces de rechange, tout en rappelant que « les pièces reproduites, non protégées par un droit privatif, avaient été réalisées sur la base de plans fournis par le client … la seule similitude, obligée, de ces pièces ne prouvant pas l’appropriation déloyale du travail d’autrui », juge néanmoins que l’existence d’une faute aurait été démontrée si la victime de cette copie avait établi l’existence d’un surmoulage, qui n’est somme toute qu’une technique particulière de « copier-coller».
Le fait de copier-coller les éléments d’un site concurrent et de s’approprier ainsi « à bon compte le travail et les investissements d’autrui constitue un comportement parasite engageant la responsabilité de son auteur ».
Nul besoin de recourir à la notion de « parasitisme » lorsque l’utilisateur se borne à reprendre telle quelle la photographie d’un tiers. La responsabilité civile de droit commun suffit.
Pour une application autonome de l’article 1204 du Code civil
Une faute, un préjudice et un lien de causalité, tels sont les composants de la responsabilité civile qu’il convient naturellement de démontrer.
L’appropriation directe du travail d’autrui engage la responsabilité de l’utilisateur dès lors que la photographie fait l’objet d’une commercialisation et, qu’utilisée sans autorisation de son détenteur, son exploitant indélicat s’exonère du règlement de son prix et du travail nécessaire à l’obtention d’un cliché similaire. Chacun des éléments constitutifs et prérequis de la faute mérite des développements complémentaires.
1er élément constitutif : un travail
S’agissant de photographes professionnels, il va sans dire que la réalisation du cliché résulte d’un travail et d’un investissement. Selon le type de photographie, ce travail et cet investissement pourront être plus ou moins conséquents : déplacement, accréditation, matériel utilisé, préparation, studio, retouches … A la réalisation proprement dite du cliché, doivent être ajoutés les investissements nécessaires à sa distribution. La constitution d’une banque d’images ainsi que la mise en place des outils, classiques ou digitaux, nécessaires à sa promotion et à sa commercialisation nécessitent de lourds investissements.
2ème élément constitutif : une commercialisation
Cette commercialisation peut être directe et/ou indirecte. Elle est directe en ce que le photographe commercialise lui-même ses clichés, le plus souvent, au profit de son commanditaire ou de supports de presse. Elle est indirecte lorsqu’il en confie la distribution à une agence ou à une banque d’images lesquelles s’engage le plus souvent à lui reverser un pourcentage du prix des licences concédées. Lorsque la commercialisation est indirecte, l’intermédiaire, titulaire du droit de propriété sur l’image qui lui a été contractuellement conféré par le photographe, est à son tour bien fondé à rechercher en son nom propre, la responsabilité des utilisateurs indélicats. Le travail fourni pour assurer la collecte, l’ordonnancement, la promotion et la vente des clichés mérite à lui seul une protection adéquate.
3ème élément constitutif : l’absence d’autorisation
Sans doute, l’absence d’autorisation se suffit à elle-même, qu’elle soit le fruit d’une simple négligence ou d’une volonté délibérée de passer outre les contraintes propres à la souscription des licences nécessaires. Pourtant, l’absence d’autorisation implique le plus souvent des agissements annexes révélateurs d’une mentalité de chasseur/cueilleur des premiers temps de l’humanité. L’utopie d’un Internet gratuit a fait long feu, étant ici rappelé que le paiement d’un prix n’est pas toujours la contrepartie obtenue de l’internaute exposé à la publicité en ligne et pourvoyeur, plus ou moins consentant, de données personnelles judicieusement réexploitées. En téléchargeant une photographie sur son disque dur dans l’optique de l’exploiter, l’internaute se comporte somme toute comme un passant sur un boulevard qui, voyant des clés laissées sur le contact d’une automobile, jugerait légitime de l’emprunter pour se rendre au travail. La mauvaise foi de l’utilisateur indélicat ne devrait-elle pas être présumée, à charge pour lui de la renverser si des circonstances particulières l’y autorisent ?
