Les droits d’auteur, les plateformes de partage et la liberté d’expression : une fable alambiquée dont la morale échappe


Droit de la propriété intellectuelle

L’article 17 de la directive (UE) 2019-790 du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique, institue un « nouveau » régime de responsabilité pour les fournisseurs de services de partage en ligne au titre des œuvres illégalement téléchargées par leurs utilisateurs.

Un principe largement amputé

Le principe énoncé par la directive relève somme toute du truisme : le fournisseur doit obtenir l’autorisation des titulaires des droits avant de diffuser ses œuvres.

Puis, sans remettre en cause le principe de la responsabilité limitée des intermédiaires techniques (art. 14 de la directive 2000/31) pour tout autre contenu illicite que ceux relevant du droit d’auteur et des droits voisins, l’article 17 prévoit qu’en l’absence d’autorisation, la responsabilité du fournisseur de services de partage en ligne est engagée à moins qu’il ne démontre avoir cumulativement satisfait à trois obligations de moyen, elles-mêmes conditionnées par les diligences effectuées par les titulaires de droit.

Inutile d’entrer ici dans le détail de cette mécanique byzantine pour y déceler l’œuvre, laborieuse, d’un compromis entre pratiques et principes, habilement qualifié « d’équilibre » par les auteurs de la directive.

L’identification de l’utilisateur indélicat : une solution négligée

Les droits d’auteur n’en sortent guère ragaillardis. N’eut-il pas été plus simple de renforcer l’obligation des fournisseurs de service quant à l’identification de leurs « fournisseurs » de contenus illicites, nombre d’utilisateurs indélicats s’évanouissant dans les brumes d’un anonymat assumé ou paresseusement toléré ? L’impunité domine.

Les droits d’auteur sacrifiés sur l’autel de la liberté d’expression

C’est dans ce contexte que la République de Pologne, inquiète des incidences potentielles de l’article 17 sur la liberté d’expression et d’information, a saisi la Cour de Justice de l’Union Européenne d’une demande d’annulation de deux des trois obligations pesant sur le fournisseur de service dans le cadre de la démonstration de son « irresponsabilité ».

Pour les autorités polonaises, l’article 17 contraindrait les fournisseurs de services à procéder, de manière préventive, à une surveillance des contenus. A cette fin, ils devraient recourir à des logiciels de filtrage – la « justice algorithmique » – sans que la directive n’instaure de garanties quant au respect du droit à la liberté d’expression et d’information.

La Cour concède au requérant que le partage d’informations sur Internet par l’intermédiaire de plateformes de partage de contenus en ligne relève de l’application de l’article 10 de la CEDH et de l’article 11 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

Elle affirme en effet que « les sites Internet et notamment les plateformes de partage de contenus en ligne contribuent, grâce à leur accessibilité ainsi qu’à leur capacité à conserver et à diffuser de grandes quantités de données, grandement à améliorer l’accès du public à l’actualité et, de manière générale, à faciliter la communication de l’information, la possibilité pour les individus de s’exprimer sur Internet constituant un outil sans précédent d’exercice de la liberté d’expression ».

Elle lui concède également que les obligations qui pèsent sur les fournisseurs de services leur imposent de facto d’effectuer un contrôle préalable des contenus que des utilisateurs souhaitent téléverser sur leurs plateformes, pour autant qu’ils ont reçu, de la part des titulaires de droits, les informations ou les notifications prévues l’article 17.

Elle lui concède enfin que le contrôle et le filtrage préalables, inévitablement par algorithme interposé, sont de nature à apporter une restriction à un moyen important de diffusion de contenus en ligne et à constituer, ainsi, une limitation du droit garanti à l’article 11 de la Charte.

Pourtant, bien qu’il comporte une limitation de l’exercice du droit à la liberté d’expression et d’information des utilisateurs, l’article 17, en ce qu’il prévoit effectivement un mécanisme associant des règles de fond, d’informations et de formes, comporte des garanties suffisantes quant aux droits des utilisateurs à la liberté d’expression et d’information. A ce titre, les obstacles, nombreux, à la mise en cause de la responsabilité des fournisseurs de service garantit a priori, selon la Cour, le droit à ces libertés fondamentales.

Reste que les victimes d’usage illicite d’œuvres protégées devront franchir bien des obstacles avant de parvenir à une éventuelle mise en cause de la responsabilité des plateformes.