Les photographies dites de presse sont-elles encore protégeables au titre du droit d’auteur ?


Droit de la propriété intellectuelle

La protection légale du droit d’auteur n’est accordée qu’à une seule condition, l’originalité, dont la malléabilité autorise, au risque de l’insécurité juridique, d’importantes évolutions jurisprudentielles. Naguère reconnue sans trop de difficulté, une certaine complaisance des juges, soucieux de donner à l’auteur d’une « œuvre » révélatrice d’un minimum d’effort créatif, le bénéfice d’un monopole d’exploitation – ce qui n’est pas rien -, a laissé place à des exigences accrues ainsi qu’en attestent notamment les photographies dites de presse.

De la complaisance à l’exigence

La protection légale du droit d’auteur n’est accordée qu’à une seule condition, l’originalité, dont la malléabilité autorise, au risque de l’insécurité juridique, d’importantes évolutions jurisprudentielles.

Naguère reconnue sans trop de difficulté, une certaine complaisance des juges, soucieux de donner à l’auteur d’une « œuvre » révélatrice d’un minimum d’effort créatif, le bénéfice d’un monopole d’exploitation – ce qui n’est pas rien -, a laissé place à des exigences accrues ainsi qu’en attestent notamment les photographies dites de presse : meeting politique, portrait de personnalité saisi sur le vif, exploits sportifs …

Un effort créatif révélateur d’un parti pris esthétique

L’œuvre protégeable, selon une formule désormais classique, doit résulter « d’un effort créatif portant l’empreinte de la personnalité de son auteur, seul de nature à lui conférer le caractère d’une œuvre originale protégée » (1). L’originalité d’une œuvre doit être appréciée dans son ensemble au regard de la combinaison des différents éléments, même banals, la composant (2).

Selon une autre formule, « l’originalité d’une œuvre doit s’apprécier de manière globale de sorte que la combinaison des éléments qui la caractérise du fait de leur agencement particulier lui confère une physionomie propre qui démontre l’effort créatif et le parti pris esthétique portant l’empreinte de la personnalité de l’auteur » (3).

L’effort créatif doit se traduire par une appropriation intellectuelle personnelle de la matière qui constitue le sujet de l’œuvre. Il ne suffit donc pas de maîtriser la technique photographique pour pouvoir prétendre au bénéfice de la propriété intellectuelle.

Le simple choix n’est pas suffisant même si « l’originalité de l’œuvre se révèle parfois dans les choix effectués par l’auteur, par exemple dans le domaine de la photographie » (4).

L’auteur « doit établir qu’il a effectué des choix libres et créatifs », « la seule saisie du réel même avec talent mais sans parti pris esthétique ou travail créatif » étant insuffisante (5).

Une parfaite maîtrise technique n’est pas suffisante

A l’instar de la distinction, traditionnelle mais éminemment contestable, entre l’artisan, simple détenteur d’un savoir-faire technique, et de l’artiste, pourvoyeur d’émotions esthétiques, une jurisprudence, dominante, exclut que l’originalité puisse résulter de la maîtrise technique du photographe.

Dès lors que le photographe s’est borné à l’exécution d’une prestation technique, les clichés qui en résultent ne sont pas protégeables au titre du droit d’auteur (6).

Les décisions rendues en la matière illustrent plus généralement la difficulté d’appréhender les photographies dites de presse sous l’angle du droit d’auteur.

La photographie de presse : des sujets échappant à la volonté du photographe

Au motif que les choix ici offerts aux photographes sont réduits, les tribunaux semblent enclins à leur dénier, par principe, le bénéfice de la propriété intellectuelle. Dans un arrêt du 24 février 2012, la Cour d’appel de Paris a ainsi jugé que : « Si le choix des moyens techniques incombe bien au photographe, les situations qui s’offrent à son objectif ne sont en l’espèce que de banales scènes de jeu ou d’actions footbalistiques qui sont donnés à voir depuis des décennies dans tous les magazines ou revues sportifs … Si le photographe exerce effectivement un choix lorsqu’il ‘zoome’ sur un sujet et qu’il décide de déclencher son appareil photographique, la photographie prise au cours d’un match à l’insu des protagonistes n’est que le fruit du hasard qui trouve son origine dans les phases animées du jeu, dont tant la mise en œuvre que le résultat échappe à la volonté du photographe qui ne fait qu’intercepter un instance fugace … les mimiques des joueurs pris en gros plan ne révèlent pas la personnalité du photographe mais davantage celle du joueur qui manifeste sa joie, sa surprise, son désappointement ou sa colère. »

Pour la cour, ces photographies en ce qu’elles ne révèlent aucune recherche personnelle du photographe quant à l’angle de prise de vue, au cadrage, aux contrastes, à la lumière, aux physionomies, ne sont pas éligibles à la protection du droit d’auteur.