4ème élément constitutif : une exploitation intéressée
Seule l’exploitation intéressée de la photographie soustraite est de nature à engager la responsabilité de son exploitant indélicat. Une telle exploitation résultera nécessairement de l’usage aux fins d’illustrations d’un site public, qu’il soit ou non de nature commerciale. Un site n’a d’intérêt qu’en raison de son contenu, les images qui l’agrémentent ayant précisément pour objet d’attirer l’attention de l’internaute, si bien que participant de l’attractivité du support, les illustrations et photographies le valorisent. Cette valorisation se fait ici à bon compte, sans bourse délier, alors même que l’éditeur fautif en tire un profit indirect en accroissant le potentiel trafic de son site. Ce faisant, il ruine, à proportion de l’étendue de ses « emprunts », tout un secteur économique.
Le préjudice et le lien de causalité
Le préjudice, condition nécessaire à une action en responsabilité, se décline selon des modalités classiques : manque à gagner, frais de recherche et de résolution amiable des usages non autorisés, banalisation du cliché, désorganisation des circuits de distribution, préjudices auxquels peut être ajoutée l’atteinte à la notoriété du propriétaire du cliché dont le nom, en violation des usages, aura été le plus souvent occulté. Le lien de causalité ne présente ici aucune difficulté particulière.
Objections, votre Honneur !
Que pourrait-on objecter à la mise en cause de la responsabilité des utilisateurs copieurs/colleurs ?
Marie Malaurie-Vignal rappelait en 1996 « qu’en l’absence de confusion, on peut hésiter à protéger un simple travail … qui ne présente pas d’originalité et … appartient au domaine public … [et] peut être copié ».
Copier le travail d’autrui en fournissant l’effort nécessaire à l’exécution de la « copie » n’est somme toute, en principe, qu’une légitime appropriation du « concept » imaginé par le travailleur initial ou du résultat qu’il a pu obtenir. L’emprunt reste dans le domaine éthéré de l’idée ou de l’intuition dont on sait, sous l’angle du droit d’auteur, qu’il appartient à tout le monde. Tel n’est pas le cas ici car d’effort, il n’y en a point.
Ne risque-t-on pas de rétablir un monopole non désiré ? De quel monopole pourrait-il bien s’agir ici dès lors, comme nous l’avons d’ores et déjà souligné, que nul n’entend s’opposer à la réalisation de cliché identique ou similaire ? Chaque photographie, fruit d’un travail individualisé et unique, reste la propriété de son producteur ou de celui à qui il l’a cédée. On ne voit pas que ce droit de propriété, circonscrit à l’objet même sur lequel il porte, pourrait générer un monopole attentatoire à la liberté des tiers.
N’est-il pas choquant que cette propriété soit susceptible de persister dans le temps là où le monopole du créateur d’une œuvre protégée doit légalement s’éteindre à l’issue de la durée de la protection ?
On objectera à l’objection que le monopole d’exploitation de l’auteur d’une œuvre de l’esprit n’a pas grand-chose à voir avec l’action en responsabilité pour faute que le détenteur d’une photographie non protégée peut éventuellement mettre en œuvre. Le supposé monopole de ce dernier ne s’étend pas aux imitations, partielles ou totales, de son cliché. Il ne peut interdire que les usages intéressés et non toutes les reproductions ou représentations.
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L’opportunité d’exigence moindre lorsqu’il s’agit d’apprécier l’originalité de photographies de presse est, convenons-le, discutable. A tout le moins, là comme ailleurs, une clarification de la jurisprudence s’impose. L’exercice n’est sans doute pas facile. Chacun doit y contribuer. Et pour ceux des clichés, fruit d’un travail, auxquels la protection par le droit d’auteur devra être déniée, une application raisonnée de la responsabilité civile de droit commun, sans qu’un détour par la notion de parasitisme soit nécessaire, devrait sans doute suffire. En tout état de cause, un vide mortifère serait profondément choquant.