Droit de la propriété intellectuelle
L’ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019 relative aux marques de produits ou de services ainsi que son décret d’application n° 2019-1316 du 9 décembre 2019, ont largement remanié le droit des marques.
Certaines de ces nouvelles dispositions n’entreront en vigueur que le 1er avril prochain, sous réserve d’un éventuel report imposé par l’épidémie de coronavirus.
Victime de son succès, le droit des marques pèche par un excès d’incertitudes qui fragilise aujourd’hui les dépôts : la marque de l’entreprise, bien que régulièrement enregistrée, est-elle vraiment protégeable ? La réforme intervenue tant à ce titre à renforcer les conditions de validité de la marque tout en facilitant le « nettoyage » de registres trop souvent encombrés de marques inefficaces.
Le nouvel article L.711-1 du CPI dispose désormais qu’une marque est un « signe » pouvant « être représenté dans le registre national des marques de manière à permettre à toute personne de déterminer précisément et clairement l’objet de la protection conférée à son titulaire ».
Précédemment, cet article exigeait que ledit signe soit susceptible de représentation graphique tout en visant, notamment, dans une liste non limitative, les « sons » et « phrases musicales » ou les formes du produit ou de son conditionnement.
La suppression de l’exigence de « représentation graphique » élargit la faculté du choix de sa marque
La suppression de l’exigence de « représentation graphique » élargit donc la faculté de choix sans vraiment résoudre parmi d’autres l’épineuse question des marques olfactives. Rien n’interdit, théoriquement, d’envisager des marques « animées » et pourquoi pas, tactiles, sous réserve naturellement qu’elles soient susceptibles d’une représentation dans le registre. A ce titre, les organismes gestionnaires de ces registres devront inventer de nouveaux supports de représentation, les actuels formulaires étant quelque peu désuets.
Reste que le signe choisi comme marque doit, comme il le devait jusqu’à présent, disposer d’un pouvoir distinctif : notamment, un signe composé exclusivement d’éléments pouvant servir à désigner une caractéristique du produit ou du service, ne remplit pas cette condition.
Cette exigence est renforcée. Ne présente pas de caractère distinctif un signe « constitué exclusivement par la forme ou une autre caractéristique du produit imposée par la nature même de ce produit, nécessaire à l’obtention d’un résultat technique ou qui confère à ce produit une valeur substantielle ».
Mais le renforcement de l’exigence de distinctivité contraint chaque déposant à « l’originalité »
Tant la jurisprudence française que la jurisprudence communautaire se font l’écho de cette exigence n’hésitant pas à mettre à mal des marques que l’on jugeait définitivement acquises par l’usage. Le Crédit Mutuel, Adidas pour sa marque composée de trois bandes parallèles en noir sur fond blanc ainsi que Rent a car en ont récemment fait les frais.
En pratique, bon nombre d’entreprises font le choix d’expressions trop descriptives du produit ou du service qu’elles voudraient être les seules à pouvoir commercialiser. Mais le droit des marques n’est pas un mécanisme juridique d’appropriation d’un produit ou d’un service : les principes fondamentaux du droit de la concurrence s’y opposent. Il est un mécanisme d’appropriation du signe permettant d’identifier l’entreprise, fabriquant ou distributeur, à l’origine du produit ou du service « spécifique » commercialisé.
A trop vouloir marquer dans l’esprit du consommateur que tel ou tel produit ou service est la spécialité de son entreprise, on oublie trop souvent cette évidence. C’est en associant sa marque « originale » au produit ou service concerné que l’on finit parfois par être identifié par les consommateurs comme le spécialiste reconnu. Tel est du reste l’objet même de la communication commerciale.
Même si l’originalité n’est pas un critère de validité de la marque, il est donc vivement recommandé d’intégrer cette notion très en amont de sa réflexion marketing. Qui plus est une marque vraiment originale pourra bénéficier de la protection par le droit d’auteur, laquelle, cumulée avec celle issue du droit des signes distinctifs, peut s’avérer fort utile.
Le vaste mouvement de déjudiciarisation des contentieux dont on se demande jusqu’à quel point il ne remet pas en cause la séparation des pouvoirs – avec l’approbation à tout le moins implicite et pour le moins étrange d’un pouvoir judiciaire dégradé – ne manque pas là encore d’affecter la matière.
La procédure administrative d’opposition qui permet de faire échec à un projet de dépôt de marque, a été fortement remaniée par l’ordonnance. La liste des droits antérieurs et donc des personnes recevables à former opposition a été élargie (art. L.712-4 et L.712-4-1).
La procédure d’opposition à l’enregistrement d’une marque est élargie
Par ailleurs, la liste des motifs pour lesquels le Directeur de l’INPI peut rejeter une demande d’enregistrement a été complétée (art. L.712-7).
Mais la réforme la plus remarquable, qui n’entrera en vigueur que le 1er avril prochain sauf report lié à l’épidémie actuelle, résulte sans aucun doute de la nouvelle procédure administrative en nullité et en déchéance des marques enregistrées. Le Directeur de l’INPI a désormais une compétence exclusive pour connaître de ces deux actions. Le Tribunal judiciaire spécialisé reste cependant compétent dans certaines hypothèses. Ce dépeçage procédural ne manquera pas, comme d’accoutumée, de susciter des difficultés bien inutiles.
Le Directeur de l’INPI est désormais compétent pour les actions en nullité et en déchéance
La particularité de cette nouvelle procédure administrative tient notamment à ce qu’elle est ouverte à « toute personne physique ou morale » tandis que l’action proprement judiciaire reste uniquement ouverte aux « personnes intéressées » (art. L.716-3).
Est-ce à dire que l’exigence procédurale d’intérêt à agir, telle qu’elle résulte du code de procédure civile, est ici écartée ? L’INPI pourra-t-il se saisir d’office ? Cette dernière hypothèse est des plus douteuse, l’INPI ne pouvant être à la fois juge et partie.
Quant à l’intérêt à agir, s’il faut comprendre qu’il n’est pas nécessaire ou qu’il doit s’apprécier largement, le registre des marques déposées pourrait bien engager, avec un léger de retard, son grand nettoyage de printemps. Bon nombre de marques inexploitées ou d’une validité douteuse encombrent en effet ce registre.
Pour les entreprises, mieux vaudrait donc anticiper ces risques par un audit de son portefeuille que de subir à compter du 1er avril prochain le zèle procédural de plaideurs inattendus …