De même pour la Cour d’appel de Versailles, dans un arrêt du 15 juillet 2015 (7), « les premiers juges ont exactement relevé que la grande majorité des photographies produites a été réalisée sur le vif et présente des joueurs au cours d’une action sur un stade, que leur qualité révèle les compétences techniques particulières du photographe mais non l’empreinte de sa personnalité dès lors qu’étant chargé de fixer les actions marquantes du match, il n’avait le choix ni du moment ni de la singularité des positions, ces éléments, résultant des conditions et circonstances du match dont il doit rendre compte fidèlement, lui échappant ».

Une tendance jurisprudentielle préoccupante pour les photographes de presse

Si les tribunaux ne refusent pas systématiquement à des clichés de presse révélateurs de choix opérés par le photographe, le bénéfice du droit d’auteur, force est de constater que cette jurisprudence exclut de la protection légale, bon nombre de photographies destinés à illustrer des évènements d’actualité. Faute de protection, le travail des photographes et des agences de presse se trouve exposer aux risques de réutilisation par des tiers et, partant, à une exploitation non rémunérée d’un travail. Or, il n’est pas admissible, indépendamment de la question de l’originalité du résultat, qu’un travail photographique puisse être exploité sans que l’auteur de ce travail ne puisse prétendre au bénéfice d’une rémunération.

On peut en premier lieu objecter à cette jurisprudence que l’originalité requise, sauf à vouloir porter un jugement sur le mérite de l’œuvre, jugement prohibé par la loi, n’a pas besoin de revêtir une qualité ou une intensité particulière. A ce titre, il suffit que le photographe ait opéré un choix, tout particulièrement celui du moment de la prise de vue, et que ce choix manifeste une recherche esthétique ou créative, pour que la condition d’originalité soit bel et bien remplie. Reste, le cas échéant, la problématique des antériorités existantes, étant ici rappelé que l’originalité est distincte de la nouveauté.

La scène photographiée pourra n’être pas nouvelle – ce qui sera le plus souvent le cas s’agissant d’évènements sportifs – tout en présentant une originalité du fait de « différences » même mineures dès lors que ces différences sont bien révélatrices d’un effort créatif. Dans un arrêt du 16 mars 2011 , cette même Cour d’appel de Paris a ainsi jugé que : « si les prises de vues ont été réalisées en fonction du sujet, du thème à photographier, ainsi que des circonstances et des lieux dans lesquels les faits se sont déroulés, relevant d’un travail documentaire de professionnel en situation réelle, et non d’un travail photographique préparé en studio, les choix opérés quant à l’instant de prise de vue, au positionnement des personnages, au point de vue, au cadrage et à la mise en évidence des émotions, crée pour chaque photographie une combinaison d’ensemble d’éléments caractéristiques, qui confère à chacune d’elle une physionomie propre la distinguant d’autres clichés du même genre et traduisant un parti-pris esthétique empreint de la personnalité de leur auteur, malgré les contraintes d’un tel reportage ».

A défaut d’originalité, il sera toujours possible de se fonder sur la notion juridique de parasitisme ou tout simplement sur celle de la faute génératrice d’un préjudice réparable. L’utilisation sans bourse déliée de clichés réalisés par des photographes professionnels constitue de toute évidence une faute car elle prive ces professionnels du bénéfice de leur travail.

(1) Cass. civ. 1, 12 juillet 2006, Légifrance n°05-17555.
(2) Cass. Civ. 1, 10 avril 2019, Légifrance n° 18-13612
(3) CA Paris, 5 octobre 2018, Lexis 360, n° 18/03595.
(4) A. Lucas et H-J. Lucas, Traité de la propriété littéraire et artistique, Litec, n°49, p.59.
(5) CA Versailles, 8 décembre 2017, JurisData n° 2017-025575.
(6) Cass. soc., 13 novembre 2008, Légifrance n°06-45991.
(7) CA Versailles, 15 juillet 2015, Dalloz Avocats, n° 13/07057.